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Christophe Blanchard, Les maîtres expliqués à leurs chiens. Essai de sociologie canine

Nadia Veyrié
Les maîtres expliqués à leurs chiens
Christophe Blanchard, Les maîtres expliqués à leurs chiens. Essai de sociologie canine, Paris, Zones, 2014, 158 p., ISBN : 978-2-35522-064-7.
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Texte intégral

  • 1 Au sujet de la place de l’animal dans le travail de l’homme et pendant la guerre, voir Éric Baratay (...)
  • 2 Voir Jean-Pierre Digard, Les Français et leurs animaux. Ethnologie d’un phénomène de société, Paris (...)
  • 3 Christophe Blanchard a soutenu, en 2013, à l’université d’Évry-Val-d’Essonne, une thèse en sociolog (...)

1Dans cet ouvrage, l’auteur, docteur en sociologie et maître de conférences à l’université Paris 13, interroge les liens, plus particulièrement aujourd’hui, entre le chien et l’homme. Il évoque sa formation de maître-chien pour ensuite présenter une analyse sociologique sur la place du chien dans la société occidentale et néo-libérale. Ainsi, le chien n’est plus vraiment valorisé pour ses fonctions de garde, de chasse ou de traction1 ; il est devenu pleinement un animal de compagnie2, au domicile et même dans la rue, pour les personnes sans abri. En effet, la place du chien auprès des jeunes en errance est mise en évidence au travers d’enquêtes de terrain réalisées par l’auteur3.

2Christophe Blanchard propose une interprétation pertinente de la société de consommation en démontrant que le chien et les autres animaux de compagnie constituent un marché lucratif (aliments, accessoires, salons, activités et autres). Ainsi, les industriels de l’alimentation pour les animaux de compagnie, tenants du titre de ce marché, sont déjà en possession d’autres marchés importants tels ceux du chocolat, du lait et du dentifrice. Ils proposent des aliments pour les chiens en reproduisant les goûts des humains. Par exemple, le combat contre la malbouffe est récupéré par certaines entreprises. L’enjeu est alors de produire une nourriture bio pour les animaux de compagnie très soignés par leurs propriétaires ! Le chien se métamorphose alors en fine bouche des produits industriels, délaissant la pâtée maison.

3Dans cette société de consommation, le corps humain est exposé, voire exploité, mais le chien de race et de luxe est à son tour devenu un produit montré notamment dans des concours de beauté. Le milieu du sport s’adapte également au monde canin : agility (l’animal saute des obstacles et passe dans des petits tunnels) et cani-cross (un coureur à pied et son chien sont reliés avec un harnais et une longe) sont des sports canins proposés aux propriétaires. Des propriétaires qui, comme le précise Christophe Blanchard, peuvent aussi déposer leurs chiens dans des pensions et des hôtels luxueux canins avec téléviseur, lecteur DVD, manucure, etc. Cette préoccupation qui consiste à avoir à ses côtés un chien nourri sainement, ultra-soigné, propre – à l’image d’êtres humains certainement parfaits en apparence – s’étend même à la sexualité de l’animal. En effet, l’auteur explique qu’au Brésil, il existe des maisons de passe pour chiens : « Pour une cinquantaine de dollars, les maîtres peuvent ainsi laisser s’ébattre leur progéniture canine en toute discrétion, sous l’œil averti des tenanciers du lieu, des biologistes et des vétérinaires locaux » (p. 36-37). Notons que l’animal est en permanence sous le contrôle de multiples spécialistes qui ainsi rassurent les propriétaires quant au comportement de leur chien. Ces petites attentions non bénévoles envers les animaux de compagnie mettent en évidence une logique rationalisée. Déposer son chien dans un espace consacré à la sexualité révèle-t-il un acte de pure générosité de la part des maîtres envers leur animal ? Cet exemple nous renseigne-t-il sur le rapport à la sexualité des chiens ou sur celui des maîtres ?

  • 4 Au sujet de la place de l’animal auprès des personnes en situation de vulnérabilité, voir Jérôme Mi (...)

4Ensuite, Christophe Blanchard démontre que le chien peut être considéré comme le substitut d’enfant pour ceux qui n’en ont pas ou qui n’en ont plus sous leur toit. À partir d’enquêtes de terrain auprès de jeunes en errance qui possèdent un chien, l’auteur met en lumière avec pertinence l’importance de l’animal comme « compagnon naturel » (p. 86) dans le quotidien pour survivre : il assure à son maître protection, chaleur et fidélité tout en lui conférant une responsabilité à son égard. Par exemple, la présence du chien peut éviter la tentative de suicide du maître parce qu’il est responsable de son animal et se refuse à l’abandonner ainsi. Le chien donne un sens à la vie. L’animal est aussi un médiateur4, par exemple avec les passants, et un trait d’union entre des personnes qui aiment les animaux mais qui n’oseraient pas s’adresser directement à un « punk à chien ».

5Par ailleurs, l’auteur explique que le chien peut être utilisé pour mettre en place une politique sécuritaire. En effet, à partir de quelques cas de chiens de sans abri qui ont mordu des personnes dans la rue, la peur des chiens et de leurs maîtres est entretenue dans les représentations collectives. Or, si ces chiens peuvent mordre, ils le font plus rarement que les animaux de compagnie qui vivent dans l’espace domestique et la famille. À ce sujet, Christophe Blanchard évoque son expérience : « À une ou deux exceptions près, les chiens de rue que j’ai pu croiser lors de mes enquêtes étaient tous relativement sociables. Familiarisés à la foule, aux bruits et à la présence constante d’autres chiens dans leur environnement proche, ces animaux réagissent rarement aux sollicitations extérieures, surtout si leur maître est à proximité » (p. 108). Le chien réagit uniquement pour protéger son maître si ce dernier est menacé. Or, vivre dans la rue développe une solidarité entre les « zonards », notamment en partageant l’expérience liée à l’éducation des chiens. Ainsi, comment protéger son animal par une éducation adaptée à l’espace de la ville ainsi qu’aux codes de vie liés au jour et à la nuit ?

6Christophe Blanchard souligne également que le chien peut être un obstacle à l’inclusion de son maître dans un dispositif d’aide. Ainsi, la politique du « logement d’abord » ne comprend pas de prise en charge de l’homme et de son animal. De plus, en fonction d’une vie constituée d’errances, tous les propriétaires de chiens ne souhaitent pas accéder à un logement. L’auteur démontre comment le chien, très choyé dans une société d’humains essentiellement constituée de sédentaires, peut effrayer lorsque son maître n’a pas de toit fixe. N’est-ce pas alors la liberté des êtres qui est crainte ?

7Dans cet ouvrage, nombre d’informations pertinentes quant aux comportements des hommes envers les chiens sont réunies – par exemple, à propos des salons animaliers, du dressage dans un cadre militaire, du destin singulier de certains chiens, notamment ceux du Titanic, etc. –, ceci de manière quelquefois fragmentée. L’objet principal de l’ouvrage semble bien être le cœur des recherches de l’auteur, c’est-à-dire la place accordée aux chiens quand leurs maîtres ne s’inscrivent pas dans les habitudes de vie classiques. Les représentations collectives face à l’errance, à la liberté, ainsi que l’intérêt pour la solidarité engendrée au travers des liens de survie entre chien et homme, révèlent une société productrice d’inégalités sociales qui n’aime pas l’imprévu et l’imprévisible.

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Notes

1 Au sujet de la place de l’animal dans le travail de l’homme et pendant la guerre, voir Éric Baratay, Le Point de vue animal. Une autre version de l’histoire, Paris, Seuil, 2012 ; et sur les liens entre bergers et chiens aujourd’hui, voir Jocelyne Porcher et Élisabeth Lécrivain, « Bergers, chiens, brebis : un collectif de travail naturel ? », Études rurales, n° 189 (« Sociabilités animales »), janvier-juin 2012, p. 121-137.

2 Voir Jean-Pierre Digard, Les Français et leurs animaux. Ethnologie d’un phénomène de société, Paris, Hachette, 2005 (1999).

3 Christophe Blanchard a soutenu, en 2013, à l’université d’Évry-Val-d’Essonne, une thèse en sociologie intitulée : Entre Crocs et Kros. Analyse sociologique du compagnonnage entre l’exclu et son chien.

4 Au sujet de la place de l’animal auprès des personnes en situation de vulnérabilité, voir Jérôme Michalon, Panser avec les animaux. Sociologie du soin par le contact animalier, Paris, Presses de Mines, 2014.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Nadia Veyrié, « Christophe Blanchard, Les maîtres expliqués à leurs chiens. Essai de sociologie canine », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 03 décembre 2014, consulté le 06 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lectures/16337 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/lectures.16337

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Rédacteur

Nadia Veyrié

Docteur en sociologie de l’université de Montpellier III, chargée d’enseignement aux universités de Montpellier I et de Caen, membre du Centre d’étude et de recherche sur les risques et les vulnérabilités (CERReV).

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