Catherine Armstrong, Using Non-Textual Sources. A Historian’s Guide
Texte intégral
- 1 Antoine Prost, Douze leçons sur l'histoire, Éditions du Seuil, Paris, 1996. Cité p. 81.
1La richesse de l’histoire tient en partie à la possibilité de recourir à une grande multiplicité de sources. Dans ses Douze leçons sur l’histoire, Antoine Prost fait siennes les paroles de Robin Collingwood, selon lesquelles « les sources sont sources quand quelqu’un les regarde historiquement »1. L’historien peut ainsi mobiliser toutes les sources à sa disposition à condition d’en faire une étude critique et de leur poser une question pertinente du point de vue de sa recherche historique. Longtemps les historiens ont accordé un primat aux sources écrites afin de faire avancer la connaissance historique. Cette valorisation de l’écrit se retrouve dans la plupart des sociétés contemporaines. Depuis les années 1960, l’usage d’une multiplicité de sources s’est néanmoins répandu, avec notamment l’élaboration de l’histoire orale. Le recours à une diversité de sources permet, outre une vision plus réaliste d’événements passés, d’étudier de nouveaux objets et acteurs historiques.
2Face aux potentialités nouvelles ouvertes, l’ouvrage de Catherine Armstrong permet de donner un contenu théorique à l’usage de sources non-écrites. Assistante à l’université de Loughborough au Royaume-Uni, l’auteure propose un manuel didactique, principalement destiné à des étudiants débutant leur cursus en première année, mais pouvant être d’une grande utilité pour tout chercheur. Avec cet ouvrage, Catherine Armstrong prétend montrer la richesse des sources non-écrites pour l’entreprise historique et appelle ses lecteurs à recourir aux méthodes établies par les autres disciplines des sciences sociales. Ce manuel est un plaidoyer en faveur de l’usage de telles sources afin de mettre au jour de nouveaux questionnements historiques. L’auteure appelle ainsi à « accorder à ces sources le respect qu’elles méritent […] en leur posant les mêmes types de questions que l’on pourrait poser à une source écrite » (p. 7).
3Le principal apport de cet ouvrage est sa faculté à combiner des considérations théoriques à des études de cas qui permettent de mettre en relief les potentialités de l’usage de sources non-écrites. Outre ces éléments théoriques et pratiques, l’auteure met en avant les ponts que l’étudiant en histoire doit établir entre sa discipline et le reste des sciences sociales, afin d’acquérir les compétences nécessaires à la lecture de sources non-écrites. Catherine Armstrong évoque ainsi l’usage des images, d’éléments audiovisuels, d’objets et d’éléments d’architecture en ayant recours à de nombreux exemples. Il s’agit là de ne pas limiter l’usage de ces sources à de simples illustrations d’écrits, mais bien de les penser comme des sources primaires à part entière.
4Dans le chapitre introductif de ce manuel, Catherine Armstrong défend la nécessité pour les historiens de profiter des enseignements d’autres domaines des sciences sociales dans l’approche des sources non-écrites. La pluridisciplinarité représente ainsi un important potentiel pour le développement de compétences dans la lecture de ces différents types de sources. Face à ces méthodes, l’historien se doit néanmoins de conserver sa posture critique en posant la question du contexte historique de production de la source et de sa réception par ses contemporains. L’auteure aborde dans ce chapitre différentes disciplines comme l’histoire de l’art, les études cinématographiques, l’archéologie ou encore l’architecture. Toutes ces disciplines s’attachent à l’étude d’un type de sources non-écrites particulier et l’histoire doit profiter de leurs enseignements afin d’élaborer des méthodes d’analyse.
5Le deuxième chapitre s’attache à l’analyse des images. Selon Catherine Armstrong, la lecture de ces documents visuels doit passer par une série de questions : qui est l’auteur, pourquoi cette image a-t-elle été produite, son contexte de production et enfin les techniques utilisées. L’auteure souhaite démontrer dans ce chapitre que l’image doit être conçue comme une représentation de la réalité produite par un auteur (le photographe ou l’artiste), un contexte, à partir des techniques de production disponibles à une époque donnée. Pour le chercheur en histoire, il s’agit d’ancrer la description de l’image dans son contexte historique de production. Catherine Armstrong pointe aussi le risque de manipulation de ces images et appelle à les questionner. La deuxième partie de ce chapitre est consacrée à des études de cas d’une grande variété mêlant peinture, photographies et dessin de presse.
- 2 Paul Thompson, The Voice of the Past. Oral History, Oxford University Press, New York, 1984.
6Les sources audiovisuelles sont l’objet du chapitre suivant. L’auteure y aborde les films de fiction ou documentaires, la télévision ou encore les enregistrements audio résultant de programmes de radio et d’entretiens. Étant données les évolutions rapides de ces technologies, il convient de questionner les conditions de production de ces sources. Catherine Armstrong pose l’importante question de la réception de ces documents audiovisuels par les publics de l’époque. Elle propose de suivre la théorie de la réception, développée par Stuart Hall et articulée autour des notions de codage et décodage. L’auteure aborde dans ce chapitre l’histoire orale et ses potentialités. Catherine Armstrong reprend la ligne définie par Paul Thompson dans son ouvrage The Voice of the Past2, en évoquant une « histoire par le bas » qui mobiliserait de nouveaux objets historiques s’appuyant sur la vie des ordinary people. La présence de l’historien au cours de la production de ces sources orales fait de l’histoire orale une méthode à part entière permettant de poser notamment la question de la mémoire.
7Les cas étudiés dans ce chapitre montrent une nouvelle fois l’incroyable diversité des sources non-écrites. Catherine Armstrong y évoque des exemples de films, de musiques populaires ou encore de programmes de recueil d’histoire orale. Le cas du Federal writers’programme mis en place par Franklin Roosevelt pendant la Grande Dépression est particulièrement intéressant, puisqu’il a permis le recueil de témoignages de populations jusqu’alors marginalisées. Le recours à l’histoire a permis, dans le cadre d’une société fortement clivée, de réintroduire ces mémoires oubliées dans l’histoire nationale.
8Le quatrième chapitre est consacré à l’étude d’éléments de culture matérielle. L’auteure y distingue principalement les objets, l’architecture et les monuments. Catherine Armstrong avance que « ’’les objets’’ unissent les histoires micro et macro » (p. 98), montrant ainsi leur potentiel dans la reconstitution du quotidien. Il s’agit alors de poser la question de la description physique de ces objets, de leur processus de production et de sa consommation du point de vue de ses utilisateurs. Catherine Armstrong appelle ses lecteurs à s’interroger sur l’existence même de ces objets à notre époque. Si un objet a survécu, c’est qu’il a fait l’objet d’une conservation qui doit pouvoir nous renseigner sur son importance. De même, nous pouvons ainsi nous interroger sur tous les objets qui ont depuis disparu.
9L’étude de l’environnement architectural et urbain ouvre, quant à elle, des perspectives intéressantes à la recherche historique. La reconstitution d’espaces permet notamment de questionner les modes de vie de ses habitants. Un telle recherche permet de mettre en lumière la combinaison des sources écrites et non-écrites : les registres écrits et la presse de l’époque viennent compléter l’étude de l’espace en question, la reconstitution à partir d’anciennes photographies et la réalisation d’entretiens avec des habitants. L’usage d’une multiplicité de sources permet ainsi à l’historien d’avoir une plus grande prise sur son objet d’étude et ainsi de pouvoir lui poser de nouvelles questions. Cette pratique enrichit considérablement la recherche en restituant une plus grande complexité aux objets d’études.
10Le chapitre de conclusion permet à l’auteure de reprendre les idées développées au cours de l’ouvrage et de tracer de nouvelles perspectives pour l’étude de sources non-écrites. Pour Catherine Armstrong « le non-écrit et l’écrit ne doivent pas être séparés artificiellement mais, au contraire, l’analyse de l’un doit compléter l’analyse de l’autre » (p. 127). L’auteure aborde dans cette partie l’utilisation de ces sources dans le cadre d’un travail universitaire et l’importance des capacités acquises au cours de l’étude des sources non-écrites pour le futur professionnel de l’étudiant. Outre l’utilisation de sources non-écrites, Catherine Armstrong appelle à une recherche continue de nouvelles sources à intégrer dans les narratives historiques afin d’« élargir le champ des sources primaires » (p. 138).
- 3 Jacques Revel, « L'histoire au ras du sol », préface de Pouvoir au village de Giovanni Levi, 1989.
11Le recours à cette diversité de sources permet de construire une vision alternative de l’histoire. La multiplication des sources permettrait de mettre au jour de nouvelles narratives historiques et notamment de construire une « histoire au ras du sol », pour reprendre l’expression forgée par Jacques Revel3. À travers l’étude de photographies, d’objets, d’espaces urbains, d’œuvre d’art ou encore de films, il est possible de prendre pour objet des acteurs historiques n’ayant pas laissé de traces écrites. L’usage d’une multiplicité de sources permet ainsi de poser de nouvelles questions historiques et de mettre au jour des problématiques alternatives.
12L’ouvrage de Catherine Armstrong est une excellente entrée en matière pour l’analyse de sources non-écrites. Il permet de poser les bases théoriques du travail spécifique de l’historien, tout en étant illustré par de nombreux exemples et études de cas. Cet ouvrage suit la prétention didactique de son auteur au travers d’une écriture directe et agrémentée de références théoriques et pratiques. Écrit par une historienne enthousiaste, ce manuel sera d’une grande utilité pour les étudiants, mais pourra aussi servir d’inspiration aux autres chercheurs. Le désir de chercher des sources alternatives, en complément de sources écrites plus traditionnelles, constitue le principal résultat de la lecture de cet ouvrage.
Notes
1 Antoine Prost, Douze leçons sur l'histoire, Éditions du Seuil, Paris, 1996. Cité p. 81.
2 Paul Thompson, The Voice of the Past. Oral History, Oxford University Press, New York, 1984.
3 Jacques Revel, « L'histoire au ras du sol », préface de Pouvoir au village de Giovanni Levi, 1989.
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Référence électronique
Pierre Marie, « Catherine Armstrong, Using Non-Textual Sources. A Historian’s Guide », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 24 mai 2016, consulté le 13 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lectures/20861 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/lectures.20861
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