Jean-François Bert et Marc J. Ratcliff (dir.), Frontières d’archives : recherches, mémoires, savoirs

Texte intégral
1L’ouvrage dirigé par Jean-François Bert et Marc J. Ratcliff résulte du congrès international « Archives des savoirs : problèmes et enjeux » qui s’est déroulé à l’Université de Genève en 2014. Les « archives des savoirs » désignent les archives produites par les chercheurs au sein des laboratoires et des universités dans le cadre de leurs activités de recherche. Elles intègrent aussi les archives produites au sein d’autres institutions : musées, bibliothèques, entrepôts d’archives et sociétés savantes. L’intérêt porté aux archives du savoir par la communauté scientifique est un phénomène récent qui s’inscrit dans le contexte des changements institutionnels et réglementaires des universités et des centres de recherches (autonomie, fusion, compétitivité…). Le présent ouvrage propose d’examiner plus particulièrement ces « archives des savoirs » à l’aune du concept mouvant de « frontières », à partir d’exemples de fonds d’archives en sciences humaines et naturelles (fonds Rousseau, Piaget, Deleuze, De Saussure…), essentiellement localisés en Suisse.
- 1 Comme supports de preuve en cas d’audits ou de contentieux.
2Les archives des savoirs, – mais c’est le cas des archives en général – se caractérisent par leur hétérogénéité. Elles regroupent des archives « classiques », sur support matériel (écrits, photographies, films) et les archives « nouvelles », immatérielles, sur support informatique (fichiers informatiques, bases de données, courriels…). Les artefacts, comme les collections des musées qui existent au sein des universités par exemple, peuvent également relever de l’archive scientifique (voir l’article de Patrizia Birchler Emery). La théorie des « trois âges des archives » constitue une autre délimitation ou frontière. Elle définit les archives en fonction de leur utilité dans la gestion des affaires : les archives courantes, qui ont un usage quotidien, les archives intermédiaires, dont l’usage est ponctuel, et les archives définitives, qui n’ont plus d’usage immédiat mais qui sont conservées pour des raisons juridiques1 et surtout historiques. Les archives « nouvelles », par leur nature singulière, conduisent à bouleverser cette théorie des trois âges et à bouleverser l’archivistique « classique » en général quant à la datation, l’identification et la conservation des archives.
3Les auteurs reviennent sur la nécessité d’assurer la conservation des archives du savoir. En effet, ces archives présentent un grand intérêt historique et épistémologique. Elles offrent la possibilité d’écrire l’histoire des disciplines – y compris l’archivistique, abordée dans la contribution de Didier Grange – et de ses acteurs par le biais de monographies sur les figures emblématiques de la recherche ou d’études sur la sociabilité entre chercheurs à partir de leurs correspondances. Elles permettent un regard réflexif sur les disciplines et sur la production de la science. Elles peuvent aussi être pertinentes pour des recherches actuelles. Au Conservatoire botanique et au jardin botanique de Genève, par exemple, les archives sont utilisées pour les recherches contemporaines floristiques et écologiques.
- 2 Station nationale d’essai des semences.
4Les auteurs se penchent sur les relations qu’entretiennent les chercheurs avec leurs archives. La contribution de Margot Georges et celle de Muriel Lefebvre, Anne-Claire Jolivet, Sophie Dalle-Nazébi dressent un état de la question. Elles rendent compte d’enquêtes menées auprès de chercheurs en sciences humaines et en sciences naturelles de l’université de Toulouse (projet Ecrito) et d’un laboratoire du SNES2. De ces enquêtes, ressortent un certain nombre de faits : les chercheurs manifestent généralement peu d’intérêt vis-à-vis de leurs archives ; ils ne les considèrent pas comme pouvant être conservées et interrogées. Ils ignorent d’ailleurs les obligations légales de l’archivage. Il existe toutefois chez certains d’entre eux des « pratiques d’archivage » qui consistent à changer de conditionnement matériel des documents qui ne leur servent plus et à les stocker dans un bureau plus éloigné du leur. Dans bien des cas, c’est la documentation produite (articles, rapports, posters…) qui est conservée, tandis que les « écritures ordinaires » (en amont des publications) ne le sont pas. Les auteurs insistent sur l’importance qu’il y a pourtant de conserver ces « écritures ordinaires » car elles donnent à voir « la science en train de se construire ».
5Les auteurs proposent des solutions pour contrer cette absence de culture de l’archive et de l’archivage chez les chercheurs. En France, l’Association des archivistes français, avec le groupe de travail « Aurore » (voir la contribution de Charlotte Maday) a publié un référentiel de gestion des archives de la recherche à destination des chercheurs et des institutions. À l’Institut Jean-Jacques Rousseau de Genève, les membres sont également sensibilisés à l’approche patrimoniale de leurs archives, afin de conserver les traces de leurs activités.
6Mais cette absence de culture de l’archive et de l’archivage chez les chercheurs est en fait une réalité institutionnelle. Aussi les auteurs insistent-ils, à de nombreuses reprises dans l’ouvrage, sur le rôle capital de l’archiviste au sein des institutions de recherche, pour aider et conseiller les chercheurs dans leurs pratiques d’archivage. Les auteurs se révèlent plutôt optimistes sur la situation, avec la création de services d’archives et le recrutement d’archivistes dans les universités et les centres de recherche depuis quelques années.
Notes
1 Comme supports de preuve en cas d’audits ou de contentieux.
2 Station nationale d’essai des semences.
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Référence électronique
Rachel Joly, « Jean-François Bert et Marc J. Ratcliff (dir.), Frontières d’archives : recherches, mémoires, savoirs », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 16 mars 2016, consulté le 19 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lectures/20369 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/lectures.20369
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