Dominique Borne, Quelle histoire pour la France ?
Texte intégral
- 1 Paul Ricœur, La mémoire, l’histoire, l’oubli, Paris, éditions du Seuil, 2003.
1Dominique Borne nous invite à réinterroger la manière d’écrire l’histoire aujourd’hui1. Son ambition est de transmettre le goût du récit historique en réinterprétant ce qui est signifiant. À l’heure de la mondialisation, la narration nationale devrait selon lui être relativisée, voire s’effacer devant un métarécit plus important. Selon Dominique Borne, la méthode historique consiste à découvrir de nouvelles sources pour comprendre ce qui faisait sens pour les hommes du passé. Il s’agit ainsi de réévaluer le regard historique sans céder à une quelconque vision téléologique. L’autre défi est celui de la montée des formes de concurrence mémorielle qui viennent perturber le récit historique, au risque d’une politisation. Dominique Borne se livre à un exercice historiographique pour montrer d’abord la complexité du récit colonial de la France, imposant le refrain de « Nos ancêtres, les Gaulois », avant de déconstruire ce récit au nom des victimes du colonialisme. Le lecteur entre ainsi dans l’ouvrage à partir de cette idée qu’il y a une mise en récit problématique de l’histoire de France. Comme le rappelle Dominique Borne, « le travail des historiens de métier, spécialisés dans leur période et dans un domaine de cette période, n’est pas, du reste, d’écrire une histoire de France » (p. 153-154). C’est ici que l’expérience pédagogique de l’auteur compte, car il s’agit non pas d’examiner un moment particulier du passé, mais de plonger au cœur de l’imaginaire national pour en faire ressortir les lignes les plus importantes.
- 2 Marthe Robert, Roman des origines et origines du roman, Paris, Grasset, 1988.
2On a l’habitude de diviser l´histoire de France en séquences partant des origines gauloises et des relations avec les peuples barbares avant d´aborder l´histoire des rois et de leurs liens à la chrétienté (Saint-Louis et la justice). L´histoire de la République vient ponctuer ce récit national en y ajoutant les progrès de l´idée de laïcité. Dominique Borne propose de réévaluer le « roman des origines »2 en faisant remonter plus loin les racines de la France. Selon lui, l’originalité serait de faire démarrer l’histoire de France avec l’arrivée des Phocéens à Massilia, pour d’emblée l’inclure dans un récit européen. « La proposition n’est pas dogme, mais exemple, pour inciter chacun à inventer son histoire de France, à imaginer ses origines, et à créer un récit tout aussi légitime que les autres pourvu qu’il dialogue avec eux » (p. 139). En d’autres termes, si l’historien s’attache à un moment particulier qu’il va analyser au travers de la confrontation de sources, celui qui raconte l’histoire a la tâche d’articuler les moments entre eux et d’en proposer une nouvelle interprétation dans le concert démocratique des différentes narrations. Dominique Borne utiliser une expression très juste qui est celle de « faire entrer les Français dans leur histoire » (p. 146). Cela implique de réintégrer des groupes qui y ont été exclus en travaillant davantage sur l’histoire de l’immigration. Cela implique également une distance nécessaire avec les héros traditionnels, pour en découvrir d’autres et ne pas asseoir uniquement le récit historique sur le dos des vainqueurs. L’archéologie est précieuse pour mettre au jour les origines ; ainsi, la découverte en 1953 de la tombe de la princesse de Vix est fondamentale. La tombe de la princesse Vix date du VIe siècle avant Jésus-Christ, elle se situe dans la commune du même nom en Bourgogne. Cette princesse avait un certain rang dans la société celtique de l´époque, les objets retrouvés dans cette tombe montrent qu’il y avait des contacts entre les civilisations méditerranéennes et les civilisations du nord.
3Cette mise en récit de l’histoire de France, Dominique Borne la conçoit grâce aux œuvres littéraires et artistiques, qui sont parfois beaucoup plus utiles pour nous faire percevoir le passage d’une époque à un autre. « La distance culturelle entre deux événements pourtant voisins dans le temps, la mort de Louis XIV en 1715, mise en littérature par Saint-Simon, et une œuvre, la grande toile d’Antoine Watteau L’Embarquement pour Cythère (1717), fait percevoir, mieux qu’un récit chronologique, le saut d’un monde funèbre à l’invention du bonheur » (p. 151). Au fond, il s’agit bien d’habiter l’histoire de France, de comprendre les différents clivages qui la nourrissent (rural/urbain, catholique/protestant, centre/périphérie) pour ajuster ce récit et le faire dialoguer avec d’autres. Dans cette perspective, Dominique Borne compare les usages de l’histoire par les présidents de la Ve République : si certains utilisent le récit historique avec parcimonie, d’autres l’investissent pour y trouver une nouvelle forme de cohérence. L’objectif est donc de ne pas laisser le récit historique aux mains des politiques, mais d’inviter la communauté historienne à risquer un récit plus complexe et sans cesse réélaboré au gré des découvertes. C’est en ce sens que les visions du monde s’enrichiront. In fine, ce livre est à connaître à l’heure où les programmes scolaires sont en passe d’intégrer des cours de morale laïque pour parachever le récit républicain sous lequel nous vivons.
Notes
1 Paul Ricœur, La mémoire, l’histoire, l’oubli, Paris, éditions du Seuil, 2003.
2 Marthe Robert, Roman des origines et origines du roman, Paris, Grasset, 1988.
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Référence électronique
Christophe Premat, « Dominique Borne, Quelle histoire pour la France ? », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 13 janvier 2015, consulté le 01 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lectures/16702 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/lectures.16702
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