Sandro Segre, Contemporary Sociological Thinkers and Theories
Texte intégral
- 1 L’auteur s’adresse à un public averti, possédant un certain « bagage » sociologique. On ne saurait (...)
1Dans cet ouvrage, Sandro Segre s’adresse aux chercheurs et doctorants1 en sciences sociales, en leur proposant un parcours éclairant au cœur de la « sociologie contemporaine », autour de seize auteurs et théories qui ont alimenté et alimentent toujours des réflexions, des recherches et des débats en sociologie. Ces seize « monuments », qui constituent autant de chapitres, sont : le néofonctionnalisme de Jeffrey Alexander, Pierre Bourdieu, l’ethnométhodologie, la « théorie des échanges », Michel Foucault, Anthony Giddens, Erving Goffman, Jürgen Habermas, Niklas Luhmann, Robert K. Merton, la théorie des réseaux et du capital social, Talcott Parsons, la théorie du choix rationnel, la perspective phénoménologique d’Alfred Schutz, le structuralisme en sociologie et dans les sciences sociales et, enfin, l’interactionnisme symbolique. Ces chapitres sont tous construits selon une même structure : Sandro Segre présente d’abord les questions de recherche, les concepts principaux ou les postulats de départ qui caractérisent une approche théorique ou la pensée d’un auteur. Par exemple, le chapitre consacré à Alfred Schutz (p. 306) commence par exposer l’objet de recherche poursuivi par le sociologue d’origine autrichienne. Un objet qui est double puisqu’Alfred Schutz s’intéressait à la description et l’explication des « actions sociales » d’une part, et aux processus rendant possible un monde commun, une condition nécessaire à l’existence d’actions sociales, d’autre part. Pour cela, il a développé une approche phénoménologique influencée par les discussions qu’il a entretenues avec la phénoménologie d’Edmund Husserl, la sociologie compréhensive de Max Weber et le pragmatisme de William James, John Dewey et George Herbert Mead.
2Chaque chapitre illustre ensuite la façon dont ces différents éléments (cadre théorique, questions de recherche) sont déployés dans les travaux empiriques de l’auteur ou des tenants d’une approche théorique. Dans le chapitre dédié à Pierre Bourdieu, après avoir introduit les concepts d’habitus, de champ et de capital, Sandro Segre prend le cas de La distinction pour montrer comment le célèbre sociologue français a articulé ces trois concepts pour expliquer la détermination sociale des goûts esthétiques.
- 2 Becker Gary S., « The Economic Approach to Human Behavior », in J. Elster (dir.), Rational Choice, (...)
- 3 Collins Randall, « Can Rational Action Theory Unify Future Social Science? », in Jon Clark (dir.), (...)
3Sandro Segre conclut chaque chapitre en s’intéressant à la réception, donc à l’influence, dudit auteur ou de ladite théorie dans le champ des sciences sociales en général et de la sociologie en particulier. Pour ne pas donner une vision de l’influence d’un auteur ou d’une approche théorique marquée par ses propres intérêts et affinités, Sandro Segre s’est appuyé sur la littérature secondaire (notes de lecture, ouvrages d’introduction) en ne retenant que les travaux reconnus, c’est-à-dire les plus cités, produits par des commentateurs réputés. Le chapitre sur la théorie du choix rationnel se termine ainsi par un bref exposé des différentes attitudes adoptées à l’égard de cette approche, des plus positives aux plus négatives. Sandro Segre en distingue quatre (p. 297-301). Primo, l’adhésion sans réserve, à l’instar de Gary Becker. Secundo, l’adoption d’une attitude critique qui met en exergue les limites de la théorie du choix rationnel, tout en le considérant comme le « meilleur modèle disponible »2 pour décrire et expliquer les phénomènes sociaux. Tertio, la reconnaissance des apports de la théorie du choix rationnel, accompagnée de la nécessité de l’articuler à d’autres approches théoriques3. Sandro Segre donne l’exemple des critiques énoncées par Collins. Quarto, la négation de tout intérêt de la théorie du choix rationnel.
- 4 Turner Jonathan H., The Structure of Sociological Theory, Belmont, Wadsworth Publishing Company, 19 (...)
4En plus des seize chapitres, l’ouvrage débute par un bref « avant-propos » dans lequel Sandro Segre explicite ses intentions. Il a cherché avant tout à produire un ouvrage sur la pensée sociologique contemporaine le plus objectif et le plus consensuel possible. Ainsi, par théorie, il entend, de manière conventionnelle, un ensemble d’affirmations générales et abstraites, qui visent à expliquer de nombreux phénomènes particuliers d’une part, et génèrent une dynamique de recherche d’autre part. On comprend alors que les auteurs et les théories qui composent l’ouvrage ont été retenus pour leur capacité à proposer un cadre explicatif général, applicable à une variété d’objets de recherche. La liste des approches théoriques et des auteurs exposés dans le livre prête peu à discussion. On ne remettra pas en cause l’importance de Pierre Bourdieu, Robert Merton, Erving Goffman, Michel Foucault, l’ethnométhodologie ou le structuralisme dans l’histoire de la sociologie. La volonté de Sandro Segre d’éviter toute controverse se traduit aussi par son refus, légitime, de dégager une théorie sociologique générale ou de faire une distinction entre approches micro et macrosociologiques, au contraire de Jonathan H. Turner ou de Randall Collins4.
- 5 Sandro Segre, Introduction to Habermas, Lanham, University Press of America, 2012 et Talcott Parson (...)
5Cette recherche de l’objectivité peut se comprendre comme une volonté de Sandro Segre de ne pas imposer au lecteur ses propres grilles de lecture. Par exemple, chaque chapitre peut être lu indépendamment des autres, selon les intérêts propres du lecteur. Il aurait été intéressant cependant que Sandro Segre fasse part de ses critiques et commentaires, qu’il indique dans quelle mesure les auteurs et les approches théoriques qu’il nous présente ont influencé ses propres recherches. Je pense en particulier à Jürgen Habermas et Talcott Parsons auxquels Sandro Segre a consacré des ouvrages5. Cela aurait donné plus de relief à cet ouvrage pour le moins désincarné.
6Néanmoins, ce ne sont là que des critiques de forme qui n’enlèvent rien à la richesse du travail de Sandro Segre. Finalement, Contemporary Sociological Thinkers and Theories est un outil précieux pour le chercheur en sciences sociales et en sociologie en particulier, car il peut offrir une vue synthétique d’un auteur, ou d’une théorie, et des débats qu’il/elle suscite, tandis que la bibliographie attachée à chaque chapitre permet à qui le souhaite d’aller plus en avant dans la connaissance dudit auteur ou de ladite théorie.
Notes
1 L’auteur s’adresse à un public averti, possédant un certain « bagage » sociologique. On ne saurait donc recommander l’ouvrage à des étudiants de premières années de licence.
2 Becker Gary S., « The Economic Approach to Human Behavior », in J. Elster (dir.), Rational Choice, Oxford, Blackwell, 1986, p. 108-122.
3 Collins Randall, « Can Rational Action Theory Unify Future Social Science? », in Jon Clark (dir.), James S. Coleman, Londres, The Falmer Press, 1996.
4 Turner Jonathan H., The Structure of Sociological Theory, Belmont, Wadsworth Publishing Company, 1998. Collins Randall, Theoretical Sociology, New York, Harcourt Brace Jovanovich, 1988.
5 Sandro Segre, Introduction to Habermas, Lanham, University Press of America, 2012 et Talcott Parsons, an introduction, Lanham, University Press of America, 2012
Haut de pagePour citer cet article
Référence électronique
Aymeric Luneau, « Sandro Segre, Contemporary Sociological Thinkers and Theories », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 15 juin 2015, consulté le 19 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lectures/18373 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/lectures.18373
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