René Vautier, René Vautier en Algérie (DVD n° 4)
Texte intégral
1René Vautier, qui nous a quittés au début de l’année 2015, était l’un des dignes représentants du cinéma d’investigation. Ce DVD fait partie d’une série sur les atrocités du colonialisme en Afrique ; il est constitué de plusieurs films : À propos de… l’autre détail, La loi du silence, Entretien avec Jacques Choukroun, Le glas et Frontline. Chacun mêle des commentaires sur des images filmées et des entretiens avec différents acteurs. La caméra de René Vautier ne juge pas ; elle cherche, elle interroge. La pratique de la torture est explicitement abordée. Ainsi, dans le documentaire À propos de… l’autre détail, le général Massu est interviewé et décrit minutieusement les techniques utilisées pour faire parler les prisonniers du FLN. René Vautier est véritablement un témoin de son temps, celui qui a vu le conflit en Algérie et qui offre des sources de première main. Le prix de cette lucidité est l’extraordinaire anonymat auquel a été réduit ce cinéaste, ignoré par presque toutes les anthologies cinématographiques. Ses films sont des archives précieuses à redécouvrir, sur un conflit qui reste encore difficile à évoquer en France. L’entretien avec Jacques Choukroun, témoin direct de la guerre d’Algérie, est également saisissant : Jacques Choukroun est un historien qui a travaillé sur cette guerre et qui, lui aussi, donne des informations précises sur la manière dont la torture a systématiquement été orchestrée en Algérie.
- 1 Le 13 septembre 1987, Jean-Marie Le Pen a tenu les propos suivants devant le grand jury RTL-Le Mond (...)
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2Ce DVD contient des documentaires réalisés à différentes périodes sur la guerre d’Algérie et sur l’apartheid en Afrique du Sud. À propos de… l’autre détail est un film tourné en 1985 qui interroge des témoins torturés par Jean-Marie Le Pen lors de la guerre d’Algérie. Ce film avait été projeté pour soutenir le journal Le Canard Enchaîné, en procès pour diffamation. Ainsi, le « détail » évoqué dans le titre n’est pas celui des chambres à gaz1 de la Seconde Guerre mondiale, mais celui de la torture pendant la guerre d’Algérie. La loi d’amnistie n° 66-396 du 17 juin 1966 concernant les crimes ou délits commis en relation directe avec les « événements d’Algérie »2 a permis de protéger les tortionnaires ; c’est pourquoi René Vautier a mis sa caméra au service d’une vérité citoyenne. C’est d’ailleurs en 1985 que la production de René Vautier a été saccagée. La loi du silence, filmé en 2003 en collaboration avec Moïra Vautier, revient sur ces événements. Le spectateur constate ainsi les bobines détruites et l’ampleur du désastre. La caméra de Vautier ne laisse rien de côté, elle ne se décourage pas.
3Le glas est un documentaire datant de 1964 qui a été réalisé avec l’appui du ZAPU (Zimbabwe African Party for Unity) pour dénoncer la pendaison de trois révolutionnaires à Salisbury, en Afrique du Sud. Ce film en noir et blanc a d’abord été interdit en France, puis autorisé en 1965. Frontline est certainement le documentaire le plus poignant, qui s’ouvre sur un chant de révolte des victimes de l’apartheid. Il a été réalisé avec le soutien du Congrès national africain (ANC) en 1976 en collaboration avec Oliver Tambo, qui en a était le vice-président en 1958. La voix de René Vautier accompagne ce trésor d’images, pour dénoncer avant l’heure le régime le plus raciste, qui a permis à d’anciens nazis de recycler leur idéologie et leurs pratiques tortionnaires. Au fond, au-delà du regard anticolonialiste de René Vautier et de sa connaissance intime des drames africains, il y a un désir de mémoire et de justice, car les tortionnaires d’hier peuvent agir encore à l’avenir. Son engagement total pour la vérité citoyenne est unique et explique certainement son ostracisme. Frontline est le cri des défenseurs des droits humains en Afrique du Sud. René Vautier donne un écho à ce cri afin de remonter vers ceux qui ont, sans relâche lutté, contre ce régime atroce.
- 3 René Vautier, « Autour du film Avoir vingt ans dans les Aurès de René Vautier », Matériaux pour l’h (...)
4L’œuvre de René Vautier a subi bien des aléas : elle a d’abord été censurée dans les années 1960 avant d’être criminellement détruite en 1985. Il était donc urgent de rassembler les documentaires restants pour pouvoir les proposer au public. Le témoignage le plus émouvant est celui de l’historien Pierre Vidal-Naquet, qui a appuyé considérablement le combat de René Vautier contre Jean-Marie Le Pen. René Vautier est d’ailleurs revenu sur ses liens avec Pierre Vidal-Naquet lors d’un colloque au début des années 2000 : « j’avais, à la demande du Canard enchaîné, projeté les documents que j’avais tournés en Algérie sur les gens personnellement torturés par Le Pen. À partir du moment où Pierre gagnait le procès que lui faisait Le Pen, j’estimais – et la Bibliothèque nationale l’a aussi estimé – que des documents de ce genre avaient leur place à la Bibliothèque nationale. Pierre Vidal-Naquet était de surcroît dans le film. Et lorsque je lui demandais ce que devait faire un réalisateur ayant enregistré les témoignages de gens personnellement torturés par quelqu’un qui se présentait aux élections, si on n’avait pas le droit de le dire, Pierre répondait devant la caméra qu’il fallait non seulement le dire, mais le hurler. J’ai fait tout mon possible pour que ce soit hurlé, mais je le remercie de l’avoir dit devant ma caméra »3. Si le travail de René Vautier a pu survivre en partie grâce à certaines solidarités militantes, il importe aujourd’hui de le valoriser car il s’agit d’une archive vivante et sensible sur l’oppression des régimes coloniaux.
Notes
1 Le 13 septembre 1987, Jean-Marie Le Pen a tenu les propos suivants devant le grand jury RTL-Le Monde, parlant des chambres à gaz : « Je n'ai pas étudié spécialement la question, mais je crois que c’est un point de détail de l’histoire de la deuxième guerre mondiale ».
2 http://legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000504433. Le choix de l’expression « événements d’Algérie » montre le soin avec lequel le législateur évite de parler de « guerre » d’Algérie.
3 René Vautier, « Autour du film Avoir vingt ans dans les Aurès de René Vautier », Matériaux pour l’histoire de notre temps, 2003, vol. 72, n° 1, p. 66.
Haut de pagePour citer cet article
Référence électronique
Christophe Premat, « René Vautier, René Vautier en Algérie (DVD n° 4) », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 05 mars 2015, consulté le 10 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lectures/17264 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/lectures.17264
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