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Patricia Ménissier, Être mère, XVIIe-XXIe siècle

François-Ronan Dubois
Etre mère XVIIIe-XXIe siècle
Patricia Ménissier, Etre mère XVIIIe-XXIe siècle, Paris, CNRS, 2016, 206 p., ISBN : 978-2-271-08913-7.
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Texte intégral

1Alors que la Fête des Mères, comme chaque mois de mai, est l’objet d’appropriations diverses et contrastées et que les discussions se poursuivent, un peu partout en Europe, autour des problèmes liés à la procréation médicalement assistée et à l’adoption, alors que dans certains pays, comme la Pologne, le débat sur l’avortement est toujours vif, il est certain qu’un ouvrage consacré à la maternité à travers les siècles, depuis l’époque moderne jusqu’à nos jours, est digne du plus grand intérêt. Avec sa perspective longue et son style pédagogique, Patricia Ménissier offre ici un travail d’histoire culturelle qui se veut à la fois une synthèse des différentes études consacrées à la question ces dernières années et une introduction aux réflexions plus développées que celle-ci est susceptible de susciter.

2L’ouvrage se compose de trois chapitres, d’une introduction et d’une conclusion, d’une bibliographie synthétique et d’un glossaire d’une cinquantaine de termes, qui permet de mieux comprendre l’histoire de la maternité et de ses institutions. Il est bon de signaler d’emblée que le propos concerne essentiellement la France, quoique l’auteure ne s’interdise pas de faire parfois référence à des problématiques d’autres pays et, bien sûr, à des recherches en langue anglaise. La plupart du temps, chaque chapitre adopte une manière spécifique de considérer l’histoire de la maternité : à travers ses représentations d’abord, à travers son histoire ensuite et, enfin, à travers la diversité des situations particulières du XXIe siècle.

3Le premier chapitre, « Mères de fiction » (pp. 17-66), s’appuie sur quelques grandes représentations littéraires pour mettre en évidence la consistance des différents problèmes dessinés par l’introduction. P. Ménissier y montre de quelle manière la mère n’est devenue que progressivement un personnage digne d’intérêt pour les littérateurs, après avoir été longtemps tenue dans l’ombre du personnage paternel, qui gouvernait seul aux destinées des enfants. C’est avec l’œuvre de Rousseau et surtout avec Julie ou la Nouvelle Héloïse qu’un véritable intérêt pour la figure maternelle se développe, un intérêt qui tend à faire de la mère un être destiné par sa nature à se préoccuper exclusivement et intimement de ses enfants. Ce thème de l’amour maternel, appelé par la suite à une riche fécondité littéraire et sociale, donne naissance à toute une typologie de figures maternelles, certaines conforment à l’idéal rousseauiste, auquel se mêlent plus tard, au XIXe siècle, sous la plume de Zola par exemple, des préoccupations natalistes, d’autres, au contraire, qui s’attachent à souligner les imperfections maternelles. En miroir de la mère parfaite se développe ainsi une littérature de la mère coupable, trop sévère, égoïste ou brutale, qui est le plus souvent perçue comme une mère dénaturée. Dans l’ensemble, les représentations de la mère à partir du XVIIIe siècle tendent à naturaliser et sentimentaliser la fonction maternelle pour la femme : toute femme est par nature une mère et la mère est par nature aimante. La maternité est à la fois une destinée biologique et une exigence morale, par rapport à laquelle toute déviation constitue une perversité. Or, l’essentiel de cette production littéraire émane d’auteurs masculins et il faut attendre, semblerait-il, la seconde moitié du XXe siècle pour voir se développer de manière significative des écrits maternels produits par des femmes, qui tentent d’explorer la réalité intime de la maternité et proposent alors un discours ambigu ou nuancé.

4Le deuxième chapitre, « Identité de femme, identité de mère » (p. 67-114), s’attache à explorer les idéologies qui sous-tendent ces représentations littéraires et les mesures concrètes auxquelles elles aboutissent dans la société au fil de l’histoire. Il reprend donc l’histoire littéraire exposée dans le premier chapitre et montre que, au regard des siècles successifs, les quelques décennies des XVIIe et XVIIIe siècles pendant lesquelles l’engendrement est découplé de la maternité et où les fonctions de soins sont déléguées à d’autres que la mère, particulièrement dans l’aristocratie, constituent une parenthèse qui précède la naturalisation de la maternité féminine et intime, dans le sillage des écrits de Rousseau. Bien entendu, l’histoire n’est pas univoque et si l’exigence d’une maternité intime et la responsabilité des soins pèsent de plus en plus sur celle qui engendre, nombreuses sont les femmes, quand elles en ont les moyens, à recourir, même au XIXe siècle, aux services des nourrices, qui sont d’ailleurs gérées par une administration spécifique. Plus largement, à l’idéal de la mère féconde et prolifique qui s’accomplit naturellement dans l’engendrement et le soin s’opposent des pratiques qui, de la mise en nourrice à l’abandon ou l’avortement, font bien sentir la tension inhérente à la maternité. Il faut dire que l’exercice de l’idéal de la maternité tel qu’il est alors prescrit fait peser de lourdes contraintes socio-économiques sur la mère, d’une part, et que d’autre part, en vis-à-vis du discours nataliste des XIXe et XXe siècle, se développe un discours malthusien qui tend à limiter les naissances. La situation devient d’autant plus complexe que le développement d’un discours féministe et les premiers signes d’une indépendance professionnelle des femmes, pendant la Première Guerre Mondiale, font émerger des revendications atypiques. Celles-ci cependant ont bien du mal à résister au retour en force du discours nataliste, durant l’entre-deux-guerres, quand la tâche de la repopulation nationale parait incomber aux femmes. C’est ainsi en 1918 qu’on adopte la Fête des Mères, à la même époque où la lutte contre l’avortement conduit à une application beaucoup plus stricte des lois existantes. Parallèlement, une réflexion se développe autour de la valorisation sociale et financière de la fonction maternelle et de la protection dont celle-ci doit jouir, une réflexion portée à la fois par les féministes et par les natalistes, quoique selon des modalités parfois bien différentes. La relation entre femme et maternité fait donc l’objet de négociations très diverses à l’intérieur même de chaque mouvement idéologique. Il faut attendre la seconde moitié du XXe siècle pour que se résolve une partie de ces tensions, avec la légalisation de certaines pratiques abortives et le développement, en France, d’une protection sociale spécifique à la situation de maternité. Il faut préciser que la situation française est à ce titre assez spécifique cependant : le congé maternité y est bien développé et l’usage des contraceptifs somme toute assez rare, ce qui explique en partie un taux de natalité assez élevé pour un pays d’Europe de l’Ouest.

5Les discussions autour de la maternité sont cependant loin d’être résolues, comme l’explique le troisième et dernier chapitre, « Être mère dans la société : une donnée à géométrie variable » (p. 115-178). Les progrès des pratiques médicales, par exemple, ont entrainé l’apparition de toutes sortes de situations qu’il aurait été auparavant difficile de prévoir : ainsi une mère, qui était devenue tout à la fois celle qui conçoit par l’acte sexuel, engendre par l’accouchement et éduque par les soins un enfant, peut désormais n’assurer que l’une de ces fonctions. Les mères porteuses, les mères adoptives, les donneuses d’ovules sont autant de figures qui échappent au moins en partie à la définition canonique de la maternité, plus encore lorsque leur identité, au sein d’un couple lesbien, n’est pas construite au miroir de la figure paternelle, qu’on avait fini par tenir pour un essentiel contrepoint de la maternité. Ces situations qui n’ont rien de théorique invitent la société à prendre des mesures éthiques et juridiques pour réguler les pratiques et organiser le réel. Même des situations extrêmement courantes, comme la monoparentalité ou les familles recomposées, exigent une adaptation des règles et des pratiques. Quels droits et quels devoirs régissent, par exemple, la relation entre la belle-mère et les enfants de son conjoint ou de sa conjointe ? La mère d’un enfant accouché sous X, qui juridiquement n’a jamais accouché, est-elle encore une mère ? Patricia Ménissier montre que ces questions sont, pour l’heure, encore largement irrésolues. De la même manière, le rapport conflictuel entre l’idéal d’une maternité tourné vers le soin de l’enfant et l’émancipation professionnelle et financière des femmes n’est toujours pas satisfaisant, puisque les inégalités entre les hommes et les femmes sont à cet égard toujours sensibles. Psychologiquement, la situation est d’autant plus complexe que le développement des pratiques contraceptives, s’il a donné une plus grande liberté biologique aux femmes, a aussi fait de l’enfant un enfant choisi, une situation qui imposerait plus de responsabilités à son égard et donc un engagement plus grand et plus intime dans son éducation.

6En somme, si, en France, les récents débats autour de l’homoparentalité ont eu tendance à réduire la réflexion autour de la maternité à la seule question de la gestation pour autrui, l’ouvrage précieux de Patricia Ménissier, par sa contextualisation historique, montre que les problèmes sont beaucoup plus nombreux, tant sur le plan éthique et juridique qu’économique et social. Devant une pareille situation, on ne peut que recommander chaudement la lecture de ce livre d’une grande pédagogie et d’une grande diversité documentaire.

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Pour citer cet article

Référence électronique

François-Ronan Dubois, « Patricia Ménissier, Être mère, XVIIe-XXIe siècle », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 30 mai 2016, consulté le 12 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lectures/20886 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/lectures.20886

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Rédacteur

François-Ronan Dubois

Professeur de sciences humaines à l’École nationale d’Ingénieurs de Brest, agrégé de lettres modernes, doctorant en littérature française à l’université de Grenoble-Alpes.

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