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Nicolas Bué, Karim Fertikh, Mathieu Hauchecorne (dir.), Les Programmes politiques. Genèses et usages

Alexis Gibellini
Les programmes politiques
Nicolas Bué, Karim Fertikh, Mathieu Hauchecorne (dir.), Les programmes politiques. Genèses et usages, Rennes, Presses universitaires de Rennes, coll. « Res Publica », 2016, 261 p., ISBN : 9782753543027.
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Texte intégral

  • 1 Projet de recherche lancé dès 1979, à l’initiative de l’European Consortium for Political Research (...)

1Figures incontournables de la compétition partisane dans les démocraties pluralistes contemporaines, les programmes sont devenus un instrument politique « normal » au sens sociologique, à la fois routinisé et imposé, pour tout candidat à une élection. Les programmes sont ainsi au cœur des transactions électorales : s’ils permettent d’exprimer la doctrine ou l’identité d’un parti – fonction idéologique –, ils ne servent pas moins de plateforme politique pour favoriser la construction de coalitions électorales – fonction de « signal ». Loin de se limiter à une approche littéraire ou quantitative des programmes politiques, à l’image de la démarche du Comparative Manifesto Project (CMP)1, le présent ouvrage entend mettre en lumière leurs modalités de production, les usages sociologiques qui en sont faits et leurs interprétations différenciées. Son ambition est alors de retracer la socio-histoire des programmes, en adoptant une vision processuelle de leur production et réception, donc de leurs genèses à leurs usages. Car, pour comprendre ces textes, il est indispensable d’analyser les contextes d’action des rédacteurs et promoteurs de programmes.

2Comment le genre « programme » est-il apparu et a-t-il évolué historiquement ? Comment ses normes se sont-elles formalisées ? Par qui et pourquoi les programmes sont-ils fabriqués ? Autant de questions soulevées et traitées par cet ouvrage, qui s’inscrit dans le prolongement des travaux d’une section thématique, organisée lors du 11e congrès de l’Association française de science politique, en septembre 2011.

3La première partie de l’ouvrage traite de la production et de la transmission des normes du genre programmatique codifié, en étudiant la sociogenèse des programmes politiques, en tant qu’institutions. Dans leur contribution, Karim Fertikh et Mathieu Hauchecorne analysent comment ceux-ci sont élaborés sur le plan textuel. En France, la codification progressive du genre programmatique s’opère par la standardisation des professions de foi autour d’une offre formalisée et structurée de politiques publiques. En définitive, de plus en plus de candidats sont contraints de porter le programme d’un parti politique national dans l’ensemble des circonscriptions électorales. Dans son étude de cas sur le « Programme de Belleville », Aude Dontenwille-Gerbaud montre que le portage de ce projet par Léon Gambetta induit une retraduction constante du lien l’unissant au comité parisien qui est l’auteur de ses principales revendications. Ce faisant, le personnel politique l’utilise de façon à se dégager des marges d’autonomie dans son activité de représentation. Le programme se traduit alors par un compromis entre engagement envers le corps électoral et liberté d’action politique du représentant élu. Le chapitre de Damien Boone, consacré aux conseils municipaux d’enfants, ébauche une sociologie de l’apprentissage du programme aux enfants. En transmettant aux plus jeunes des représentations du « bon programme », les adultes contribuent, in fine, à façonner les programmes politiques comme des institutions porteuses d’une histoire propre, de normes et de valeurs.

4C’est ainsi que la deuxième partie se concentre sur la fabrique des programmes, en particulier sur l’analyse de l’élaboration des textes programmatiques et de leurs usages par les acteurs politiques. Examinant les rapports de forces internes au Parti communiste français (PCF), la contribution de Nicolas Azam montre comment un groupe d’experts des questions européennes est parvenu à s’arroger le monopole des discours du parti sur l’Europe. Ainsi, les changements de positions du PCF sur les thèmes européens s’expliquent principalement par la structuration partisane et les ressources détenues par les agents. Le chapitre de Julien O’Miel et Mélanie Pauvros est dédié aux négociations entre PS et Verts pour l’élaboration d’un programme commun local dans le Nord-Pas-de-Calais. Outre sa capacité à faire gagner une élection au second tour, le programme représente ici simultanément un signal envoyé à un autre parti en vue de la formation d’alliances entre les deux tours et un cadre contraignant les politiques publiques futures du vainqueur. Dans le même sens, le texte de Rafaël Cos soulève l’enjeu de la médiatisation à partir de l’étude du programme du PS, notamment sur son volet relatif aux privatisations, pour les élections législatives de 1997. Au-delà des luttes partisanes desquelles il résulte, le programme est interprété et décrypté par les journalistes, entraînant d’importants glissements sémantiques sur les propositions qu’il contient. Consacrée aux usages locaux des programmes de l’UMP et du PS, ainsi que des partis travailliste et conservateur britanniques, pour les scrutins législatifs de 1997 à 2007, la contribution de Clément Desrumaux met à la fois en perspective les contraintes posées aux candidats locaux et la capacité de s’approprier ou de s’affranchir de certaines propositions nationales. Enfin, Paula Diaz et Carolina Gutierrez Ruiz étudient le cas du programme de la coalition « La Concertation au Chili », utilisé dans le cadre de la transition démocratique chilienne. L’inscription en son sein de mesures en faveur des droits de l’homme et de la décentralisation semble avoir favorisé l’avènement de la démocratie dans ce pays.

5La dernière partie de l’ouvrage traite du cas emblématique qu’incarne en France le Programme commun de la gauche, formellement signé en juin 1972 puis réactualisé à l’été 1977. Les jeux d’appareils et les négociations interpartisanes pour parvenir à un compromis programmatique à gauche sont mis en avant par Frédérique Matonti. Dès les premières prises de contact, le caractère sensible de la démarche semble évident. Un important travail de légitimation doit alors intervenir pour renforcer ce programme commun de gouvernement, compte tenu du contexte particulier des années 1960. Au lieu d’envisager le programme à l’échelle nationale, le texte de Nicolas Bué propose de considérer les usages qui en sont faits localement, à l’échelle de Calais, commune à gauche depuis 1971 et alors dirigée par le PCF. Dans cette perspective, le programme représente tout à la fois un instrument de légitimation de la politique municipale, un outil de mobilisation des bases militante et électorale, une ressource dans les luttes partisanes internes et un cadre de référence pour les pourparlers interpartisans locaux. Dans son chapitre, Martial Cavatz analyse les programmes économiques portés par le PS des années 1970, en partant de leur élaboration intrapartisane jusqu’à leur appropriation par les élus locaux socialistes. Cette dernière s’avère décisive puisque l’adaptation aux spécificités locales peut induire de renoncer à certaines mesures défendues nationalement par le parti. Pour cela, les formulations, parfois vagues, contenues dans les programmes permettent de dégager des marges d’interprétation pour leur mise en œuvre. La contribution finale de Matthieu Tracol aborde les conditions d’élaboration et d’application des « 110 propositions pour la France », programme construit pour la campagne présidentielle de François Mitterrand de 1981, en référence permanente au Programme commun de la gauche. Au-delà de l’analyse du processus de rédaction des mesures liées au travail, replacées dans le contexte de rupture officielle de l’union de la gauche, l’auteur montre que les socialistes au pouvoir interprètent et déplacent le sens de ces propositions. In fine, la mise en œuvre de tout programme résulte également de luttes intrapartisanes : les rédacteurs de ces mesures, tous proches du Centre d’études, de recherches et d’éducation socialiste (Céres) ou du courant mitterrandiste, ont laissé place à des socialistes issus de la « deuxième gauche » au ministère du Travail. C’est ainsi que les ressources différenciées dont disposent les agents des divers « courants » ont des conséquences sur l’occupation des postes dans les cabinets ministériels et, finalement, sur la manière d’appliquer – ou non – les 110 propositions.

6En définitive, l’intérêt principal de cet ouvrage est de proposer une nouvelle approche sociologique et historique des programmes politiques, différenciée de la sociologie électorale – avec laquelle elle a trop souvent été confondue – et de l’analyse technique des politiques publiques. Il parvient alors à dépasser l’étude classique des programmes sous l’angle strictement quantitatif ou littéraire, promue dès le Comparative Manifesto Project, pour parvenir à ouvrir la « boîte noire » des programmes et mettre en lumière les enjeux sociologiques qu’ils revêtent. S’il est richement illustré, par de nombreux exemples historiques ou études de cas, l’ouvrage semble cependant manquer d’un fil conducteur plus solide : le lecteur risque, par exemple, de mal percevoir la cohérence du propos entre l’étude du rôle d’un programme dans la transition démocratique au Chili et la fabrique des programmes dans les conseils municipaux d’enfants en France. Il est clair, toutefois, que l’originalité des analyses qui y sont développées, avec l’apport scientifique qu’elles induisent, ne peut que fortement susciter l’intérêt d’un lecteur, à condition qu’il soit déjà averti en science politique. L’ouvrage souligne et détaille les luttes politiques que se livrent les différents acteurs lors de l’élaboration des programmes. Il révèle l’usage qui peut en être fait pour s’adresser à un électorat spécifique ou à d’autres partis, en construisant des coalitions, ou encore les stratégies des candidats pour jouer sur la sémantique de formules imprécises contenues dans leurs programmes, voire pour enterrer discrètement une promesse de campagne une fois élus. Dans la conjoncture actuelle, marquée par une défiance croissante envers le système partisan et le personnel politique, une telle réflexion permet finalement de mesurer l’écart considérable entre la genèse d’un programme et sa mise en politique publique par le candidat élu dans le but de, précisément, mettre en œuvre ses engagements de campagne.

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Notes

1 Projet de recherche lancé dès 1979, à l’initiative de l’European Consortium for Political Research (ECPR). En s’appuyant sur le codage de plusieurs milliers de programmes électoraux, l’ECPR a produit de nombreuses comparaisons internationales de projets partisans, afin de mesurer les écarts des positions des partis entre eux et leurs variations dans le temps. Voir en particulier : Budge I., Robinson D. et Hearl D. (dir.), Ideology, Strategy and Party Change: Spatial Analysis in 19 Democracies, Cambridge, Cambridge University Press, 1987 ; Newton K., « Ian Budge. A life of writing ad organizing, walking, talking », in Bara J. Weale A. (dir.), Democratic Politics and Party Competition. Essays in honour of Ian Budge, New York, Routledge/ECPR, 2009 ; Volkens A., « Manifesto research since 1979 », in Laver M. (dir.), Estimating the Policy Position of Political Actors, New York, Routledge/ECPR, 2001.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Alexis Gibellini, « Nicolas Bué, Karim Fertikh, Mathieu Hauchecorne (dir.), Les Programmes politiques. Genèses et usages », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 19 juillet 2016, consulté le 09 novembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lectures/21152 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/lectures.21152

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Rédacteur

Alexis Gibellini

Étudiant en master administration et politiques publiques à l’Université Paris II Panthéon-Assas.

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