Jean Bérard et Mathieu Valdenaire, De l’éducation à l’insertion : dix résultats du Fonds d’expérimentation pour la jeunesse
Texte intégral
1Le sujet de cet ouvrage est « l’expérimentation sociale » comme formule de contribution de la recherche à la décision en matière de politiques publiques – ici dans les domaines de l’éducation, de la formation d’une part et de l’insertion sociale et professionnelle d’autre part. Celui-ci est composé d’une série de dix comptes rendus d’expérimentations, choisies parmi beaucoup d’autres, conduites sur le territoire national sous couvert du Fonds d’expérimentation pour la jeunesse (FEJ), créé en 2008 « pour financer des actions innovantes en faveur des jeunes, mises en œuvre à une échelle limitée et évaluées rigoureusement » (p. 10).
2Ces expérimentations consistent à tester des dispositifs, circonscrits sur un territoire donné, visant à apporter un soutien par l’information, l’octroi de ressources monétaires spécifiques, etc. à des publics confrontés à des difficultés (élèves faibles scolairement ou en déficit d’information en matière d’orientation professionnelle, jeunes en difficulté d’insertion sociale et professionnelle, étudiants en quête d’emplois compatibles avec les conditions de la réussite, etc.). Chaque expérimentation repose sur une structure porteuse du projet (ce peut être une académie, un bureau information jeunesse, une collectivité, une université, une mission locale…) et fait appel à un évaluateur considéré comme indépendant ; celui-ci est universitaire ou bien chercheur dans l’un des grands organismes publics de la recherche (le plus souvent il est économiste, secondairement sociologue). L’évaluation repose toujours sur le même principe : deux groupes d’individus, possédant les caractéristiques du public visé par l’action ou le dispositif, sont constitués par tirage au sort au début de l’expérimentation. Seul le premier groupe bénéficie de la mise en place de l’action ou du dispositif : c’est le groupe test ; le second groupe sert de référence pour le contrôle : c’est le groupe témoin. Il s’agit ensuite, pour l’évaluateur, de rechercher systématiquement des différences significatives entre les deux groupes et d’apprécier dans quelle mesure celles-ci sont attribuables à l’effet causal de l’action ou du dispositif.
3Les dix comptes rendus d’expérimentation – qu’on peut lire de façon séquentielle ou non, mais dont nous ne proposerons pas ici de résumé – sont encadrés par deux textes. Le premier d’entre eux, rédigé par les responsables du pôle évaluation du FEJ, présente cette structure et ses actions puis explicite les principes sur lesquels est basée la démarche d’expérimentation. Il pointe les modalités qui caractérisent de manière générale les politiques publiques d’aujourd’hui (financement par appels à projets, exigence d’évaluation) en observant que l’expérimentation sociale de type test-témoin est elle-même l’expression de ce New management public qui privilégie des indicateurs économiques quantitatifs. Ce texte examine également les rapports entre les administrations publiques (aux différents échelons territoriaux) et la recherche. Cette dernière est présentée comme pourvoyeuse d’une expertise propre sur les effets des politiques publiques, du fait de sa capacité à produire une information établie selon les méthodologies en vigueur dans les communautés scientifiques concernées. Les rapports entre les agents des administrations publiques et les chercheurs ne vont toutefois pas de soi et peuvent être sources de malentendus, d’incompréhensions, de déceptions ; ils sont cependant présentés comme nécessairement riches d’enseignements pour les décideurs publics, auxquels ils permettent de se prononcer « sur l’expérience, et non sur la seule intuition » (p. 28). Les dix comptes rendus, qui composent le corps du livre, font eux-mêmes état de ces mauvaises nouvelles dont les chercheurs mobilisés à des fins d’évaluation se font, parfois, les porteurs. Ceux-ci pointent par exemple les difficultés rencontrées par la structure porteuse d’un projet à mobiliser les différents acteurs nécessaires au fonctionnement du dispositif. Ils peuvent également montrer que les effets de tel ou tel programme sont à la fois positifs (dans le meilleur des cas) mais relativement négligeables, les écarts de « performance » entre groupe test et groupe témoin n’étant pas très significatifs statistiquement parlant. Les effets relevés sont parfois inattendus (et dans un premier temps même contre productifs) : aider financièrement les jeunes en difficulté d’insertion à passer le permis de conduite les détourne de l’emploi par « un effet de lock-in » (p. 159). Plus encore, les chercheurs débusquent, à l’occasion, les fonctions de légitimation que l’expérimentation est susceptible de remplir en vue de son éventuelle généralisation. Tel est le cas du Portefeuille d’expériences et de compétences (PEC), mis en place dans le cadre des missions imposées aux établissements universitaires par la loi relative aux libertés et responsabilités des universités (LRU), qui « privilégie une certaine lecture de la problématique de la formation des étudiants et de leur insertion professionnelle » (p. 119) en cherchant à valoriser certaines compétences acquises à l’université par les jeunes pour les ajuster à celles requises par les employeurs, dans une logique de l’offre.
4En conclusion de ces dix évaluations somme toute mitigées, Marc Gurgand, économiste de l’École d’économie de Paris et président du conseil scientifique du FEJ de 2009 à 2013, n’hésite pourtant pas à renouveler ses espoirs, même minces, comme on va le voir, dans l’insertion de « l’expérimentation sociale dans la décision publique » (p. 209), rêvant à l’importation en France d’exemples célèbres, mexicain (programme Progressa) ou américain (programme Student achievement in reading, STAR). On se souvient peut-être que l’expérimentation mexicaine, lancée à la fin des années 1990, avait conduit à établir que des transferts monétaires conditionnels vers les familles les plus pauvres, subordonnés à la scolarisation régulière des enfants, pouvaient à la fois réduire la pauvreté économique et augmenter les niveaux d’éducation. Dans l’expérimentation menée par plusieurs États américains, au début des années 2000, le résultat avait été de rendre crédible l’idée d’un lien de causalité entre la taille des classes et la réussite scolaire. Marc Gurgand voit l’utilité des « expérimentations sociales » qui font l’objet du livre dans la légitimité des universitaires et des chercheurs à articuler les objectifs de remédiation qu’elles visent à des données empiriques bien construites. Ce qu’il appelle « le pouvoir des chercheurs » (p. 212) est cette capacité que ceux-ci auraient à peser, par leurs évaluations, sur les décisions en matière de politiques publiques, ici dans les domaines de l’éducation, de la formation et de l’insertion sociale et professionnelle. L’auteur juge ce pouvoir modeste et même « infime » (p. 212) sans toutefois en dire davantage, suscitant par là notre curiosité de mieux savoir de quelles relations concrètes sont faites les collaborations entre universitaires, chercheurs et agents de la décision publique.
Pour citer cet article
Référence électronique
Gérald Houdeville, « Jean Bérard et Mathieu Valdenaire, De l’éducation à l’insertion : dix résultats du Fonds d’expérimentation pour la jeunesse », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 03 décembre 2014, consulté le 11 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lectures/16342 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/lectures.16342
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