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Fanny Lignon (dir.), Genre et jeux vidéo

Arnaud Alessandrin et Mélanie Bourdaa
Genre et jeux vidéo
Fanny Lignon (dir.), Genre et jeux vidéo, Toulouse, Presses universitaires du Midi, coll. « Le temps du genre », 2015, 268 p., ISBN : 978-2-8107-0363-0.
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Texte intégral

  • 1 Colomb-Gully Marlène, « Inoculer le genre : le genre et les SHS une méthodologie traversière », Rev (...)

1« Genre et jeux vidéo » est un livre collectif dirigé par Fanny Lignon, maîtresse de conférences à l’université Lyon 1, spécialiste des questions de genre dans les médias. Ce livre participe pleinement, pour le dire à la manière de Marlène Colomb-Gully, à l’inoculation du genre dans les sciences de l’information et de la communication1 et se compose de manière intuitive et assez efficace en deux parties. La première, « Jeux : des imaginaires genrés » (p. 17), opte pour une analyse de la production des jeux vidéos, tandis que la seconde, « Joueuses et joueurs : des usages genrés » (p. 119) se positionne autour des usages et de la réception.

  • 2 http://www.digra.org/wp-content/uploads/digital-library/07311.36536.pdf

2Dans les recherches anglosaxonnes, et particulièrement dans le champ des game studies, le croisement entre game studies (études des jeux) et gender studies (études de genre) existe, et des numéros de revues ou des colloques sont consacrés à cette interrelation, en abordant la question du féminisme dans les jeux ou celle de la réception féminine des jeux2. Cet ouvrage constitue le premier effort théorique et empirique de mise en perspective et de croisement épistémologique des deux champs de recherche en France.

3La première partie du livre s’ouvre sur une introduction de Mathieu Triclot, malicieusement rebaptisée « générique » (p. 19), mettant en perspective les supports cinématographiques et ceux des jeux vidéo. À travers une analyse féministe, l’auteur pose la question de savoir « où passe le genre » et restitue la complexité des situations spectatorielles ou de game-players (joueurs). En effet, la ou le spectateur est traversé par des représentations contradictoires et se caractérise par des usages variés de son statut de spectateur. À ce titre, note l’auteur, la dimension « masculine » des jeux vidéo laisse entrevoir des agencements complexes ou, pour ainsi dire, du jeu. Ce constat est partagé par de nombreux articles qui, dans ce livre comme ailleurs, oscillent entre une analyse des régularités en termes d’inégalités et d’imaginaires genrés, et des disparités. C’est, entre autres, ce que le personnage de Lara Croft utilisé dans l’article d’Alexis Blanchet permet de démontrer. Dans « Mais qui êtes-vous, Madame Croft ? » l’auteur éclaire la dimension « plurimédiatique », c'est-à-dire multi-support de Lara Croft, qui octroie une dynamique particulière aux perceptions qui gravitent autour d’elle. « Femme d’action, objet fantasmatique, hétéronormé, incarnation d’un féminisme de combat, créature conçue sous la domination du patriarcat […] chacun.e peut trouver chez Lara Croft la représentation qui correspond à ses convictions » (p. 52). Marion Coville propose également un article dans cette première partie, intitulé « L’hypervisibilité de Bayonneta et la vue subjective de Portal et Mirror’s Edge : Politique des représentations de l’héroïne de jeux vidéo » (p. 53). À partir de ces trois exemples, la chercheuse montre combien les rôles assignés aux héroïnes de jeux vidéo sont traversés par des logiques complexes de « décentration » et/ou de « recentration » autour de leurs corps. En conséquence de quoi, c’est la place même du « male gaze » (du regard masculin omnipotent) qui s’en voit discutée, détournée. C’est toujours ces avatars du genre qu’interroge Selim Krichane dans l’article « King’s quest : queen’s quest ? » (p. 69) autour de la série du même nom (King’s Quest). Si l’article revient sur la reproduction des dispositifs de genre dans cette série, il insiste également sur la « rupture » qu’initie le personnage féminin central des King’s Quest, sans pour autant balayer les résistances et réorientations « androcentrées » de la série (p. 81). Ce va-et-vient apparait particulièrement intéressant en termes de stratégies des joueurs - mais également des producteurs - et vient considérablement enrichir le couple « genre et jeux vidéo ». Enfin, Sebastien Genvo (p. 83) et Bernard Perron (p. 93) concluent cette première partie avec pour support respectifs le jeu « Braid » et la catégorie des « Survival Horror ». Dans un cas comme dans l’autre, c’est la possibilité d’une permutation des regards malgré la sur-genration et la sur-sexuation des situations (un univers militarisé par exemple) qui est présentée.

  • 3 Castel Pierre Henri, La métamorphose impensable, Gallimard, Paris, 2003.
  • 4 Espineira Karine, Thomas Maud-Yeuse et Alessandrin Arnaud, La transyclopédie : tout savoir sur les (...)

4Comme il y eut un premier générique, la seconde partie de l’ouvrage s’ouvre logiquement sur un deuxième (« générique 2 »), écrit par Ivan Mosca et traduit par Civan Gürel (p. 121). Ces ouvertures philosophiques offrent au lecteur une boîte à outils supplémentaire et bienvenue. Ivan Mosca revient lui aussi sur les équivalences attendues et les déboitements autour des notions de genre, sexualité et sexe, autour de quelques jeux vidéo et personnages notamment. La lecture de cette seconde partie s’ouvre sur un article de Vanina Mozziconacci, intitulé « Jouer et dégenrer » (p. 139). Au-delà d’une description appréciée sur les « Bishojo games » (des jeux où il s’agit de « séduire une ou des filles puis, éventuellement sortir avec elles », p. 141), l’auteur s’appuie, dans une volonté affichée de ne pas réduire l’analyse des jeux vidéos à une somme d’accusations, sur le type de jeu et non seulement sur la création des personnages (character design), pour mettre en évidence que le genre est ici mis en jeu dans des dispositifs relationnels, donc non uniquement oppositionnels. La veine de l’analyse en termes de « jeu » ou de « réception » est aussi empruntée par France Vachey dans « La métamorphose jouable » (p. 151). Si l’on peut regretter le parallèle avec le livre de Pierre Henri Castel3, jugé transphobe par des penseurs/ses et militant.e.s4, on appréciera à l’inverse l’implantation d’une question relative non seulement au genre mais aux identités de genre trans dans l’analyse des jeux et des subjectivités des joueurs/ses. Virginie Spies et Olivier Zerbib s’intéressent quant à eux aux jeux vidéos « au miroir de la télévision » (p. 167) et interrogent les « reconfigurations » de genre dans ce style précis que sont les jeux musicaux. Il est à souligner, comme cela est d’ailleurs fait dès l’introduction, la multiplicité des supports de jeux envisagés dans ce livre pour questionner le genre. Les deux derniers articles, écrits respectivement par Catherine Driscoll (p. 179), traduit une nouvelle fois par Civan Gurel, et par Catherine Beavis (p. 217), se penchent, dans une lecture plus traditionnellement genrée, sur les gamers girls (les joueuses) et les girls play (les jeux à destination d’un public féminin). L’article de Catherine Beavis ajoute à cette somme d’articles un regard éducatif qui conclut alors le livre.

  • 5 Bourdaa Melanie, « Les fan studies en question : perspectives et enjeux », RFSIC [en ligne], 7, 201 (...)

5Au total il apparaît que ce livre fournit à la lecture du genre une dimension nouvelle et d’actualité. On pourra lui reprocher un dialecte propre aux sciences de l’information et de la communication rendant parfois la lecture opaque ou éloignant de l’objet les amateurs/trices, joueur/se/s de jeux vidéo. Mais peut-être que l’objectif ne se situait pas exactement là. On soulignera qu’à quelques reprises les notions de « troisième genre » ou de « sexualité » sont utilisées mais que, trop rarement, elles sont pleinement exploitées, faisant de ce livre une première pièce à l’édification d’une recherche plus ample sur les liens qu’entretiennent « sexualité et jeux vidéo » ou bien encore « transidentités et jeux vidéo ». On regrettera enfin que des thématiques comme les fan studies (études de fan) ou le cosplay (imitation par le costume), qui pourraient entrer dans ce paysage d’étude, soient absentes du livre. En effet, l’analyse de la réception des jeux vidéo par les fans aurait permis d’aborder des problématiques extra-ludiques comme par exemple l’immersion dans les dispositifs et dans les univers vidéoludiques, ou encore les activités de création des fans5. Les fans se constituent en communauté de pratiques dans laquelle ils partagent leur intérêt, débattent et ont des activités de création : l’écriture de fan-fictions, le montage de fan-vidéo, la pratique du cosplay par exemple. L’approche des fan studies aurait aussi permis de mettre en lumière ces aspects de la culture fan autour des jeux vidéo et de mettre en avant des stratégies de production, et notamment les stratégies transmédiatiques telles celles autour de Assassin’s Creed, Halo ou encore Portal qui, en étendant la narration sur plusieurs plateformes médiatiques, immergent les fans dans des univers narratifs complets.

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Notes

1 Colomb-Gully Marlène, « Inoculer le genre : le genre et les SHS une méthodologie traversière », Revue Française de Sciences de l’information et de la communication, n°4, 2014 [en ligne]. URL : http://rfsic.revues.org/837

2 http://www.digra.org/wp-content/uploads/digital-library/07311.36536.pdf

3 Castel Pierre Henri, La métamorphose impensable, Gallimard, Paris, 2003.

4 Espineira Karine, Thomas Maud-Yeuse et Alessandrin Arnaud, La transyclopédie : tout savoir sur les transidentités, Des ailes sur un tracteur, Paris, 2012.

5 Bourdaa Melanie, « Les fan studies en question : perspectives et enjeux », RFSIC [en ligne], 7, 2015 RUL : http://rfsic.revue.org/1644

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Pour citer cet article

Référence électronique

Arnaud Alessandrin et Mélanie Bourdaa, « Fanny Lignon (dir.), Genre et jeux vidéo », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 13 octobre 2015, consulté le 04 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lectures/19112 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/lectures.19112

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Rédacteurs

Arnaud Alessandrin

Docteur en sociologie, chercheur associé au Centre Émile Durkheim (Université de Bordeaux). Arnaud Alessandrin a co-écrit une « Transyclopédie » (2012), et a dirigé les livres « Géographie des homophobies » en 2013 (avec Y. Raibaud) et « Genre ! » en 2014 (avec B. E-Bellebeau). Il est rédacteur en chef de la revue « Miroir / Miroirs » et publiera « Sociologie de la transphobie » (avec K. Espineira) en novembre 2015 (ed. MSHA).

Articles du même rédacteur

Mélanie Bourdaa

Maîtresse de conférences en sciences de l’information et de la communication à l’Université Bordeaux Montaigne et membre du laboratoire Mica. Mélanie Bourdaa travaille sur les notions de Transmedia Storytelling et de fanstudies, à travers notamment les séries Battlestar Galactica (Questions de communication n°22, 2012) ou The L Word(Médiamorphoses H-S n°3, 2007). Elle est fondatrice du GREF (Groupe de Recherche et d’Études sur les Fans).

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