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Raphaëlle Nollez-Goldbach, Quel homme pour les droits ? Les droits de l’homme à l’épreuve de la figure de l’étranger

Baptiste Lachaussée
Quel homme pour les droits ?
Raphaëlle Nollez-Goldbach, Quel homme pour les droits ? Les droits de l'homme à l'épreuve de la figure de l'étranger, Paris, CNRS, 2015, 328 p., ISBN : 978-2-271-08602-0.
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Texte intégral

1Suffit-il d'être un homme pour être titulaire des droits de l’homme ? Déclarés universellement il y a près de soixante-dix ans, les « droits de l’homme » sont-ils finalement les droits de tous les hommes ? Cet ouvrage est l’occasion pour Raphaëlle Nollez-Goldbach de poser la question des conditions d’attribution des droits de l’homme. Dès les premières lignes, l’auteure nous interpelle par des propos que résume ce syllogisme : l’universalité est le présupposé théorique des droits de l’homme ; or, ces droits ne sont pas universels dans les faits, donc les droits de l’homme sont un concept juridique qui n’est que partiellement effectif. La figure de l’étranger ne prouve-t-elle pas que l’homme universel des droits est en fait réduit au national ?

2À la suite de Monique Chemillier-Gendreau, Raphaëlle Nollez-Golbach ré-ouvre la brèche critique du droit international, questionnant ses fondements, ses modalités d’application et son cadre juridique. Le système international est fondé sur les relations entre États-nations souverains qui exercent leur pleine compétence sur leurs administrés. Le monde est ainsi découpé tant juridiquement que politiquement en États souverains. Dans ce contexte, seul l’individu pris dans son lien juridique avec l’État – et donc titulaire de la nationalité, pourra par suite être titulaire des droits de l’homme. La conséquence est implacable : il faut avoir le statut de national pour avoir celui de citoyen, et avoir le statut de citoyen pour être titulaire des droits de l’homme. Doublement exclu de la nationalité et de la citoyenneté, qu’en est-il de l’étranger, de ses droits fondamentaux et de sa participation politique au monde commun ?

3Les « droits de l’homme » sont un principe cardinal du droit international depuis 1948. Leur légitimité tient au critère d’universalité qu’ils énoncent. À en croire le préambule de la Déclaration universelle des droits de l’homme, tous les « membres de la famille humaine » en sont titulaires. Par cette inclusion de tout homme, de celui qui n’est rien qu’un homme, les droits de l’homme se donnent pour objectif le maintien de la paix et le respect de la dignité humaine dans le monde, sans limite de frontières. Pour y parvenir, ils se déclinent en textes juridiques internationaux : pactes, traités et conventions. Partant de ce postulat, Raphaëlle Nollez-Goldbach en souligne la tension irrémédiable : le concept des droits de l’homme mélange deux idées antinomiques. La première est une manière de penser le monde, la deuxième est une manière de l’organiser et de le gérer. À la première correspond la notion d’un homme titulaire des droits parce qu’il est homme, sans frontière et sans critère ; à la deuxième correspond la notion d’un État seul compétent et donc seul capable de reconnaître et d’assurer l’effectivité des droits de l’homme. La conséquence est sans appel ; l’homme ne pourra être titulaire des droits de l’homme qu’à la condition d’avoir la nationalité d’un État – si possible aux allures démocratiques. Toute « sortie du lien » avec l’État entraîne de facto une situation de sortie du droit. Le statut de l’étranger est pour Raphaëlle Nollez-Goldbach la meilleure illustration de ces écarts à la loi, ces véritable zones « hors la loi » qui révèlent les impensés du droit international en matière de protection des droits de l’homme. Le parti pris de l’auteure est clair : « les droits doivent alors être refondés autour du droit d’avoir des droits pensé par Arendt comme droit à la participation à une communauté politique et au monde commun » (p. 317).

4Raphaëlle Nollez-Goldbach a l’intelligence d’insérer cette critique juridique dans un cadre épistémologique plus large. Une méthode presque archéologique donne à sa démonstration la force d’exhumer la théorie juridique des droits de l’homme. Exhumer au sens propre comme au figuré, pour dire que le projet de l’auteure est de redonner vie à une nouvelle conception des droits de l’homme, entendus comme droit fondamental à la participation politique à l’échelle du monde. Forte d’une solide analyse du droit international, l’auteure révèle ainsi les lacunes juridiques des droits de l’homme par un aller-retour constant de la théorie à la pratique avec l’audace de faire dialoguer différents droits nationaux. Elle en propose ensuite un dépassement politique en s’appuyant notamment sur la philosophie d’Hannah Arendt.

5La présence d’une dimension historique n’enlève rien à l’intérêt des démonstrations et ajoute au contraire une touche de pédagogie utile à l’intelligibilité d’un sujet aussi dense. Le style est limpide, sans fioritures, et engage l’auteure à répondre sans détours aux questions qu’elle pose.

6Cet ouvrage, consistant donc, a cependant le défaut des livres qui tendent à l’exhaustivité. Si les dimensions juridiques et philosophiques s’articulent harmonieusement, certains regretteront toutefois qu’il ne soit pas fait une place plus grande à la proposition philosophique d’un nouveau droit cosmopolitique évoqué pour clôturer l’ouvrage.

7Bien loin des théories complaisantes sur les droits de l’homme, le livre de Raphaëlle Nollez-Golbach nous interpelle sur un problème tant juridique que politique et nous laisse penser que, si des êtres humains périssent en Méditerranée, la cause n’en est pas réduite à la vétusté de leurs embarcations.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Baptiste Lachaussée, « Raphaëlle Nollez-Goldbach, Quel homme pour les droits ? Les droits de l’homme à l’épreuve de la figure de l’étranger », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 15 juin 2015, consulté le 06 octobre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lectures/18346 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/lectures.18346

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Rédacteur

Baptiste Lachaussée

Étudiant en master de philosophie politique à l’Université Paris Diderot ; ses recherches démêlent l’intrication des dimensions juridique, éthique et politique à l’œuvre dans la revendication des droits.

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Droits d’auteur

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