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Line Henry, Habiter les beaux quartiers à Santiago du Chili

Amélie Parienté
Habiter les beaux quartiers à Santiago du Chili
Line Henry, Habiter les beaux quartiers à Santiago du Chili, IHEAL, coll. « Chrysalides », 2015, 200 p., Préface de Sébastien Velut, ISBN : 978-2-915310-68-9.
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Texte intégral

  • 1 Guy Mercier, « La banlieue pavillonnaire nord-américaine. Entre doute raisonnable et passion secrèt (...)

1Comment expliquer que les classes aisées de Santiago du Chili choisissent, à un moment de leur parcours résidentiel, se détournent des pavillons unifamiliaux, considérés depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale comme un « idéal » urbain (p. 74), pour privilégier un habitat collectif en hauteur, qui est pourtant souvent associé dans l’imaginaire aux catégories populaires, aux désagréments liés à la vie dans les centres, à la promiscuité ou encore au désordre1. C’est la question que se pose la jeune auteure Line Henry dans cet ouvrage issu de sa recherche de master, publié dans la collection « Chrysalide » des éditions de l’IHEAL – collection qui valorise chaque année les deux meilleurs travaux de master dans différentes disciplines de sciences sociales.

2À partir d’une enquête de terrain très localisée et d’une analyse des micro-mécanismes de choix résidentiels des classes aisées, cette recherche met en lumière un phénomène inverse de ceux étudiés jusqu’à aujourd’hui : une mobilité résidentielle allant des périphéries vers les centres. Ce processus est susceptible de modifier la forme urbaine des métropoles puisque, contrairement aux logements pavillonnaires « horizontaux » qui contribuent à un étalement urbain de plus en plus contesté pour ses nuisances environnementales, l’habitat « vertical » et la densification urbaine qui l’accompagne permettent d’améliorer la durabilité des métropoles. Peut-on alors conclure à l’émergence d’un « nouveau paradigme urbain » ? La richesse de cet ouvrage réside, en outre, dans la contextualisation historique, politique et économique des politiques urbaines chiliennes, qui laisse entrevoir notamment le rôle qu’a joué le gouvernement militaire à partir de 1973 dans l’expansion de la ville. En effet, la libéralisation des sols et l’abandon de toute planification urbaine, donnant aux promoteurs immobiliers un rôle majeur, ont engendré un étalement urbain démesuré de la capitale chilienne ainsi qu’une très forte ségrégation socio-économique spatiale.

3L’enquête de terrain porte sur Las Condes, une commune de Santiago « traditionnellement destinée à l’élite économique » (p. 95). Outre le fait que cette partie de la ville abrite une partie de Sanhattan, le quartier d’affaire le plus important de la capitale avec ses hauts immeubles modernes, ses ambassades, ses sièges d’entreprise et ses commerces de luxe, Las Condes dispose d’une offre résidentielle particulière : un habitat collectif de « standing », destiné aux classes privilégiées, notamment aux cadres supérieurs et aux étrangers très qualifiés. Pour comprendre ce phénomène, l’auteure compare les profils respectifs des habitants de la commune qui vivent dans des pavillons unifamiliaux et de ceux qui vivent dans des immeubles. Si les familles nombreuses choisissent le plus souvent l’habitat individuel (mais pas toujours), certains jeunes couples sans enfants ou avec un seul enfant, certains étrangers ou « seniors » préfèrent s’installer dans des appartements d’habitat collectif. Au-delà de nous renseigner sur les choix résidentiels des classes aisées de Las Condes, cette comparaison permet de cerner les évolutions démographiques et les modèles familiaux « en train de se faire » dans la capitale chilienne.

  • 2 Michel Pinçon, Monique Pinçon-Charlot, Dans les beaux quartiers, Paris, Seuil, 1989.
  • 3 Jean-Yves Authier, Catherine Bonvalet et Jean-Pierre Lévy (dir.), Élire domicile. La construction s (...)

4Ce travail s’inscrit donc dans une sociologie des choix résidentiels et des « modes d’habiter ». À l’instar de Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot2, Line Henry prend pour objet d’étude les classes aisées, ce qui lui permet d’évacuer la contrainte économique des facteurs de choix résidentiels. Puis, elle se réfère aux différents types de choix, étudiés notamment par les auteurs de l’ouvrage collectif dirigé par Authier, Bonvalet et Lévy3, afin de déterminer « quelle place intrinsèque occupe l’immeuble dans les choix résidentiels des Santiaguinos de hauts revenus, selon l’étape de leur vie » (p. 111). En effet pour l’auteure, « l’individu ou le ménage choisit – “élit” – son domicile en établissant une hiérarchie entre les différentes caractéristiques du bien immobilier » (p. 127). Ainsi, opter pour un immeuble ne relève pas uniquement d’un choix par défaut, visant à éviter les inconvénients de la vie en pavillon, comme le risque de cambriolage ou l’éloignement du lieu de travail, mais témoigne d’une valeur positive donnée à l’habitat collectif.

5Les choix résidentiels identifiés par l’auteure concernent l’immeuble en tant que tel mais aussi l’environnement et la localisation. Les choix liés à l’immeuble, comme la vue, le design, le confort, la sécurité, le prestige et la satisfaction en termes de revendications écologiques, montrent que la classe aisée est satisfaite par le caractère « moderne » de l’habitat collectif, qui l’inscrit dans une sorte d’« avant-garde » en matière de logement. En ce qui concerne l’environnement, l’auteure parle de l’aspect symbolique du prestige lié à l’adresse, qui donne à Las Condes une place de premier ordre. De plus, le mode de vie des nouvelles classes aisées de Santiago (que l’auteure distingue de la bourgeoisie) induit des exigences que les lotissements fermés en périphérie ne peuvent plus satisfaire : vie sociale active, nécessité de mobilité et accès aux équipements scolaires, culturels, de loisir ou de santé.

6Cependant, pour que la vie dans les centres urbains corresponde aux valeurs et aux besoins de cette population, il faut la garantie d’un « entre-soi » et donc d’une certaine appropriation de l’espace public. Déjà largement établie par le gouvernement militaire, la ségrégation socio-économique spatiale, particulièrement forte à Santiago, est à nouveau favorisée par les promoteurs immobiliers qui utilisent cet « entre-soi » comme argument de vente, au même titre que la verdure, la tranquillité, la sécurité, etc. La création de cet entre-soi ainsi que le prix élevé des logements s’avèrent de fait excluant pour le reste de la population. Les pouvoirs publics, qui ne souhaitent pas que les quartiers d’affaires soient envahis la nuit par une population aux pratiques déviantes (squats, deal, prostitution...), encouragent ce phénomène. Ainsi, le nouveau plan de régulation de Las Condes prévoit, entre autres, des travaux d’embellissement, le désencombrement des rues et des moyens de transport, ainsi que la réduction du bruit et de l’insécurité.

7Peut-on conclure que la valorisation symbolique de l’habitat collectif en hauteur témoigne d’un « nouveau paradigme urbain » de retour vers les centres ? La réponse de l’auteure est nuancée. Elle pointe notamment une limite de cette hypothèse, observant le fait que beaucoup des personnes des catégories aisées possèdent au moins un autre bien immobilier (une maison à la campagne et/ou à la mer) et ainsi ne renoncent pas totalement au pavillon individuel unifamilial, avec toujours une possibilité d’un « retour à la nature ». Cependant, la recherche permet de mettre en lumière des mécanismes « nouveaux », comme l’image plus positive donnée à l’immeuble ou encore le retour d’une partie de la population vers les centres urbains, selon le cycle de vie. Ce dernier résultat est néanmoins mitigé lui aussi puisque, comme l’auteure le montre tout au long de son ouvrage, ce sont bien les populations aisées que les promoteurs immobiliers et les pouvoirs publics souhaitent attirer dans les centres alors que les autres, les classes moyennes et populaires, s’en trouvent exclues et continuent à se déplacer vers la périphérie et à contribuer à l’étalement urbain.

8Que pouvons-nous conclure à la lecture de cet ouvrage ? La phrase de Sébastien Velut dans la préface résume bien la situation : « Dans ces espaces, se combinent des formes de contrôle social, qui donnent aux usagers une sensation de sécurité tout en multipliant les possibilités d’activités, de rencontres, de déplacement, grâce aux infrastructures publiques » (p. 15). On voit ici que la ville est un milieu ouvert dans lequel se mettent en place des formes de sélection qui permettent de garantir la sécurité et de conserver un « entre-soi », non pas grâce à des murs et à l’isolement, mais par des mécanismes de régulation engendrés par un secteur privé fort que viennent appuyer les politiques publiques.

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Notes

1 Guy Mercier, « La banlieue pavillonnaire nord-américaine. Entre doute raisonnable et passion secrète », in Augustin Berque, Philippe Bonin, Cynthia Ghorra-Gobin (dir.), La ville insoutenable, Paris, Belin, 2006.

2 Michel Pinçon, Monique Pinçon-Charlot, Dans les beaux quartiers, Paris, Seuil, 1989.

3 Jean-Yves Authier, Catherine Bonvalet et Jean-Pierre Lévy (dir.), Élire domicile. La construction sociale des choix résidentiels, Lyon, PUL, 2010 ; compte rendu de Nicolas Crochet-Giacometti pour Lectures : https://lectures.revues.org/1156.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Amélie Parienté, « Line Henry, Habiter les beaux quartiers à Santiago du Chili », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 07 décembre 2015, consulté le 16 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lectures/19648 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/lectures.19648

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Rédacteur

Amélie Parienté

Étudiante en master 2 « Études et recherches en sociologie », université Paris Ouest Nanterre La Défense.

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Droits d’auteur

Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés), sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

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