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Aude Fauvel, Jérôme Michalon et Rémy Amouroux, « Les sciences du psychisme et l’animal », Revue d’histoire des sciences humaines, n° 28, janvier 2016.

Nadia Veyrié
Les sciences du psychisme et l'animal
Aude Fauvel, Jérôme Michalon, Rémy Amouroux (dir.), « Les sciences du psychisme et l'animal », Revue d'histoire des sciences humaines, n° 28, janvier 2016, 293 p., Paris, Éditions de la Sorbonne, ISSN : 1622-468X, ISBN : 978-2-85944-938-4.
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Texte intégral

1Dans ce numéro, Aude Fauvel et Rémy Amouroux, historiens, ainsi que Jérôme Michalon, sociologue, présentent un dossier thématique sur les « liens », du XIXe siècle à nos jours, entre les animaux et les humains, notamment quand l’animal devient un véritable objet de recherche dans les sciences du psychisme. Si les animaux sont des cobayes en vue de la production d’un savoir scientifique, peuvent-ils être également des inspirateurs, voire des « partenaires de travail » pour les humains qui les étudient ? Quelle place avons-nous accordé aux animaux ? Nous proposons ici de dévoiler des pistes de réflexion à partir de quelques articles sélectionnés.

  • 1 Cf. Damien Baldin, Histoire des animaux domestiques (XIXe-XXe siècle), Paris, Seuil, 2014. Voir aus (...)

2En premier lieu, l’évolution de la place des animaux domestiques au sein de la société française est étudiée par Damien Baldin, doctorant à l’EHESS1, au XIXe siècle. En fait, l’auteur interroge le sens donné à l’animalité : est-elle ce qui relie l’homme et l’animal ou ce qui les distingue ? Il rappelle alors que le XIXe siècle manifeste un double intérêt pour les animaux. Tout d’abord, un attachement aux animaux dits de compagnie se développe et se renforce. De ce fait, une protection animale est mise en œuvre. Des « sentiments zoophiles » sont évoqués, c’est-à-dire la manifestation d’une sympathie envers les animaux. Ensuite, du fait d’animaux errants ou abattus sur la place publique, des mesures pour une hygiène publique sont mises en place : fourrières et abattoirs hors de la cité. En fait, « le spectacle de la mort et de l’écoulement de sang des animaux devient intolérable » (p. 35). L’animal errant est craint comme risque d’agression, il doit aussi être « maîtrisé »par son propriétaire.

  • 2 Marcel Agulhon, « Le sang des bêtes. Le problème de la protection des animaux en France au XIXe siè (...)

3Pourtant, peu à peu, comme le démontre l’auteur, la Société protectrice des animaux, créée en 1845, mais réellement visible en 1860 par sa reconnaissance en utilité publique, fait partie d’une mouvance prônant une éducation morale des hommes qui développent des« mœurs bestiales » envers les animaux. Marcel Agulhon écrit à ce sujet : « [On] espérait qu’en réfrénant cette violence mineure, on aiderait à réfréner la violence majeure des humains entre eux. La protection des animaux voulait être une pédagogie […]. C’était un problème de relation à l’humanité, et non de relation à la nature »2.Par la suite, ce sont des actions directes auprès des animaux qui seront souhaitées et mises en œuvre. En fait, l’enjeu de contrôler l’animal n’est-il pas de nature politique révélant ainsi la maîtrise d’une classe sociale qui fait crainte ?

  • 3 Du même auteur, cf. : « De l’aliénisme à la psychiatrie. Triomphes et déboires de la médecine de la (...)
  • 4 Valentin Magnan, « La folie des antivivisectionnistes », in Recherches sur les centres nerveux. Pat (...)

4Ensuite, Aude Fauvel3, historienne et chercheur libre à l’Institut d’histoire de la médecine et de santé publique à Lausanne, dans un article audacieux, prolonge cette exploration des frontières entre l’homme et l’animal. L’auteur propose l’exploration d’un discours psychiatrique méconnu au XIXsiècle sur les inquiétudes développées par les psychiatres français – les aliénistes –au sujet du partage de l’intimité entre humains et animaux. Mais de quelle intimité est-il question ? L’auteur interroge notamment les théories et expériences du Docteur Valentin Magnan quant au report d’amour trop important de certains individus sur leurs animaux pouvant conduire à des comportements délirants et du Docteur Charles Féré qui démontre que les animaux de maîtres « déséquilibrés »risquent aussi de le devenir (« la folie à deux »)4.

5Cette histoire de la psychiatrie, focalisée sur les animaux, n’est-elle pas aussi significative de tensions en son sein ? Que révèle, en effet, cette crainte de l’animal ?

6Des sentiments zoophiles évoqués dans l’article de Damien Baldin, c’est-à-dire des sentiments d’amis des animaux, la zoophilie est, peu à peu, considérée comme un désordre mental qui provoque une sexualité et une perversion sexuelle envers les animaux. Aujourd’hui, la zoosexualité est évoquée comme une orientation sexuelle (les « zoo »).

  • 5 Marie Bonaparte, Topsy, les raisons d’un amour, Paris, Payot et Rivages, 2004. Voir aussi Virginia (...)

7Dans le prolongement de cette réflexion, Rémy Amouroux, psychologue à l’Institut de psychologie de l’Université de Lausanne, décrit, au XXe siècle, le cas de Marie Bonaparte, analysée par Sigmund Freud, qui publia, en 1937, un ouvrage sur sa chienne Topsy, un chow-chow, atteinte d’un cancer à la mâchoire5. Hormis un amour envers son chien, cet ouvrage témoigne des « sociabilités canines » entre les instigateurs de la psychanalyse, notamment Freud. Toutefois, quelle est l’intention de son auteur en publiant cet ouvrage non scientifique ?

  • 6 Jérôme Michalon, Panser avec les animaux. Sociologie du soin par le contact animalier, Paris, Press (...)

8Enfin, Jérôme Michalon, sociologue, explique les interactions humains/animaux à but thérapeutique (IAT), c’est-à-dire plus généralement les différentes pratiques de « soin par le contact animalier »6. Il propose alors une étude de la littérature américaine publiée entre les années 1960 et 1985 au travers des travaux de Boris Levinson, psychologue, Samuel et Élisabeth Corson, psychiatres, David Lee, travailleur social en milieu psychiatrique.

9À chaque exemple, la prise en compte des réactions des êtres humains au contact des animaux avance peu à peu. Ainsi, dans les années 1970, les Corson installèrent un espace canin au sein de l’hôpital et purent en observer les effets sur de jeunes patients : « Si bien que certains d’entre eux, des adolescents mutiques depuis leur entrée à l’hôpital, sortirent du silence pour demander quand ils pourraient aller rendre visite aux chiens, s’en occuper et jouer avec eux » (p. 143).

10Le fait que des thérapeutes soient à l’origine de ces travaux développe un intérêt différent pour l’animal que celui développé, par la suite, en vue de production d’enquêtes épidémiologiques. Quel est l’envers de ces grandes enquêtes en comparaison avec une approche thérapeutique ? « Au lieu de comprendre la signification in situ, on a quantifié l’importance et attribué une signification uniquement statistique. De plus, la question de l’inclination des êtres, de leur volonté de construire une signification commune à ce qu’ils vivent, s’est vue pareillement exclue du champ des possibles » (p. 158) ?

11La fonction de partenaire de travail est-elle alors possible ? Nous laisserons le lecteur prendre connaissance de ce numéro qui montre comment l’animal, source de crainte et de fascination, est devenu un véritable objet d’étude.

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Notes

1 Cf. Damien Baldin, Histoire des animaux domestiques (XIXe-XXe siècle), Paris, Seuil, 2014. Voir aussi les travaux d’Éric Baratay, notamment : Le Point de vue animal. Une autre version de l’histoire, Paris, Seuil, 2012.

2 Marcel Agulhon, « Le sang des bêtes. Le problème de la protection des animaux en France au XIXe siècle », Romantisme, n° 31, 1981, p. 81.

3 Du même auteur, cf. : « De l’aliénisme à la psychiatrie. Triomphes et déboires de la médecine de la folie au XIXe siècle », in Claire Barrille et Frédéric Tristram, Les Hôpitaux parisiens au XIXe siècle. La naissance de la santé publique, Paris, Action artistique de la Ville de Paris, 2007, p. 213-224.

4 Valentin Magnan, « La folie des antivivisectionnistes », in Recherches sur les centres nerveux. Pathologie et physiologie pathologique, Paris, Masson, 1876-1893, p. 269-277 et Charles Féré, « La folie communiquée de l’homme aux animaux », in Comptes rendus des séances de la Société de biologie et de ses filiales, Paris, Masson, 1893, p. 204-208.

5 Marie Bonaparte, Topsy, les raisons d’un amour, Paris, Payot et Rivages, 2004. Voir aussi Virginia Woolf, Flush : une biographie, Paris, Le Bruit du temps, 2010.

6 Jérôme Michalon, Panser avec les animaux. Sociologie du soin par le contact animalier, Paris, Presses des Mines ParisTech, 2014.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Nadia Veyrié, « Aude Fauvel, Jérôme Michalon et Rémy Amouroux, « Les sciences du psychisme et l’animal », Revue d’histoire des sciences humaines, n° 28, janvier 2016. », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 24 mai 2016, consulté le 09 octobre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lectures/20866 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/lectures.20866

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Rédacteur

Nadia Veyrié

Docteur en sociologie, chercheur associé au Centre d’étude et de recherche sur les risques et les vulnérabilités, Université de Caen.

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