Raphaël Liogier, Le Complexe de Suez. Le vrai déclin français (et du continent européen)
Texte intégral
1L’ouvrage de Raphaël Liogier propose, à travers six chapitres synthétiques, d’analyser la relation que le monde occidental – et plus spécifiquement l’Europe – entretient avec le monde arabe. L’auteur tente de déconstruire ce qu’il qualifie lui-même de « fantasme de l’islamisation » (p. 9), afin de comprendre comment se structure le « racisme culturel » (p. 9) dont les Européens feraient preuve à l’égard des populations arabes, perçues comme essentiellement musulmanes. De la crise de Suez de 1956 - qui vit la nationalisation par le président Nasser du canal jusqu’alors contrôlé par le Royaume-Uni et la France – aux attentats de Paris de janvier 2015, l’auteur donne, à grands traits, un aperçu des rapports complexes que les Européens entretiennent avec le monde arabe.
2Certains fils rouges courent à travers les six chapitres de l’ouvrage, telle la référence récurrente au conflit israélo-palestinien, qui apparaît à la fois comme la toile de fond du propos tenu par Raphaël Liogier et un réservoir d’exemples utiles à sa démonstration. Dès le premier chapitre, l’auteur postule que la crise de Suez est « une des raisons pour lesquelles le conflit israélo-palestinien ne trouve pas d’issue » (p. 12). C’est cette approche causale, ou à tout le moins généalogique, du conflit israélo-palestinien, qui permet à l’auteur de forger la notion de « complexe de Suez », pour expliquer la relation de défiance que les Européens auraient développé à l’égard des populations musulmanes depuis la fin de l’époque coloniale. Ainsi, l’importance que l’auteur accorde au conflit israélo-palestinien le conduit à s’intéresser tant aux significations que le politologue Aymeric Chauprade prête à l’engagement en faveur de la cause palestinienne (p. 59) qu’au traitement par les médias français des affrontements de l’été 2014 (p. 139).
3La perspective généalogique adoptée par l’auteur est d’emblée signifiée par le titre du premier chapitre, « genèse du racisme culturel ». Le dernier chapitre, qui apparaît comme la résultante des faits et des analyses accumulés durant les cent trente pages précédentes, s’intitule quant à lui « le récit de la chute ». C’est donc une trame quasi narrative que Raphaël Liogier propose à son lecteur afin qu’il suive, sans trop de difficulté, le développement de sa pensée. Semblable structure permet de bien saisir les idées-force de l’auteur, qui sont reprises de chapitre en chapitre. Le propos repose essentiellement sur le postulat selon lequel, au cours du demi-siècle écoulé, nous aurions assisté au « passage de la vision d’un ‘‘choc des civilisations’’ potentiel à une vision de ‘‘guerre des civilisations’’ en cours » (p. 42). C’est avant tout ce changement de paradigme que Raphaël Liogier documente dans Le complexe de Suez.
4Quatre des six chapitres de l’ouvrage peuvent être lus comme des tentatives d’analyse – on serait même tenté d’écrire de déconstruction - des argumentaires déployés par quelques auteurs emblématiques, en porte-à-faux desquels Raphaël Liogier s’inscrit. Ainsi, le premier chapitre, mobilise l’ouvrage de Gisèle Orebi – plus connue sous le pseudonyme de Bat Ye’or -, Eurabia : l’Axe euro-arabe, paru en 2005, afin d’appréhender la notion de « différencialisme », que l’auteur définit comme « une valorisation des différences, de leur pureté, qui implique que les cultures restent à distance les unes des autres » (p. 17). Le deuxième chapitre se réfère aux textes d’Aymeric Chauprade dans le but de comprendre comment se structure « la mise en scène de la guerre des identités ». Le quatrième chapitre s’appuie sur les écrits de Jean-Claude Michéa, présenté comme un « intellectuel viscéralement antilibéral » (p. 102) afin de cerner les contours de l’idéologie à laquelle adhère, selon Raphaël Liogier, « la nouvelle gauche réactionnaire ». Enfin, le dernier chapitre se focalise principalement sur les écrits d’Alain Finkielkraut, de façon à mettre en évidence les principaux ressorts du « complexe de Suez ».
5Synthétique, l’ouvrage de Raphaël Liogier apparaît davantage comme un essai que comme l’aboutissement d’un travail de recherche. Ainsi, l’auteur n’hésite pas à émettre des avis très personnels - « je suis favorable à un État fort qui ne saurait tolérer aucune atteinte à l’intégrité physique ou morale des personnes sur l’ensemble du territoire national » (p. 25) – et à user d’un ton ironique qui donne parfois à son texte une dimension pamphlétaire. Le recours à l’antiphrase est fréquent et le lecteur doit rester vigilant lorsque l’auteur semble reprendre à son compte les arguments qu’il cherche à déconstruire.
6Plusieurs jalons sont jetés, qui pourraient faire l’objet d’analyses plus étoffées dans des ouvrages à venir. Ainsi, l’idée de « vrai déclin français » – qui apparaît dès le titre de l’ouvrage – n’est véritablement appréhendée que dans la conclusion, lorsque l’auteur s’intéresse à la « tendance suicidaire de l’Europe actuelle » (p. 167), qui, selon lui, s’incarne dans son incapacité à s’unir dans une confédération cohérente.
7Si cet ouvrage a le mérite de mêler profondeur historique et séquences très contemporaines, tels les attentats de janvier 2015, sa publication quelques semaines avant les événements du 13 novembre dernier exige d’ores et déjà qu’un certain nombre d’analyses soient complétées voire rectifiées. C’est notamment le cas de celles qui sous-tendent le deuxième chapitre, dans lequel l’auteur s’intéresse successivement aux « attaques terroristes sur l’Europe : fantasmes et réalité » (p. 52) et au « nouveau jihadisme » (p. 55).
Pour citer cet article
Référence électronique
Thibault Bechini, « Raphaël Liogier, Le Complexe de Suez. Le vrai déclin français (et du continent européen) », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 01 mars 2016, consulté le 05 novembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lectures/20262 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/lectures.20262
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