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Robert Cabanes, Isabel Georges (dir.), « Les années Lula : politiques sociales ou néolibéralisme ? », Brésil(s), n° 6, 2014

Igor Martinache
Les années Lula : politiques sociales ou néolibéralisme ?
Robert Cabanes, Isabel Georges (dir.), « Les années Lula : politiques sociales ou néolibéralisme ? », Brésil(s), n° 6, 2014, 221 p., Paris, Maison des Sciences de l'Homme, ISBN : 978-2-7351-1750-5.
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  • 1 Sur cette période et ses ambivalences mémorielles, voir notamment le dossier récent de la même revu (...)
  • 2 Voir notamment l’entretien peu prophétique accordé au Monde par celui qui n’était pas encore Présid (...)
  • 3 Voir Paulo A. Paranagua, « Comprendre le scandale Petrobras qui secoue le Brésil », Le Monde.fr, (...)

1Au vu des manifestations qui s’y succèdent, la rue brésilienne illustre à merveille l’ambivalence profonde des politiques mises en œuvre par le Parti des Travailleurs (PT) depuis l’accession à la présidence de Lula, il y a maintenant douze ans. Tandis que les uns dénoncent ses dérives néolibérales, à l’image de ceux qui, malgré une forte répression, ont critiqué les conditions dans lesquelles a été organisée la dernière Coupe du monde de football, les autres pointent au contraire ses supposées dérives « communistes », comme les participants aux rassemblements qui ont suivi la récente réélection de Dilma Roussef, n’hésitant pas pour certains à afficher leur nostalgie de la dictature militaire1. Si l’on ajoute à cela les « scandales » de corruption du Mensalão2 ou de la Petrobras3 qui ont impliqué nombre de responsables du PT en épargnant curieusement – pour l’instant – l’ancien président syndicaliste et celle qui lui a succédé en 2011, il n’est sans doute pas exagéré de considérer que peu de gouvernants actuels mériteraient davantage que ces derniers l’image de caméléon.

  • 4 Sur ce concept souvent utilisé confusément dans les discours publics, voir les travaux « généalogiq (...)

2Le pays lui-même offre un contraste saisissant des contradictions de notre temps, avec une réduction importante de la pauvreté absolue, à laquelle ont sans conteste contribué les politiques et les investissements sociaux impulsés par le gouvernement de Lula, sans toucher réellement aux très fortes inégalités socio-économiques qui caractérisent le géant sud-américain. L’interprétation des politiques publiques étant elle-même un enjeu de la lutte politique, il est délicat, sinon impossible de produire un bilan « objectif » d’une action gouvernementale, et le présent dossier s’abstient ainsi prudemment d’apporter une réponse nette à la question de son intitulé. En revanche, les différents articles qui le constituent mettent bien en évidence les profondes ambivalences qui traversent les politiques concernées, suggérant que cette question est peut-être mal posée, et que le « Brésil de Lula » constitue un laboratoire des politiques sociales du néolibéralisme4.

3Comme l’expliquent ainsi Robert Cabanes et Isabel Georges en introduction, « le » marché semble bel et bien devenu l’étalon et le fondement de toute politique, y compris les programmes sociaux emblématiques, comme la Bourse famille et la Casa própria, visant à favoriser l’accès pour tous à la propriété de son logement. « Aide-toi et le gouvernement t’aidera » semble être devenu la devise implicite de ces mesures, les aides conditionnelles et changeantes paraissant avoir remplacé des droits acquis et pérennes, tandis que de la « main droite » comme disait Pierre Bourdieu, l’État, soucieux de renforcer l’intégration de son territoire dans la mondialisation actuelle, soutient résolument la concentration du capital dans divers secteurs.

4À partir des terrains complémentaires de leurs thèses, José César de Magalhães Jr. et Tatiana de Amorim Maranhães livrent un texte de réflexion largement inspiré par les analyses de Michel Foucault. Ils y défendent ainsi la thèse selon laquelle les politiques sociales du « lulisme » manifestent une hybridation complexe entre l’émergence de deux ordres de normativité à la fin des années 1990 : le modèle entrepreneurial, d’une part, et l’exigence de traiter la question sociale, de l’autre. Les programmes ainsi impulsés non seulement par les pouvoirs publics mais par divers acteurs privés, dont les ONG, portent selon eux un fort potentiel de transformation des subjectivités en incitant chacun à devenir entrepreneur de sa propre existence. Et en mettant en concurrence les membres et groupements des classes populaires, notamment pour l’accès aux subsides publiques, ils participeraient aussi à une extinction de la conflictualité sociale.

5Les configurations d’acteurs en jeu dans ces transformations sont ainsi plus étendues et complexes qu’il n’y paraît, défendent les auteurs. C’est également ce que soutient Daniel Veloso Hirata à partir de la comparaison des entreprises de réorganisation et de contrôle des marchands ambulants dans deux quartiers populaires, respectivement situés à São Paulo et à Rio de Janeiro. Au-delà des différences de ces deux contextes locaux, l’auteur montre bien non seulement les concurrences entre les marchands eux-mêmes, pouvant aboutir à des assassinats, le rôle très ambigu des policiers, mais aussi l’implication des gouvernants locaux de grandes firmes qui peuvent trouver un nouveau gisement de profits dans les marchés couverts où sont regroupés les camelots « transformés » en micro-entrepreneurs.

6L’article de Livia de Tommasi fait largement écho au précédent. Elle y traite en effet d’une autre entreprise de « pacification », celle des favelas de Rio de Janeiro, accélérée par l’organisation de la Coupe du monde de football puis celle des Jeux olympiques de 2016. Elle explique notamment comment les pouvoirs publics jouent sur la dualité qui caractérise l’image très chargée symboliquement de ces espaces d’habitat : foyers de criminalité et de « créativité ». Cela leur permet ainsi de mener simultanément un déploiement policier aussi violent qu’intenable dans la durée, à côté d’initiatives visant à formaliser l’entreprenariat informel, qui semble les dispenser de déployer des services publics adéquats pour leurs habitants. Cibles privilégiées des programmes de micro-crédit, comme le montre l’auteure, les femmes sont non seulement au centre de certains programmes sociaux nationaux (comme la Stratégie Santé-famille) ou locaux, mais aussi des activités sociales déployées par les églises néo-pentecôtistes, comme le pointent Yumi Garcia dos Santos et Nina Rosas. Ces dernières remarquent cependant que, dans un cas comme dans l’autre, ces différentes actions contribuent à la fois à émanciper relativement les femmes de la domination masculine dans leurs foyers, notamment d’un point de vue subjectif, tout en les maintenant dans une position subordonnée et dans des rôles genrés qui sont« naturalisés »par la division du travail à une échelle plus large, ce qui permet de les rémunérer très faiblement, voire pas du tout.

  • 5 Voir Pierre Bourdieu, Les structures sociales de l’économie, Paris, Seuil-Liber, 2000.
  • 6 Sur ces processus, voir entre autres, Jean-Claude Barbier, « Pour un bilan du workfare », La Vie de (...)

7Architecte et urbaniste, Lucia Zanin Shimbo propose une analyse des politiques d’offre de logement qui n’est pas sans faire écho aux travaux de Pierre Bourdieu en France, malgré un contexte très différent5. Elle montre ainsi que, loin de constituer une rupture avec les actions du conservateur Fernando Henrique Cardoso, les initiatives de Lula dans ce domaine ont au contraire renforcé encore la place du marché privé, en tant que référent et acteur de la production de logement « social », aboutissant à des programmes qui profitent finalement davantage aux « classes moyennes » et aux grandes firmes du bâtiment qu’aux ménages les plus pauvres. Igor Pantoja suggère cependant qu’en dépit d’un soutien moral et financier sans faille affiché par le gouvernement Lula, la suprématie des grands groupes privés dans l’économie nationale, loin d’être acquise, est le résultat d’un lourd travail d’influence permanent. C’est ce qu’il montre à partir du cas du groupe minier Vale, privatisé en 2007. En comparant les relations déployées par ce dernier avec trois municipalités situées sur le tracé d’une ligne ferroviaire qui achemine le fer vers le littoral, en vue de son exportation, l’auteur montre comment, via sa Fondation, Vale développe des programmes sociaux différenciés en partenariat avec les pouvoirs locaux, réalisant l’objectif de désamorcer les conflits et critiques à l’égard des nuisances engendrées par ses convois. En achetant ainsi la paix sociale, le groupe exerce une action d’autant plus dépolitisante qu’elle renforce le brouillage des frontières entre les secteurs public et privé, et accorde un primat à l’efficacité sur le sens. Ce faisant, explique l’auteur en reprenant à son compte les analyses de Jacques Rancière, « les publics engagés dans les actions sociales se trouvent déjà dans une communauté déterminée, dont on connaît les offres et les demandes et où ne subsistent plus que l’objectivation des problèmes et leur solution par le consensus » (p. 137). Cette phrase résume finalement bien le diagnostic partagé par l’ensemble des articles réunis ici, au-delà de la variété de leurs objets, et montre surtout que comprendre l’action publique d’un régime particulier, celui de Lula comme d’autres, implique de ne pas s’en tenir à ses résultats, mais plus en profondeur à la manière dont elles viennent implicitement prescrire de nouveaux modèles de subjectivité aux citoyen-ne-s, pour les changer en « entrepreneurs de soi-même » dans une logique d’« activation » des politiques sociales qui transcende les frontières « Nord-Sud »6.

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Notas

1 Sur cette période et ses ambivalences mémorielles, voir notamment le dossier récent de la même revue : James Green (dir.), « Le coup d’État militaire 50 ans après », Brésil(s), n° 5, 2014, dont Lectures a rendu compte : https://lectures.revues.org/15073.

2 Voir notamment l’entretien peu prophétique accordé au Monde par celui qui n’était pas encore Président de la Cour suprême, Joaquim Barbosa : Nicolas Bourcier, « Le procès du “mensalao” “marquera la fin d’un modèle de corruption” », Le Monde, 20 août 2012, disponible en ligne : http://www.lemonde.fr/international/article/2012/08/20/bresil-le-proces-mensalao-marquera-la-fin-d-un-modele-de-corruption_1747719_3210.html.

3 Voir Paulo A. Paranagua, « Comprendre le scandale Petrobras qui secoue le Brésil », Le Monde.fr, 9 mars 2015 : http://www.lemonde.fr/ameriques/article/2015/03/09/comprendre-le-scandale-petrobras-qui-secoue-le-bresil_4590174_3222.html.

4 Sur ce concept souvent utilisé confusément dans les discours publics, voir les travaux « généalogiques » de François Denord, notamment Néo-libéralisme version française. Histoire d’une idéologie politique, Paris, Demopolis, 2007.

5 Voir Pierre Bourdieu, Les structures sociales de l’économie, Paris, Seuil-Liber, 2000.

6 Sur ces processus, voir entre autres, Jean-Claude Barbier, « Pour un bilan du workfare », La Vie des idées, 4 novembre 2008, en ligne : http://www.laviedesidees.fr/Pour-un-bilan-du-workfare.html.

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Referencia electrónica

Igor Martinache, « Robert Cabanes, Isabel Georges (dir.), « Les années Lula : politiques sociales ou néolibéralisme ? », Brésil(s), n° 6, 2014 », Lectures [En línea], Reseñas, Publicado el 15 junio 2015, consultado el 06 octubre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lectures/18345 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/lectures.18345

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