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Vincent Chambarlhac, Amélie Lavin, Bertrand Tillier (dir.), Les Malassis. Une coopérative de peintres toxiques (1968-1981)

Corinne Delmas
Les Malassis
Vincent Chambarlhac, Amélie Lanvin, Bertrand Tillier (dir.), Les Malassis. Une coopérative de peintres toxiques (1968-1981), Montreuil, L'Échappée, 2014, 192 p., ISBN : 978-29158308-4-2.
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Texte intégral

  • 1 Cette exposition ouverte en mai 1972 au Grand Palais, à l’initiative du Président Georges Pompidou, (...)
  • 2 Cette exposition est visible jusqu’au 8 février 2015. L’essentiel de la production des Malassis est (...)

1Des Malassis demeure l’image de peintres affrontant une compagnie de CRS avec deux tableaux, lors du happening auquel ils procédèrent dans le cadre du vernissage policier de l’exposition « Pompidou », 72/72, ou douze ans d’art contemporain en France (1960-1972)1. Les plasticiens y exposaient une fresque figurative monumentale de 65 mètres de long, Le Grand Mechoui, fustigeant de manière caustique la réalité politique de douze ans d’État français, mais aussi l’exposition dans laquelle cette œuvre s’inscrivait. Elle confronte ainsi les « moutons » de la majorité silencieuse, invitée à cette grande réjouissance officielle de la « culture », à une image critique de « douze ans d’histoire de France ». Ce travail, réalisé de décembre 1971 à mai 1972, fut donc finalement décroché le jour même du vernissage, avant que les visiteurs aient pu le voir. L’exposition qui est aujourd’hui consacrée aux Malassis, aux musée des Beaux-Arts de Dôle2, est l’occasion de présenter au public non seulement cette fresque, dans sa totalité, mais plus largement, les productions inscrites dans le quotidien et soustraites du marché de ce groupe de peintres (Henri Cueco, Lucien Fleury, Jean-Claude Latil, Michel Paré, Gérard Tisserand, et Christian Zeimert, qui est parti au bout d’un an) constitué en coopérative de 1971 à 1981.

  • 3 Auxquels s’ajoutent un avant-propos rappelant l’histoire de la collection, des annexes (biographies (...)
  • 4 Les deux autres peintres ayant alors disparu.

2L’ouvrage, co-dirigé par les trois commissaires de l’exposition, mobilise le regard croisé d’historiens et de spécialistes de l’art pour restituer ce parcours. Les huit textes le constituant3 évoquent ainsi l’histoire des Malassis, leur choix de la forme coopérative, le contexte de l’émergence du groupe, marqué par la création collective et la radicalisation politique dans les arts, les objectifs poursuivis par ses membres et les particularités de leur production : monumentalité, ironie, tentative de subversion de l’institution… Le titre de l’exposition et de ce catalogue, Les Malassis. Une coopérative de peintres toxiques (1968-1981), fait écho à cette intention de produire un art virulent, inadéquat à son époque, volontairement toxique, revendiquée au début des années 2000 dans un texte collectif des « Malassis rescapés, Cueco, Latil, Tisserand »4, en réaction au démontage d’une de leurs fresques, Onze variations sur le Radeau de la Méduse. Les panneaux de fibrociment constituant ce décor qui ornait, depuis 1975, un centre commercial d’Echirolles, ont finalement été enfouis dans une « zone dangereuse » réservée aux produits toxiques, en raison de présence supposée d’amiante… « La boucle est bouclée, merveilleuse conclusion » (p. 157) peuvent alors souligner les trois peintres…

3Le livre s’ouvre sur des « Fragments d’une histoire » évoquant le renouveau du Salon de la Jeune Peinture, au sein duquel les futurs membres des Malassis prennent un rôle actif, et présente brièvement les œuvres du groupe constituant une critique ouverte du pouvoir de l’argent (L’envers du billet), de la société de consommation (L’Appartemensonge, Les Onze Variations du radeau de la méduse) ou de la Ve République (Le Grand Mechoui). Suit une présentation de la coopérative ; réponse politique aux débats du Salon de la Jeune Peinture, le choix de cette forme d’organisation se comprend comme la traduction, dans le domaine des arts plastiques, de la volonté de « faire de la politique autrement », souligne Vincent Chambarlhac. Plutôt que de vendre leurs productions, les Malassis les mettent en location, critiquant ainsi les contraintes du marché et court-circuitant les galeries. « Ce jeu sur la marge participe de l’idéal même des coopératives de production, dont les formes se déploient à l’intérieur du système capitaliste, ménageant en son sein des espaces régulés par d’autres logiques », cette propriété offrant « la possibilité de participer aux expositions officielles collectivement, puisque la mention de la coopérative vaut politisation, soit une forme singulière de subversion de l’espace de l’institution » (p. 31). Ces peintres mettent leur art au service des organisations politiques, dans le cadre d’une « pensée de l’engagement de l’artiste à distance de l’avant-garde et/ou de la récupération » (p. 32). Le groupe est toutefois « mal assis », comme le sous-entend le nom adopté, en référence à la localisation de l’atelier de l’un de ses membres, sur le plateau des Malassis de la commune de Bagnolet, où la coopérative se constitue… Le chapitre évoque ainsi le positionnement politique complexe de ces plasticiens : pour la plupart militants ou compagnons de route du communisme, tous répugnent au réalisme socialiste, tandis que leur appartenance au Salon de la Jeune Peinture les identifie au gauchisme, ce qui équivaut, pour les communistes, à une condamnation.

4Le troisième chapitre évoque la peinture collective dans les années 1960 et l’efflorescence de multiples groupes jusqu’à la fin des années 1970, dont le GRAV (Groupe de recherche d’art visuel), Panique, Equipo Crónica, BMPT (Buren-Mosset-Parmentier-Toroni) ou Support-Surface. Le quatrième, après avoir retracé l’histoire du Salon de la Jeune Peinture marqué par le combat pour la figuration, la politisation, et la radicalisation politique, interroge les sources de marginalisation des Malassis, stigmatisés comme gauchistes, refusant à produire une simple peinture de propagande et attendant des commandes qui ne viennent pas, les partis politiques se désintéressant de leur art. Satirique, narrative, procédant par citations et détournements, mais aussi par simplification et dépersonnalisation, la démarche des Malassis repose, souligne Bertrand Tillier, sur le refus de la « Belle Peinture, c’est-à-dire la peinture déjà formalisée » et la nécessité de « la mauvaise peinture », d’où le rejet du chevalet, le choix d’un art monumental « qui ne soit pas “récupéré” et pas récupérable par les valeurs bourgeoises » (p. 93). La critique de ces « valeurs bourgeoises » et « petites bourgeoises » est au cœur de la cinquantaine de tableaux formant Qui tue ? ou l’affaire Gabrielle Russier exposée pour la première fois en 1970, qui atteste surtout que la politique peut être abordée à partir d’un fait divers. Cette série, commentée dans le sixième chapitre, fait référence à une affaire ayant alors suscité un emballement médiatique et culturel, à savoir le suicide d’une enseignante poursuivie pour avoir eu une relation amoureuse avec l’un de ses élèves, affaire qui peut être lue comme une suite de Mai 68, mettant en jeu la légitimité et l’autorité de la famille, de la justice et de l’éducation nationale.

5Les deux derniers chapitres analysent les ressorts subversifs d’un art monumental. Les Malassis font preuve d’une ironie féroce dans une peinture d’histoire qui implique, souligne Itzhak Golbdberg, des modes de lecture contrastés : présence du spectateur dans l’œuvre même, avec la reconstitution grandeur nature d’un F3 typique que constitue l’installation peinte Appartemensonge, lecture dans son acception littéraire du Grand Mechoui, dont la structure et la narration par épisodes ressemblent à la bande dessinée, déchiffrement plus visuel et immédiat de Onze variations sur le radeau de la Méduse ou la Dérive de la société de consommation, décor de près de 2000 m2 commandé par la municipalité de Grenoble, qui emprunte à un tableau d’histoire pour ironiser sur le naufrage de la société de consommation… On peut s’interroger sur les limites de cette « tentative de subversion de l’institution art », voire sur les apories d’une démarche qui, consistant à faire prévaloir la « lisibilité » du message sur les questions plastiques, tend presque inévitablement à disqualifier la possibilité même d’un art politique qui maintiendrait dans une tension égale deux termes traditionnellement jugés incompatibles » (p. 170), comme le remarque Catherine Wermester dans le texte clôturant l’ouvrage.

  • 5 On soulignera quelques redondances et le caractère un peu impressionniste d’un ouvrage qui, par ail (...)

6Si les membres du BMPT pouvaient indiquer « nous ne sommes pas des peintres », les Malassis souligneront « nous sommes des peintres contestés ». Par-delà les nécessaires frustrations largement liées à son format5, c’est tout l’intérêt de cet ouvrage que de restituer cette position ambivalente, voire aporétique, de peintres attachés à la représentation figurative et au plaisir de peindre, mais faisant prévaloir la lisibilité du message, voire revendiquant une « mauvaise peinture ».

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Notes

1 Cette exposition ouverte en mai 1972 au Grand Palais, à l’initiative du Président Georges Pompidou, propose une synthèse de la création française à travers l'œuvre de 72 plasticiens. Lors du vernissage, la manifestation du Front des Artistes Plasticiens (FAP) suscite l’intervention des forces de l'ordre. En réponse à cette dernière, certains artistes renoncent à exposer, d'autres retournent leurs œuvres ou leur adjoignent des fromages odorants. Les Malassis sortent avec leurs toiles qu’ils utilisent pour repousser les policiers. Dans le cadre de l’exposition, qui rouvre huit jours plus tard, ils les remplaceront par des photographies de ce happening prises par Lucien Fleury.

2 Cette exposition est visible jusqu’au 8 février 2015. L’essentiel de la production des Malassis est déposé au Musée de Dôle où se tient l’exposition.

3 Auxquels s’ajoutent un avant-propos rappelant l’histoire de la collection, des annexes (biographies des peintres), des documents et une bibliographie.

4 Les deux autres peintres ayant alors disparu.

5 On soulignera quelques redondances et le caractère un peu impressionniste d’un ouvrage qui, par ailleurs, évoque peu les formations, trajectoires et œuvres individuelles, les liens avec la production collective, les retombées de cette dernière, la vie et les éléments de cohésion du groupe.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Corinne Delmas, « Vincent Chambarlhac, Amélie Lavin, Bertrand Tillier (dir.), Les Malassis. Une coopérative de peintres toxiques (1968-1981) », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 31 décembre 2014, consulté le 09 octobre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lectures/16587 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/lectures.16587

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