Hélène Combes, David Garibay, Camille Goirand (dirs), Les lieux de la colère. Occuper l’espace pour contester, de Madrid à Sanaa
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1Bien que la dimension spatiale apparaisse comme centrale dans la structuration des mobilisations, elle reste un aspect sous exploité dans les recherches en sciences sociales et constitue bien souvent un impensé sociologique. Cet ouvrage contribue donc à donner plus de visibilité à l’espace et aux apports d’une approche spatialisée dans la compréhension des mobilisations. Les différentes contributions offrent à penser la centralité de l’espace dans les contestations à partir d’une grande diversité de terrains et d’approches.
2La première partie traite de « La construction symbolique de la mobilisation par l’espace ». Tout d’abord, Anahi Alviso-Marino s’intéresse à la mobilisation sur la Place du Changement à Sanaa au Yémen et son inscription dans l’espace, notamment au travers de la photographie. L’enregistrement de la contestation, via la photographie, a permis d’« ériger la Place en symbole politique de la contestation » (p. 36) mais aussi de sensibiliser le public et de mobiliser des soutiens. L’obtention de soutiens qui traversent les espaces sociaux et spatiaux est une dimension essentielle dans les mobilisations et cela ressort dans un certain nombre de contributions de l’ouvrage. Ainsi, Marie Laure Geoffray montre comment le mouvement des dames en blanc, mères et épouses des prisonniers politiques à Cuba, a pu bénéficier d’un soutien médiatique et transnational notamment au travers de la diaspora. Soutien qui a contribué à transformer le mouvement des dames en blanc en problème public pour le gouvernement cubain et a conduit à la libération des prisonniers après sept ans de mobilisation. Ce soutien a émergé lorsque les dames en blanc ont commencé à investir des espaces centraux et urbains, une extension spatiale qui a permis au mouvement de gagner en visibilité tant à un niveau local qu’international. Dans la continuité, Tudi Kernalegenn s’intéresse à la grève de l’usine du Joint français (1972) à Saint Brieux en Bretagne. L’auteur souligne comment cette grève ouvrière localisée s’est peu à peu transformée en mouvement social à une échelle régionale puis nationale. À mesure que ce mouvement a connu une expansion dans l’espace, les revendications sont montées en généralité. L’obtention d’une solidarité externe à l’usine a permis la victoire de cette grève érigée en symbole par les mouvements de gauche et d’extrême gauche.
3La seconde partie permet d’examiner la façon dont l’espace contribue à façonner les identités militantes. Ainsi Franck Gaudichaud montre, en prenant l’exemple de la mobilisation chilienne (1970-1973), comment l’espace industriel et la concentration ouvrière ont pu jouer un rôle central dans ce cycle protestataire en favorisant l’émergence d’une identité militante et en facilitant « la constitution d’espaces de luttes » (p. 132). L’auteur souligne la façon dont l’espace détermine l’action mais aussi comment il contribue à maintenir l’engagement individuel. Doris Buu-Sao souligne quant à lui la plurivocité et la multiplicité des engagements des indiens en milieu urbain au Pérou. L’ethnicisation de la mobilisation, qui prend forme autour d’une identité indigène, conduit bien souvent au rejet des projets miniers et pétroliers. Toutefois, l’auteur observe également des alliances entre des indigènes et des compagnies pétrolières. « L’engagement dans des réseaux d’alliance a priori contradictoires pourrait apparaître comme un double jeu entre l’espace public de l’action collective et l’espace privé des stratégies de subsistance individuelle. » (p. 166-167). Sur une thématique plus locale, la contribution d’Aurélie Llobet, sur les enseignants du secondaire montre, à partir d’une analyse des interactions quotidiennes, comment l’espace de travail peut être investi comme une instance de socialisation politique et contribuer à façonner l’action collective. Cette contribution souligne également la façon dont « les sociabilités locales proposées par les sections syndicales créent de l’investissement. (…) En focalisant le débat sur des préoccupations locales et en enlevant les étiquettes politiques, les plus politisés parviennent alors à impulser des formes de protestations collectives. » (p. 190).
4La troisième partie s’intéresse à la façon dont l’espace est contrôlé et façonné par les militants et les mobilisations. Ainsi, Héloïse Nez s’intéresse à la dimension spatiale des débats dans les assemblés des Indignados en Espagne. L’auteure souligne la façon dont la structuration de l’espace utilisé dans les assemblées publiques façonne les débats citoyens. Si l’occupation de places publiques se voulait garante de débats ouverts, inclusifs et accessibles à tous, le déplacement de ses réunions vers des lieux fermés, a provoqué un repli et un entre soi aussi bien social que spatial. Les conditions de délibération sont donc profondément impactées par le type d’espace où se déroulent les débats. Dans cet esprit, Martin Baloge souligne que l’espace peut devenir un outil de contrôle du débat et de la critique à partir de l’étude du contrôle de l’espace par les dirigeants du parti socialiste sur leurs militants. L’auteur montre ainsi comment les dirigeants du parti socialiste utilisent l’espace et « parviennent à contenir la critique militante lors des réunions publiques en mobilisant un ensemble de techniques adapté en fonction des configurations spatiales qu’ils doivent gérer » (p. 239). Sur un autre plan, Stéphane Tonnelat a recours à la notion de carrière pour comprendre le façonnement et le devenir de la jetée 84 à Manhattan. Cet interstice urbain à New York a conduit à la coexistence de deux formes d’engagements distincts. Grâce à une étude longitudinale, cette contribution montre comment l’espace a été, au cours des années, façonné par deux conceptions distinctes de l’espace, l’une le percevant comme un « espace libre » et l’autre comme un « bien commun ».
5La quatrième partie, intitulée « Les mobilisations en mouvement », montre l’importance de considérer la mobilité et la circulation des acteurs au travers des espaces sociaux et géographiques. La contribution de Sylvie Ollitrault porte sur la mobilisation des bénévoles de Greenpeace et des agriculteurs biologiques et souligne comment des acteurs localisés et ancrés géographiquement peuvent recourir à des critiques universalistes. Leur critique qui traverse les espaces devient alors un enjeu mondialisé. Dans la continuité, Julie Métais s’intéresse aux multi-engagements des instituteurs d’Oaxaca au Mexique. L’auteure souligne combien la mobilisation est ancrée dans de multiples espaces et requiert une capacité à faire le lien entre ces différents espaces aussi bien spatiaux que sociaux. Cette dense circulation permet le transfert de ressources et de compétences et amène à « comprendre certains aspects des relations existant entre micro-politique quotidienne et larges mobilisations syndicales, entre formes conventionnelles et non conventionnelles de la politique à Oaxaca » (p. 320). Toujours dans cet esprit, Charlotte Pujol s’intéresse à la mobilisation des chômeurs de Rosario en Argentine. Elle souligne que considérer « les usages et l’occupation des espaces publics, permet d’en saisir les enjeux non seulement spatiaux, mais aussi sociaux et politiques » (p. 325). Le rapport à l’espace est ainsi renouvelé par un engagement qui amène à effectuer des va-et-vient constants entre le quartier et le centre urbain. Si l’occupation de l’espace urbain rend visible une citadinité illégitime elle favorise également une ouverture vers l’ailleurs. Dans la continuité, Stéphanie Guyon s’intéresse à l’engagement des associations amérindiennes et businenge de Guyane. En soulignant les rapports de pouvoir qui se tissent entre les différents groupes et acteurs sur le terrain, l’auteur souligne comment la participation associative peut constituer une transformation et un prolongement de la domination coloniale. Les responsables associatifs, qui fondent leur légitimité sur la combinaison de compétences scolaires et de mobilités géographiques, deviennent les nouveaux intermédiaires entre les élus et les électeurs. Ainsi, « les différents espaces locaux (quartiers, villages, sous-localités à l’intérieur même de ces villages) forment la matrice de cette participation associative qui parfait l’implantation clientélaire du maire. » (p. 366).
6Cet ouvrage permet donc, au travers de nombreuses contributions, de percevoir la plus-value que représente l’adoption d’une approche spatialisée pour aborder les mobilisations et les mouvements contestataires. La pluralité des angles d’approche et l’originalité des terrains mobilisés ne font que souligner que l’espace constitue un aspect essentiel à notre compréhension des mobilisations.
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Referencia electrónica
Ellie Mevel, « Hélène Combes, David Garibay, Camille Goirand (dirs), Les lieux de la colère. Occuper l’espace pour contester, de Madrid à Sanaa », Lectures [En línea], Reseñas, Publicado el 31 mayo 2016, consultado el 12 diciembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lectures/20887 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/lectures.20887
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