Navigation – Plan du site

AccueilLireLes comptes rendus2016François Fontaine, Franck Malherb...

François Fontaine, Franck Malherbet, CDD vs CDI. Les effets d’un dualisme contractuel

Alexandre Chevalier
CDD vs CDI
François Fontaine, Franck Malherbet, CDD vs CDI. Les effets d'un dualisme contractuel, Paris, Les Presses de Sciences Po, coll. « Sécuriser l'emploi », 2016, 100 p., ISBN : 978-2-7246-1890-7.
Haut de page

Texte intégral

1Depuis la fin des trentes glorieuses et de l’essor durable d’un chômage de masse, les contrats dits atypiques – alternatifs au CDI – ont progressivement constitué une réponse imparfaite afin de dynamiser l’emploi. Bien que le CDI demeure encore la norme, représentant, près de 86 % du salariat en 2013, le marché du travail est désormais teinté d’un dualisme fort. Ainsi, face à un statut stable et protecteur offert par le CDI, une part importante de la population connait une situation précaire, les CDD et l’interim reliant à l’emploi respectivement 9 % et 2 % des salariés. Les auteurs proposent donc, dans un ouvrage court, clair et remarquablement accessible d’analyser les causes et les effets de ce « dualisme contractuel ».

  • 1 On retrouve ici la théorie de la segmentation du travail élaborée par Piore et Doeringer (nternal l (...)

2Passant en revue de nombreuses recherches effectuées ces quinze dernières années, l’ouvrage rappelle que les contrats temporaires (intérim, CDD, contrat d’usage...) ne commencent à croître sensiblement qu’à partir des années 1980. Ils continueront à progresser jusqu’aux années 2000, atteignant le seuil d’environ 15 % de l’emploi salarié, et touchant majoritairement les jeunes et les moins qualifiés. Cependant, et c’est là un élément crucial, le dualisme a continué à s’intensifier par la diminution de la durée moyenne de ces contrats, notamment dans le secteur tertiaire : de 2000 à 2014, ceux de moins d’un mois sont passés de 45 à 75 %. La montée en puissance des contrats atypiques a bien provoqué de nombreuses réactions juridiques, les auteurs comptant, en France, pas moins de 17 réformes de 2005 à 2013. Cependant, ces réformes seraient trop timides. Elles résulteraient d’un compromis entre une volonté de réformer et la nécessité pour les décideurs de préserver leur capital politique. C’est ainsi que le recours aux contrats précaires s’est trouvé facilité, et que la législation concernant les emplois permanents n’a pas été impactée. L’effet pervers est alors mécanique : lors des ralentissements économiques, ce sont les plus précaires qui servent de variable d’ajustement1. Il y a ici un paradoxe saisissant. En effet, ces contrats atypiques sont théoriquement encadrés juridiquement de façon à ce que leurs recours ne s’inscrivent que dans une logique d’exception – remplacements, surcroîts d’activités, productions saisonnières de biens et services... Pourtant, dans la pratique, contracter de tels emplois est plus aisé. D’abord parce que la jurisprudence comme l’interprétation du droit du travail se sont avérées plus flexibles, ensuite parce que de nombreux contrats dérogatoires ont vu le jour. Les auteurs citent ainsi le cas du contrat d’usage, fréquemment utilisé dans certains secteurs spécifiques où l’activité tend à être plus fluctuante, et où le contrat temporaire est traditionnellement utilisé – hôtellerie/restauration, spectacle, sport... Ce dernier peut-être reconduit sans limitation, alors que le CDD ne peut en théorie l’être que deux fois et sur une durée cumulée inférieure à dix-huit mois. L’utilisation de tels contrats « encore plus flexibles » (p. 30) s’étendrait à la faveur d’une interprétation généreuse du code du travail. Certes, depuis quelques années, la force publique tente d’encadrer davantage ces types de contrats. Par exemple, depuis 2010 et sur intervention de la cour de cassation, le contrôle du juge est rétabli afin d’attester de la réalité temporaire de l’activité. Pour autant, l’usage de ces contrats dérogatoires ne faiblit pas, les travailleurs liés à ces secteurs précis et restreints étant sans doute réfractaires à l’idée de saisir les prud’hommes et d’ainsi compromettre leur employabilité future.

  • 2 On retrouve cette hypothèse dans le modèle Insiders/outsiders de Lindbeck et Snower (The Insider-Ou (...)

3Les auteurs s’attachent également à analyser les conséquences de ce dualisme pour les travailleurs concernés par ces contrats atypiques. Le premier aspect, et surtout le plus saillant – c’est d’ailleurs ainsi que les réformes les plus récentes sont légitimées par l’exécutif – est que cette dualisation rigidifie la structure même du marché du travail. Les créations comme les destructions d’emplois « protégés » seraient rendues difficiles, favorisant ainsi la pérennité des contrats précaires. La protection de l’emploi stable agirait ainsi comme vecteur d’incertitudes pour l’employeur qui – à quantité de main d’œuvre identique – préférerait ainsi disposer d’une part de contrat atypique afin de sécuriser sa position : « La protection de l’emploi décourage donc les embauches avec des contrats permanents et renforce la rétention de la main d’œuvre pour ceux-ci [...] » (p. 38). C’est ainsi que le dualisme renforcerait la précarité des salariés non détenteurs d’un contrat à durée indéterminée. Les auteurs montrent en effet que le CDD n’entraîne que très rarement une embauche en CDI : occuper de manière régulière un contrat atypique ne favorise pas la stabilité future, mais au contraire le passage au chômage ou à l’inactivité. Autre aspect important, les travailleurs précaires jouissent de salaires inférieurs à ceux des travailleurs stables : plus le marché du travail est dual, plus l’écart de rémunération entre les « protégés » et les « précaires » est important, notamment parce que les salariés protégés jouissent d’un pouvoir de négociation supérieur auprès de l’employeur2. De la même manière, ce déséquilibre se retrouve concernant la formation de la main d’œuvre : les travailleurs temporaires connaissent une probabilité de se voir proposer une formation inférieure de 27 % à celle des travailleurs en CDI, ce qui sape le capital humain des travailleurs instables et nuit à terme à la compétitivité de la main d’œuvre globale. On notera aussi les effets délétères des contrats atypiques sur la santé et le bien être des travailleurs précaires (p. 46).

4Les auteurs proposent ainsi certains axes de réformes afin de diminuer les degrés de dualisme du marché du travail et, par conséquent, de lutter contre ses effets pervers. Le premier axe de réforme proposé est de diminuer l’incertitude liée à une embauche en CDI, principalement en réduisant les coûts de licenciement – ces derniers étant considérés comme des obstacles à abattre afin de faire du CDI une « norme contractuelle » (p. 85). Les auteurs portent d’ailleurs un regard bienveillant sur le « Jobs Act » mis en place par le gouvernement de Matteo Renzi. Cette profonde réforme du marché du travail italien se propose notamment de simplifier les procédures de licenciement, de mettre en place un contrat de travail à droit progressif (qui densifie les droits des salariés à mesure que ces derniers prennent de l’ancienneté dans l’entreprise), de réformer le système d’assistance chômage (rendant dégressif l’allocation dès le quatrième mois d’indemnisation)... L’ouvrage se penche également sur le rôle potentiel des incitations fiscales, prenant appui sur le système américain d’expérience rating, qui module les cotisations versées par l’entreprise selon le coût que cette dernière fait supporter à l’assurance chômage. Autrement dit, plus une entreprise a recours à des contrats précaires, plus ses cotisations sociales augmentent. Il s’agit donc de faire peser dans ses décisions d’embauches le poids social du recours aux contrats atypiques. Les auteurs présentent ainsi plusieurs séries de réformes faites à l’étranger, rappelant que celles mises en place en France dernièrement restent, selon eux, trop timorées.

5CDD vs CDI est un ouvrage de qualité. Simple, pédagogique, allant à l’essentiel, il permet au lecteur néophyte en la matière de suivre avec aisance l’exposé des auteurs. La lecture, pour ceux qui s’intéressent à cette problématique, est à conseiller ; surtout comme première approche. On regrettera cependant un appui assez faible sur les recherches fondatrices et les modèles initiaux, le matériel de recherche étant exclusivement constitué d’articles datant pour les plus anciens du début des années 2000. On retiendra cependant que l’objectif des auteurs n’est pas de constituer un état de l’art, mais bien un ouvrage abordable sur un phénomène actuel. On pourra également émettre certaines réserves sur la partialité de l’ouvrage. Il n’y a rien à reprocher à ce que des économistes défendent certaines réformes ou appuient certaines nécessités de réformes ; encore moins quand ce travail est argumenté et documenté comme ici. Il peut toutefois sembler regrettable que les auteurs n’affirment jamais clairement leurs filiations théoriques, les diluant dans un discours certes économique et à portée scientifique, mais trop unilatéral pour susciter une réflexion réellement exhaustive à même d’éclairer finement les controverses actuelles. Cela d’autant plus que l’ouvrage s’adresse au grand public, pas nécessairement au fait du pluralisme qui demeure - malgré tout - dans les sciences économiques...

Haut de page

Notes

1 On retrouve ici la théorie de la segmentation du travail élaborée par Piore et Doeringer (nternal labour markets and manpower analysis, 1971). Selon ce modèle, le marché du travail se divise entre un marché primaire, constitué de salariés disposant d'un fort capital humain, productifs, protégés par des contrats stables, et un marché secondaire plus précaire, moins protecteur, absorbant les fluctuations économiques et les variations des coûts de production. On peut d'ailleurs s'étonner que les auteurs ne citent jamais expressément ces travaux, certes plus anciens, mais dont la filiation reste claire.

2 On retrouve cette hypothèse dans le modèle Insiders/outsiders de Lindbeck et Snower (The Insider-Outsider Theory of Employment and Unemployment, 1985) qui suppose que le marché du travail se construit de manière duale entre des outsiders, aux salaires faibles, précaires, souvent jeunes et des insiders, mieux rémunérés et protégés par une rente de situation qui s'explique par un pouvoir de pression et d'influence important sur l'entreprise, notamment à travers les représentants syndicaux qui défendent leurs intérêts au détriment des insiders.

Haut de page

Pour citer cet article

Référence électronique

Alexandre Chevalier, « François Fontaine, Franck Malherbet, CDD vs CDI. Les effets d’un dualisme contractuel », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 31 mai 2016, consulté le 07 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lectures/20888 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/lectures.20888

Haut de page

Droits d’auteur

Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés), sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

Haut de page
Rechercher dans OpenEdition Search

Vous allez être redirigé vers OpenEdition Search