Navigation – Plan du site

AccueilLireLes comptes rendus2014Montserrat Benítez Fernández, Cat...

Montserrat Benítez Fernández, Catherine Miller, Jan Jaap de Ruiter, Youssef Tamer (dir.), Évolution des pratiques et représentations langagières dans le Maroc du XXIe siècle

Jules Arsenne
Evolution des pratiques et représentations langagières dans le Maroc du XXIe siècle (volume 1)
Montserrat Benitez Fernandez, Catherine Miller, Jan Jaap de Ruiter, Youssef Tamer (dir.), Evolution des pratiques et représentations langagières dans le Maroc du XXIe siècle (volume 1), Paris, L'Harmattan, coll. « Espaces discursifs », 2013, 236 p., ISBN : 978-2-343-01226-1.
Evolution des pratiques et représentations langagières dans le Maroc du XXIè siècle
Montserrat Benitez Fernandez, Catherine Miller, Jan Jaap de Ruiter, Youssef Tamer (dir.), Evolution des pratiques et représentations langagières dans le Maroc du XXIè siècle. (Volume 2), Paris, L'Harmattan, coll. « Espaces discursifs », 2013, 304 p., ISBN : 978-2-336-00732-8.
Haut de page

Texte intégral

1Quelle est la place de l’arabe marocain, la darija, dans la sphère publique marocaine ? Comment ont évolué les représentations de l’arabe marocain et du berbère au Maroc tout au long du XXe siècle ? Quelles sont les pratiques de l’arabe marocain chez des personnes en situation de migration ? Voici les questions auxquelles l’ouvrage présenté ici tente de répondre. Ce travail collectif, paru en 2013 sous la direction de Montserrat Benítez Fernández, Catherine Miller, Jan Jaap de Ruiter et Youssef Tamer, compte deux tomes qui rassemblent au total vingt et un articles rédigés par des spécialistes de linguistique, de sociolinguistique et notamment de dialectologie marocaine.

  • 1 La koinéisation est le phénomène qui aboutit à l’émergence d’une variété nouvelle, dont les traits (...)

2L’entrée dans le sujet se fait par un important chapitre introductif qui revient brièvement sur les étapes de l’arabisation du Maroc, dont la première vague s’est initiée au VIIIe siècle. Celui-ci s’arrête plus largement sur les impacts linguistiques du phénomène de l’urbanisation que connaît le pays depuis le début du XXe siècle, dont l’importance grandissante avait déjà éveillé l’intérêt de spécialistes tels que Georges Séraphin Colin (1937) ou encore William Marçais (1911). C’est dans cette optique que les directeurs de l’ouvrage ont jugé important de rappeler au lecteur, même initié à ces questions, l’essoufflement des « parlers des vieilles citées » comme Fès, Taza ou encore Tanger, que des dialectologues du début du siècle avaient prédit, compte tenu de la croissance déjà en marche de métropoles comme Casablanca. La capitale économique est un exemple d’émergence de parlers appelés « parlers urbains mixtes », issus du brassage de populations originaires de régions différentes. Le processus de koinéisation1 est une réalité, notamment sur la côte atlantique dans les villes de Casablanca, Rabat et Salé ; mais il doit faire route avec d’autres phénomènes linguistiques tels que l’accommodation dialectale, opérée par les populations d’origine rurale, et notamment par les jeunes en quête de travail, qui laissent leurs montagnes natales pour l’avenir plus prometteur des grands centres urbains. Le second objectif du portrait de la situation linguistique et de l’évolution des pratiques langagières au Maroc, brossé par ce chapitre introductif, est d’évoquer les conséquences de la politique d’arabisation mise en place au sortir du colonialisme. Celle-ci a débouché sur une promotion de l’arabe standard dont la motivation principale était la revendication d’une identité différente de celle des occupants européens, et surtout français, aux dépens de la reconnaissance des variantes vernaculaires locales. Néanmoins, les années 2000 marquent un réel tournant en termes de valorisation d’autres langues. En effet, même si l’arabe et le berbère sont les seules langues nationales du Maroc selon la constitution de 2011, on ne peut reprocher à cette dernière son manque d’ouverture à d’autres langues (étrangères) et à des « langues et dialectes régionaux » puisqu’elle leur consacre au moins huit articles.

3Le premier tome de cet ouvrage est la preuve de l’étonnant paradoxe que vit le Maroc à l’heure actuelle. En effet, la démonstration nous est apportée ici que, malgré l’absence de qualificatif à côté du terme « arabe » dans le texte de la constitution, la darija occupe seule bon nombre d’espaces de la sphère publique. Présente sur internet à travers les réseaux sociaux, elle l’est aussi dans le sous-titrage de séries télévisées mexicaines, à la radio, dans les mosquées, dans les discours politiques ou encore dans des romans d’auteurs marocains. La langue des marocains « darijophones » suit son peuple dans ses activités quotidiennes. Pâtissant certes d’un manque connu de normalisation au niveau académique, premier pas sur le chemin de la reconnaissance officielle, l’arabe marocain parvient tout de même à être visible et à s’approprier une place qui lui revient de droit : celle de langue nationale parce que langue de communication de tous les jours. Que ce soit sur Facebook ou sur Twitter, où elle combine caractères latins et chiffres pour répondre aux besoins de sa phonologie, dans les romans de Youssef Fadel, avec une graphie arabe à mi-chemin entre les conventions de l’arabe standard et une orthographe strictement phonétique, à la radio où l’alternance codique est reine, ou dans des allocutions politiques qui mènent désormais la vie dure aux idées reçues qui voyaient uniquement l’arabe non standard comme seule langue compréhensible d’un peuple analphabète, le marocain dans sa variante la plus commune montre qu’il est au cœur d’un consensus linguistique et social.

  • 2 L’amazigh est la langue berbère.

4La problématique du second volume gravite autour de questions qui concernent l’évolution des représentations de l’arabe marocain et du berbère ainsi que les particularités des pratiques de l’arabe marocain lorsqu’il est parlé en contexte migratoire. Le ton est donné dès le premier article de ce tome, et la convergence vers la revendication du plurilinguisme comme « identité citoyenne marocaine » est certaine. L’inscription des auteurs dans le courant variationniste de la linguistique les a amenés à renforcer leurs hypothèses par l’exposition des résultats de diverses enquêtes de terrain. Les entretiens réalisés auprès de citoyens marocains révèlent que même si l’arabe marocain adopte la posture post-coloniale déjà empruntée par le berbère, à savoir la revendication d’une identité bafouée, le passage à l’écrit reste timide et le développement s’effectue davantage à l’étranger que dans le royaume. L’affrontement entre l’arabe marocain et une autre langue, dominante, nécessairement l’arabe standard ou le français, semble être la menace la plus importante pour son avancée dans la course vers plus de considération. Concernant le berbère, il semble indéniable que le soutien engendré par la reconnaissance officielle de la constitution de 2011 sert de moteur à son intégration dans l’inconscient linguistique des marocains. La visibilité du berbère a augmenté et le tifinaghe, son alphabet, s’est peu à peu implanté dans le paysage public à travers la publicité, la télévision ou encore les panneaux et les enseignes. Cependant, la diversité des pratiques de cette graphie, plus libres sur internet, et plus encadrées par les normes de l’IRCAM (Institut royal de la culture amazighe), pose la question de l’enseignement d’une « variante standard » de l’amazighe2 à l’école.

5Fort de l’éclectisme des sujets traités par ses articles, cet ouvrage en deux volumes présente l’avantage de mettre à la disposition du lecteur une présentation des situations linguistiques concrètes du Maroc actuel. Il ressort de ces enquêtes que le multilinguisme et la pluralité des variétés de langues, tant de l’arabe marocain que du berbère, constituent l’enjeu des politiques linguistiques qui seront mises en œuvre dans le futur. L’optimisme voudrait que rien n’empêche les Marocains, et les adeptes de son arabe, de promouvoir cette langue au rang de langue nationale, officielle et prestigieuse.

Haut de page

Notes

1 La koinéisation est le phénomène qui aboutit à l’émergence d’une variété nouvelle, dont les traits proviennent de plusieurs autres parlers.

2 L’amazigh est la langue berbère.

Haut de page

Pour citer cet article

Référence électronique

Jules Arsenne, « Montserrat Benítez Fernández, Catherine Miller, Jan Jaap de Ruiter, Youssef Tamer (dir.), Évolution des pratiques et représentations langagières dans le Maroc du XXIe siècle », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 02 décembre 2014, consulté le 16 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lectures/16128 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/lectures.16128

Haut de page

Rédacteur

Jules Arsenne

Étudiant en master 2 recherche en dialectologie maghrébine et marocaine, INALCO-LACNAD.

Haut de page

Droits d’auteur

Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés), sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

Haut de page
Rechercher dans OpenEdition Search

Vous allez être redirigé vers OpenEdition Search