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Myriam Benraad, Irak, la revanche de l´histoire, De l’occupation étrangère à l´État islamique

Christophe Premat
Irak, la revanche de l'histoire
Myriam Benraad, Irak, la revanche de l'histoire. De l'occupation étrangère à l'Etat islamique, Paris, Vendémiaire, coll. « Chroniques », 2015, 285 p., ISBN : 978-2-36358-053-5.
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Texte intégral

  • 1 Myriam Benraad, Irak, la revanche de l´histoire, De l´occupation étrangère à l´État islamique, Pari (...)

1Le livre de Myriam Benraad met en perspective la transition géopolitique que subit le Moyen-Orient et en particulier l´Irak. Pour comprendre l´émergence de l´État islamique en Irak, il importe de se référer à des temporalités historiques différentes, l´État islamique se revendiquant de l´époque du premier califat. En réalité, il constitue véritablement une recomposition de différentes connivences politiques provoquées par la chute du régime de Saddam Hussein et l´occupation américaine. Saddam Hussein s´est longtemps présenté comme l´ultime défenseur du monde arabo-musulman tout en affichant une vitrine laïque et multiconfessionnelle. C´est ce double registre qui lui a permis de maintenir son pouvoir, la révolution iranienne de 1979 l´ayant poussé à davantage investir le langage théologico-politique. Pendant la seconde guerre du Golfe, le dictateur s´était référé au siège de Médine de 627 et à la traîtrise d´Ibn al-Alqami, ministre chiite qui avait fomenté un complot contre le calife Al Moutassem (833-842)1.

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2Après la chute de Saddam Hussein en 2003, la résistance à la présence américaine s´est concrétisée par la complicité entre milieux baasistes et djihadistes. Myriam Benraad met en évidence une logique d´agrégat des résistances en évoquant également la filiation salafiste. Son livre est truffé de portraits de leaders concurrentiels en insistant sur la multiplicité des facteurs, géographiques, religieux et politiques. En l´occurrence, sa thèse peut être énoncée de la manière suivante : l´émergence de l´organisation État islamique repose sur l´échec du fédéralisme, le retrait prématuré des troupes américaines faute d´avoir soigné la transition et l´humiliation des sunnites après la chute de Saddam Hussein. Le « réveil des tribus »2 sunnites a été long, mais il s´est accéléré au début des années 2000. En outre, la « débaasification » de l´Irak a fait surgir une pluralité d´acteurs revendiquant une légitimité politique dans la reconstruction du pays. Pour les Sunnites, nous trouvons par exemple le Comité des oulémas musulmans3 formé par le cheikh sunnite Hareth Soulayman al-Dahri qui contestait la présence des occupants américains après 2003. À l´opposé, d´autres forces sunnites rejoignent le gouvernement transitoire avec le Parti national démocratique de Nasser al-Chadarchi, le Mouvement des démocrates indépendants d´Adnan al-Pachachi4 et le Parti islamique irakien. Cette partition des mouvances sunnites est au cœur des difficultés du pays.

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3Le siège de Fallouja est déterminant dans l´analyse des troubles en Irak. Fallouja est une ville historique importante avec des origines babyloniennes. « Son champ religieux se décline autour de trois grandes tendances : des confréries soufies, une branche des Frères musulmans et une mouvance islamiste autrefois quiétiste et aujourd´hui politisée »5. Myriam Benraad montre d´ailleurs que c´est dans cette ville marchande et profondément religieuse que se jouent les clivages théologico-politiques fondamentaux. Les mouvements soufis se déclinent autour de deux écoles de pensée : la Qaderiyya liée historiquement au théologien Abd al-Qader al-Gaylani mort à Bagdag au XIIsiècle et la Naqchbandiyya, héritière du théologien Bahaouddin Naqchband et présente en Irak depuis le XIIIsiècle. Ces deux mouvements ont participé à la résistance contre la présence des troupes américaines6. Un Conseil des moujahidin est constitué en avril 2004 et l´émirat de Fallouja, en tant que régime islamiste, est institué avec la terreur, la prohibition et l´imposition de la chari´a7. Cette ville est devenue en même temps le sanctuaire de la résistance à l´occupation américaine et le laboratoire des réseaux djihadistes. Au fond, en 2004 et en 2005 se joue déjà ce qui s´est produit par la suite dans tout le pays. L´opération militaire du 4 avril 2004 (Vigilant Resolve) s´est soldée par un échec. L´administration de Paul Bremer (gouverneur américain transitoire de l´Irak) a peiné à contrôler cette enclave devenue de facto martyre. L´humiliation sunnite a été à son paroxysme et s´est traduite par un fort sentiment de revanche.

  • 8 Myriam Benraad, Irak, la revanche de l´histoire, De l´occupation étrangère à l´État islamique, Pari (...)
  • 9 Ibid., p. 151.
  • 10 Ibid., p. 150.

4Les élections législatives du 30 janvier 2005 ont vu la victoire des chiites et des kurdes et une réorganisation des rapports de force politiques en Irak. Dans le même temps, la menace salafiste s´est faite plus pressante avec l´adoubement d´Al-Zarqawi par Al-Qaïda en 2004 et auparavant un manifeste rédigé par deux djihadistes irakiens, Abou Fadel al-Iraqi et Abou Islam al-Ansari. Comme le constate l´auteure, « à la fin de l´année 2006, la salafisation du soulèvement sunnite a permis à Al-Qaïda d´imposer son primat idéologique et militaire, tout en enclenchant une dynamique de communautarisation parmi les populations sunnites »8. C´est le 12 octobre 2006 qu´une alliance politique des mouvements sunnites annonça la création de l´État islamique d´Irak (Dawla al-´Iraq al-islamiyya) sous l´autorité d´Abou Omar al-Baghdadi9. Ces mouvances se réfèrent explicitement à l´époque du prophète puisqu´elles scellent une Alliance des embaumés (Hilf al-mutayibin), « formule renvoyant au serment d´entraide qui avait été conclu entre les membres du clan Mahomet, les Banou Hachem, et scellé par du parfum »10. L´échec du fédéralisme a provoqué une facture communautariste très profonde avec un risque d´élimination de certaines minorités. Le livre offre une image géopolitique précise de la relation entre les grandes puissances dans la région. La Turquie, l´Iran et l´Arabie Saoudite jouent plus un rôle de déstabilisation en raison de leur concurrence.

  • 11 Ibid., p. 258.

5Le livre de Myriam Benraad est à lire pour comprendre que cette transition géopolitique recouvre également une rivalité théologique profonde. « Outre le réengagement de la communauté internationale qui, avant l´été 2014, s´était éloignée du Moyen-Orient et de ses tourments, seule une relance de ces transitions par les acteurs modérés encore présents dans ces pays pourra permettre au monde arabe de s´extraire d´une dialectique tragiquement devenue son tombeau : le chaos ou la dictature »11.

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Notes

1 Myriam Benraad, Irak, la revanche de l´histoire, De l´occupation étrangère à l´État islamique, Paris, Vendémiaire, 2015, p. 87.

2 Myriam Benraad, Irak, la revanche de l´histoire, De l´occupation étrangère à l´État islamique, Paris, Vendémiaire, 2015, pp. 165-179.

3 Myriam Benraad, Irak, la revanche de l´histoire, De l´occupation étrangère à l´État islamique, Paris, Vendémiaire, 2015, p. 75.

4 Myriam Benraad, Irak, la revanche de l´histoire, De l´occupation étrangère à l´État islamique, Paris, Vendémiaire, 2015, p. 70.

5 Myriam Benraad, Irak, la revanche de l´histoire, De l´occupation étrangère à l´État islamique, Paris, Vendémiaire, 2015, p. 98.

6 Myriam Benraad, Irak, la revanche de l´histoire, De l´occupation étrangère à l´État islamique, Paris, Vendémiaire, 2015, p. 99.

7 Myriam Benraad, Irak, la revanche de l´histoire, De l´occupation étrangère à l´État islamique, Paris, Vendémiaire, 2015, p. 102.

8 Myriam Benraad, Irak, la revanche de l´histoire, De l´occupation étrangère à l´État islamique, Paris, Vendémiaire, 2015, p.134.

9 Ibid., p. 151.

10 Ibid., p. 150.

11 Ibid., p. 258.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Christophe Premat, « Myriam Benraad, Irak, la revanche de l´histoire, De l’occupation étrangère à l´État islamique », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 01 juin 2015, consulté le 12 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lectures/18160 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/lectures.18160

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Rédacteur

Christophe Premat

Maître de conférences associé à l´Université de StockholmChercheur associé au Centre Émile Durkheim (IEP Bordeaux)

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