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Olivier Godard, La justice climatique mondiale

Christophe Premat
La justice climatique mondiale
Olivier Godard, La justice climatique mondiale, Paris, La Découverte, coll. « Repères », 2015, 128 p., ISBN : 9782707185488.
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Texte intégral

1Les négociations climatiques de la conférence de Paris viennent de s’achever en décembre 2015 avec un accord contraignant qui, pour la première fois, va bien au-delà de ce qu’avaient pu espérer certaines associations et ONG. L’accord inscrit comme objectif global de la nouvelle coopération climatique internationale le fait de contenir l’élévation de la température moyenne de la planète à 1,5 degrés Celsius par rapport aux niveaux préindustriels, une cible souhaitée par les petits États insulaires et les moins avancés1. Les investissements financiers sont assurés en grande partie par les pays émetteurs du plus grand nombre de rejets de gaz à effets de serre (GES).

  • 2 Karl Popper, Die Logik der Forschung, Tübingen, Mohr Siebeck, 1935.

2Pour comprendre le cadre de cette négociation et, de manière plus générale, la manière dont le débat sur le réchauffement climatique est devenu une priorité politique, l’ouvrage d’Olivier Godard est précieux. Il se place sur le plan de la philosophie morale et est construit en antinomies pour analyser les conditions de possibilité d’une éventuelle justice climatique mondiale. L’ouvrage part d’un constat : si le réchauffement climatique est observé depuis le début des années 1980, le diagnostic s’est imposé d’autant plus facilement que le taux d’émission de GES a considérablement augmenté entre 1992, date du sommet de Rio, et 2015. À part des positions de déni vérifiant a posteriori la falsifiabilité des théories scientifiques chères à Karl Popper, le problème n’est plus celui du diagnostic, mais celui des moyens investis pour limiter l’impact du réchauffement climatique2. Cet impact n´est pas le même dans toutes les régions du globe, d’où la nécessité de mettre en place une justice climatique.

3Pour envisager son cadre, il importe de restituer la complexité des visions de la justice. La justice commutative s’attache à l’équité des conditions de transactions particulières ; la justice réparatrice ou restauratrice vise à réparer les préjudices portés à autrui ; la justice distributive s’emploie à garantir le respect des règles de répartition des ressources. Les situations conflictuelles peuvent ainsi s’interpréter en fonction des types de justice dont elles relèvent, mais les relations internationales rendent difficile l’idée d’une justice cosmopolitique s’appliquant partout de la même manière. Il est donc nécessaire de privilégier une approche réaliste fondée sur l’historicité des acteurs des transactions autour du climat, à savoir les États susceptibles de faire émerger la construction d’une justice climatique internationale. En l’occurrence, Olivier Godard ne prend pas le parti d’une approche a priori cosmopolitique de la justice climatique, que ce soit par rapport au passé (l’argument de la responsabilité historique de certaines nations pollueuses dans la dette climatique) ou à l’avenir, avec la responsabilité vis-à-vis des générations futures. La question du partage équitable d’un budget carbone soulève un certain nombre de problèmes et repose sur des postulats idéologiques antinomiques : que signifient les droits d’usage de l’atmosphère ? Quelle est la conception définie de l’usage ? Pragmatique, l’auteur estime que la solution doit préserver un équilibre entre le droit des habitants et le droit des producteurs. Il existe un droit international à disposer d’un environnement vivable pour que puissent se développer les activités humaines.

  • 3 John Locke, Deuxième traité du gouvernement civil, Paris, Vrin, 1977, traduction française de Berna (...)

4Les ressources naturelles sont quant à elles liées à la question de la conception de la propriété. Évoquer le statut de ces ressources revient à réfléchir sur les conditions de leur appropriation et sur le droit coutumier. L’auteur se réfère alors aux théories de John Locke sur l’appropriation des biens naturels. Le passage de l’état de nature aux sociétés politiques et au contrat social rend problématique la remise en question de cette appropriation. Dans le Second Traité du Gouvernement3, Locke rappelle les quatre conditions légitimant l’appropriation de la terre : que celle-ci ne soit pas déjà appropriée par quelqu’un d’autre, qu’elle réponde à un besoin de vie, qu’elle se limite à la capacité d’exploitation de celui qui se l’approprie et que soit laissée aux autres la possibilité d’utiliser ses ressources naturelles. Si tout le monde ne peut être propriétaire, l’appropriation doit permettre à chacun de vivre dans des conditions décentes. Le problème est que les défenseurs d’une approche cosmopolitique ont transposé le droit de la terre au droit à l’atmosphère, pour établir par la suite la nécessité d’une réparation des dommages commis dus à la pollution. L’argumentaire d’Olivier Godard est ensuite concentré sur la notion de responsabilité historique, utilisée pour justifier la dette climatique contractée par les nations pollueuses. La responsabilité historique aurait pour conséquence de moduler les droits des États en fonction de leurs émissions de GES dans le passé. L’énonciation de cette thèse se heurte très vite à des incohérences : peut-on dire que les sociétés ont toutes eu les mêmes besoins dans les époques antérieures ? Pouvait-on prévoir, au début des années 1900, que la population mondiale allait sensiblement augmenter et que les émissions des GES engendreraient des effets climatiques considérables ? Il est tout aussi illusoire d’engager une responsabilité d’acteurs ayant vécu à d’autres époques que de se lier par des droits vis-à-vis des futures générations. Le livre d’Olivier Godard refuse ces impasses théoriques et préfère privilégier des solutions pragmatiques aux problèmes climatiques et de développement économique. In fine, la justice climatique peut ainsi dépasser le stade des apories et exister à partir de négociations internationales laborieuses mais efficaces.

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Notes

1 On peut lire le texte original de l’accord à l’adresse suivante : http://unfccc.int/resource/docs/2015/cop21/fre/l09r01f.pdf (dernière consultation le 8 janvier 2016).

2 Karl Popper, Die Logik der Forschung, Tübingen, Mohr Siebeck, 1935.

3 John Locke, Deuxième traité du gouvernement civil, Paris, Vrin, 1977, traduction française de Bernard Gilson.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Christophe Premat, « Olivier Godard, La justice climatique mondiale », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 25 janvier 2016, consulté le 01 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lectures/19947 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/lectures.19947

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Rédacteur

Christophe Premat

Maître de conférences en études culturelles au département d’études romanes de l’Université de Stockholm.

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