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Geoffrey Pleyers, Brieg Capitaine (dir.), Mouvements sociaux. Quand le sujet devient acteur

Luc Chicoine
Mouvements sociaux
Geoffrey Pleyers, Brieg Capitaine (dir.), Mouvements sociaux. Quand le sujet devient acteur, Paris, Maison des Sciences de l'Homme, 2016, 280 p., ISBN : 978-2-7351-2100-7.
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Texte intégral

1Comment l’individu s’établit-il en sujet politique dans les mouvements sociaux contemporains ? Comment se structure le lien entre sa perspective individuelle et l’horizon global dans lequel il s’insère ? Comment peut-il demeurer sujet après une mobilisation d’envergure ? Les dynamiques à l’œuvre sont-elles les mêmes pour les mouvements conservateurs ou d’extrême droite ? Ces questions analytiques structurent cet ouvrage collectif où sont rassemblés des textes traitant de mobilisations ayant eu lieu depuis 2010 dans une quinzaine de pays.

  • 1 Doug Mc Adam, Sydney Tarrow, Charles Tilly, Dynamics of contention, Cambridge, Cambridge University (...)

2Écrit par ses anciens étudiants, ce livre se veut un hommage à l’œuvre de Michel Wievorka, et à la perspective actionnaliste plus largement, alors qu’il reprend certains des principaux concepts de son œuvre (le sujet et sa possible transformation en acteur, les processus de subjectivation et de dé-subjectivation sous-jacent, l’influence de la mondialisation sur les mouvements sociaux, etc.) Cette forte présence de l’ancien directeur du Centre d’analyse et d’interventions sociologique (CADIS) n’a pas empêché les auteurs de certains chapitres à tenter l’hybridation avec d’autres approches théoriques (pragmatisme, approches cognitives, politique du conflit1, etc.), ce qui s’avère parfois particulièrement fertile.

  • 2 Voir par exemple Geoffrey Pleyers, « Des black blocks aux alter-activistes : pôles et formes d’enga (...)

3L’ouvrage se divise en trois parties distinctes. La première d’entre elles s’intéresse à la subjectivation des activistes contemporains, plus particulièrement dans le contexte du «  mouvement des places  ». Continuant dans la lancée de ses travaux précédents2, le chapitre de Pleyers s’attarde sur la construction en sujet des jeunes «  alter-activistes  » impliqués dans différents mouvements de démocratisation et écologistes. Il souligne comment cette subjectivation s’élabore dans un double mouvement : à la fois dans l’engagement, en résistance face aux pouvoirs aliénants, mais aussi dans une grande réflexivité poussant à une autonomisation individuelle notamment basée sur des pratiques préfiguratives. Les quatre chapitres suivants, portant sur l’occupation du parc Gezi en Turquie et sur le mouvement 15M espagnol, illustrent concrètement l’articulation de ces deux pôles en apparence contradictoires. Le chapitre de Buket Türkem portant sur les femmes impliquées à Gezi démontre l’inscription forte de cette mobilisation dans une logique anti-patriarcale. On y sent bien comment l’engagement de ces femmes a profondément modifié leur rapport à la politique, au monde et à elles-mêmes.

  • 3 P. 14
  • 4 Ulrich Beck, What is globalization?, Cambridge, Polity Press, 1999.
  • 5 Le mariage civil plutôt que la guerre civile.

4La seconde partie du livre s’intéresse à la relation entre les mobilisations régionales et les mouvements à portée globale puisqu’une «  sociologie globale ne peut être “dé-localisée”  »3  ; les auteurs souhaitant éviter ainsi à la fois le «  nationalisme méthodologique  »4 que le «  globalisme méthodologique  ». Le chapitre portant sur l’engagement anticonfessionnaliste dans le Liban d’après-guerre d’Alexandra Kassir se veut une belle démonstration d’activistes souhaitant tendre vers l’universel et devenir acteurs de leur propre monde. En partie axées sur les revendications liées à la légalisation du mariage civil (d’où le slogan civil marriage not civil war5) et visant «  la chute du régime confessionnel  », les mobilisations du début de 2011 auront été vécues comme autant d’espaces d’expériences eux-mêmes liés à des revendications profondément démocratiques propres aux mouvements sociaux de cette première moitié de décennie. Lukasz Jurczyszyn nous transporte plutôt dans la Pologne où une mobilisation nationale, le mouvement anti-ACTA, aura eu des répercussions internationales importantes, poussant de nombreux pays à rejeter la ratification de cet accord portant sur la propriété intellectuelle. Pour conclure cette section, Anton Oleinik visite le rapport entre les aspects locaux et globaux du répertoire d’action collective ukrainien lors des mobilisations de 2013. De manière éloquente, il nous soumet l’hypothèse selon laquelle l’intégration de tactiques profondément inscrites dans la culture ukrainienne (notamment le tabir, le sich, le veche et le maidan) aux de tactiques modulaires généralement importées de l’étranger permette à celles-ci de prendre racine dans la société en lutte, augmentant ainsi leur efficacité.

  • 6 Finie l’inertie !
  • 7 Michel Wieviorka, La violence, Paris, Hachette, 2005.

5La dernière section de l’ouvrage recoupe des textes traitant de mouvements racistes et des conséquences inhérentes à la violence de certaines mobilisations. Emanuele Castano nous ouvre la porte de la nouvelle droite radicale italienne au travers du populaire mouvement CasaPound. Il offre des réflexions intéressantes sur le lien particulier au corps que peuvent entretenir les membres de cette organisation ainsi que sur leur rapport à la violence. Brieg Capitaine s’intéresse de son côté aux conséquences de la violence systémique vécue au sein des pensionnats amérindiens au Canada et sur les difficultés qu’ont pu avoir ces populations à se mobiliser face à ces enjeux. L’auteur démontre comment la Commission de vérité et de réconciliation, en permettant aux victimes directes et indirectes de cette violence de pleinement s’exprimer, permet de surmonter en partie ce trauma culturel facilitant du même coup l’émergence du mouvement Idle no more  !6. Massoud Sharifi Dryaz se préoccupe de l’après-désengagement d’ex-guérilléros du PKK afin de s’interroger sur les dynamiques de leurs reconstructions identitaires. Ces anciens «  hyper-sujets  »7 sont généralement rejetés autant par les pouvoirs en place que par la puissante organisation qu’ils ont quittée, augmentant exponentiellement les défis posés par le renouvellement de leur subjectivation.

  • 8 Alain Tourain, Nous, sujets humains humains, Paris, Éditions du Seuil, 2015.

6En guise de postface, Michel Wieviorka revient sur la notion de mouvement social et se demande s’il ne conviendrait pas mieux, dans cette troisième phase de développement des mouvements sociaux, de parler plutôt de mouvements «  éthico-démocratiques  » reprenant ainsi un terme proposé par Alain Touraine8.

7Malgré la qualité inégale des différentes contributions le constituant, cet ouvrage n’en demeure pas moins un excellent panorama des recherches actuelles menées dans cette optique théorique particulière. Elle permet de mieux saisir les particularités à la fois locales et globales des mobilisations actuelles qui échappent souvent à d’autres cadres d’analyses excessivement centrés sur les dynamiques politiques et étatiques. Cependant, l’approche actionnaliste de Wievorka ne possède pas la même puissance explicative que l’analyse de la structure des opportunités politiques afin d’expliquer le contexte d’émergence des mobilisations. Rien d’étonnant : ce n’est pas son ambition. C’est pourquoi il est intéressant de constater comment certains chapitres de cet ouvrage démontrent tout le potentiel de l’actionnalisme lorsqu’il intègre des éléments d’autres approches théoriques. Il est à souhaiter que ces combinaisons fructueuses se développent plus encore, permettant de dépasser la rivalité existant parfois entre elles.

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Notes

1 Doug Mc Adam, Sydney Tarrow, Charles Tilly, Dynamics of contention, Cambridge, Cambridge University Press, 2001.

2 Voir par exemple Geoffrey Pleyers, « Des black blocks aux alter-activistes : pôles et formes d’engagement des jeunes altermondialistes », Lien social et Politiques, n° 51, 2004, p. 123-134. http://id.erudit.org/iderudit/008875ar et Geoffrey Pleyers, Alter-globalization : becoming actors in a global age, Cambridge, Polity, 2010.

3 P. 14

4 Ulrich Beck, What is globalization?, Cambridge, Polity Press, 1999.

5 Le mariage civil plutôt que la guerre civile.

6 Finie l’inertie !

7 Michel Wieviorka, La violence, Paris, Hachette, 2005.

8 Alain Tourain, Nous, sujets humains humains, Paris, Éditions du Seuil, 2015.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Luc Chicoine, « Geoffrey Pleyers, Brieg Capitaine (dir.), Mouvements sociaux. Quand le sujet devient acteur », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 24 août 2016, consulté le 10 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lectures/21228 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/lectures.21228

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