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Marie Buscatto, Sociologies du genre

Corinne Delmas
Sociologies du genre
Marie Buscatto, Sociologies du genre, Paris, Armand Colin, coll. « Cursus Sociologie », 2014, 183 p., ISBN : 978-2-200-29063-4.
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Texte intégral

  • 1 Cf. Isabelle Clair, Sociologie du genre, Paris, A. Colin, collection 128, 2014 ; Christine Guionnet (...)

1Cet ouvrage complète une série déjà consistante de manuels consacrés ces dernières années à la sociologie du genre par les éditions Armand Colin1. L’accent est mis sur la diversité des approches et des usages du concept de genre dans un opus qui se distingue surtout par son parti pris, consistant à rendre compte des manières dont « se fait le genre » au quotidien.

2Après avoir restitué les débats et discussions autour de cette notion, l’ouvrage aborde la construction et la légitimation des différences sexuées dans nos sociétés, précise leurs modalités de production, leurs expressions concrètes, leurs formes, les principales instances de socialisation y contribuant (familles, écoles, pairs, médias), mais aussi les stratégies de transgression mises en œuvre par certains...

3Dans ce cadre, les quatre premiers chapitres abordent les principales étapes de la vie sociale des individus : l’enfance et l’adolescence, le travail, le choix du conjoint, la vie en famille, la pratique des loisirs sportifs et culturels, l’éducation des enfants… Pour sa part, le cinquième reprend les différents éléments constitutifs de la « masculinité » contemporaine à ces différentes étapes de la vie.

4Le premier chapitre évoque « la fabrique des filles et des garçons ». Mobilisant des recherches anthropologiques, historiques, mais aussi de biologistes et de neurologues, l’auteur éclaire le caractère socialement construit des différences corporelles et la faible part jouée par les dissemblances biologiques pour expliquer le clivage opéré, dès le plus jeune âge, entre filles et garçons. Après avoir ainsi démontré la prégnance de la société dans la sexuation des corps, l’auteur traite des expressions concrètes de ces différences genrées à partir des pratiques de loisirs de l’adolescence, dont la lecture des mangas. Le chapitre se conclut sur le rôle normalisateur mais contrasté de plusieurs instances majeures de socialisation : les parents, les groupes de pairs, les médias, l’école et les enseignants… L’influence parentale s’exerce d’autant plus efficacement sur l’orientation sexuée des pratiques qu’elle est conforme aux stéréotypes et pratiques diffusés par les autres instances de socialisation ou, sinon, que les parents défendent de manière active un contre-modèle sexué atypique. Les groupes de pairs constituent, quant à eux, les lieux les plus actifs de production des différences sexuées, filles et garçons tendant à se réunir dès la maternelle, ces regroupements s’effectuant en fonction de styles de jeu, territoires et modes de sociabilités distincts ; « là encore, les garçons tendent à occuper l’espace dominant et à imposer leur suprématie aux filles » (p. 40). Tandis que médias et publicités véhiculent les stéréotypes de genre, l’école les renforce, la question étant de savoir si la mixité favorise ou neutralise les différences sexuées.

5Le deuxième chapitre aborde la constitution genrée des familles, les foyers étant fondés sur l’hétérosexualité et le « projet d’enfant », tandis que le couple repose sur une définition sexuée des rôles en son sein. Pouvant s’expliquer par la socialisation, la répartition inégalitaire des tâches domestiques résulte également d’un arbitrage économique jugé en partie rationnel par les couples, hommes et femmes se « spécialisant » en fonction de la productivité attendue de leurs actions. Dans la mesure où les hommes gagnent en moyenne mieux leur vie que leurs compagnes, leurs spécialisations dans des activités professionnelles et celle des femmes sur les tâches domestiques seraient économiquement plus judicieuses. Les rôles de ménagères et de mères restent ainsi très largement déclinés au féminin, l’auteur écornant au passage la figure des « nouveaux pères », en montrant combien ces derniers restent globalement des acteurs secondaires des tâches parentales, et ce particulièrement lorsque les enfants sont plus nombreux au sein de la famille. La dévalorisation potentiellement associée aux activités domestiques en raison de leur « nature » féminine justifierait leur relatif désengagement lié à la crainte d’un dénigrement associé au fait de servir autrui de manière gratuite. Ceci éclaire le comportement atypique de pères seuls assumant et justifiant l’éducation de leurs enfants après une rupture ; exercer ce rôle « féminin » a supposé de leur part la mise en œuvre de stratégies leur permettant de l’assumer pleinement mais aussi d’en tirer une fierté identitaire. Ce statut peut même leur permettre de trouver une place dans la société, du moins pour les plus fragiles sur le plan professionnel. Le chapitre se conclut sur la manière dont les politiques publiques et les pratiques d’entreprises peuvent favoriser les retraits partiels voire complets d’activité des femmes.

6Le troisième chapitre traite de l’emploi. Après avoir rappelé que les femmes ont toujours travaillé, l’auteur évoque leur accès progressif à une place autonome et visible sur le marché professionnel après la Seconde Guerre mondiale. Toutefois, le monde du travail reste éminemment discriminant. Les ségrégations sexuées y sont horizontales, en lien avec une spécialisation toujours plus forte dans des activités dites féminines, une moindre reconnaissance de ces activités et la prégnance du temps partiel dans l’emploi féminin. Elles sont également verticales ; nonobstant l’accès croissant des femmes aux professions supérieures et à prestige, les enquêtes rendent compte du maintien d’un plafond de verre, lié au cumul de mécanismes informels défavorables aux femmes, dont l’importance de la cooptation et de l’insertion dans des réseaux sociaux, ou le poids persistant des stéréotypes.

7Le chapitre suivant souligne que « sport et culture ne font pas exception ». Des différences sexuées existent en matière de loisirs, souligne l’auteur, qui s’appuie en partie sur ses propres travaux pour illustrer ces contrastes et les expliquer par la socialisation familiale, la pression des pairs, le rôle des institutions mais aussi des représentations sexuées diffusées dès l’enfance. Elle interroge également les ressorts sur lesquels s’appuient filles et garçons, hommes et femmes pour s’approprier des pratiques socialement perçues comme contraires à leur « sexe ». Les politiques publiques instaurant un accès plus égalitaire à la culture et au sport peuvent favoriser cette appropriation. Le contexte familial, en particulier la place dans la fratrie ou la propension de la famille à transgresser les stéréotypes de genre, sont aussi des facteurs favorisant de tels choix atypiques et la construction de dispositions sexuées « inversées ».

8Le cinquième chapitre met pour sa part en question les « masculinités ». Le primat du « masculin » sur le « féminin », dans les pratiques comme dans les imaginaires, se traduit par une relative primauté des hommes sur les femmes dans les différents espaces sociaux. Même dans les métiers « féminins », les hommes bénéficient d’avantages en lien avec la place plus favorable qui leur est accordée dans les espaces familiaux et professionnels. Réalité structurante dans nos sociétés, la domination masculine bénéficie toutefois à certains hommes plus qu’à d’autres et il faut prendre en compte les rapports de pouvoir à l’œuvre au sein même du groupe. Raewyn Connell distingue entre la « masculinité hégémonique » et la « masculinité complice » ; c’est la rationalité plus que la force qui est aujourd’hui au cœur de la première, justifiant la domination de certains hommes sur les autres hommes et la subordination de toutes les femmes. La deuxième est le fait de ceux qui, majoritaires, se sentent proches des pratiques et principes de la masculinité hégémonique sans pouvoir les exercer totalement. L’auteur évoque deux autres formes de masculinité. La « masculinité subordonnée », incarnée par les homosexuels, qui se sentent exclus, marginalisés, et plus largement par tous ceux qui se rapprocheraient de la « féminité » dans nos sociétés, situe les hommes concernés aux rangs inférieurs de la hiérarchie masculine. La place marginale, sur le marché du travail, d’hommes appartenant aux groupes socialement subordonnés (classes populaires, immigrés…), se traduit en retour par une relative stigmatisation des traits de leur « masculinité marginalisée », plutôt tournée vers l’exercice de la force, la prise de risque, valorisant fortement l’hétérosexualité, et affirmant de manière très visible le principe de domination masculine, en réaction à la fragilité de leur position dans le groupe. Le chapitre évoque, enfin, les « coûts de la domination masculine » : difficultés professionnelles, physiques et sexuelles comme épreuves récurrentes de la « masculinité », comportements à risque plus fréquents chez les hommes, exposition à une plus forte surmortalité…

9L’ouvrage se conclut sur les transgressions et les éventuelles transformations sociales à l’œuvre dans nos sociétés. Réelles, les résistances aux normes de genre sont rares « en raison des socialisations contraires qui les rendent difficilement envisageables par les individu-e-s et des stigmatisations qu’elles suscitent dans leur environnement qui mettent autant d’obstacles sur le chemin de celui ou de celle qui voudrait faire autrement » (p. 166).

  • 2 Le choix du titre « les sociologies du genre » n’est, par exemple, pas totalement explicité, et ne (...)

10Par-delà les frustrations inhérentes à son format ramassé2, ce livre offre une efficace présentation d’analyses sociologiques du genre. Sensible aux évolutions, il évoque ainsi la production des différenciations sexuées mais aussi plusieurs exemples de transgressions. Particulièrement suggestif sur de nombreuses questions, dont la normalisation, la biologisation des différences, la pression des pairs, les ressorts des assignations à des rôles sexués mais aussi des pratiques transgressives, ce manuel restitue finement les manières dont le genre se construit au quotidien. À cet égard on peut considérer que l’objectif de l’auteur, de permettre « à chacun et chacune de mieux « voir » le genre en train de se faire dans son expérience quotidienne » (p. 15), est pleinement atteint et recommander la lecture de cet ouvrage synthétique clair et pédagogique.

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Notes

1 Cf. Isabelle Clair, Sociologie du genre, Paris, A. Colin, collection 128, 2014 ; Christine Guionnet, Erik Neveu, Féminins/Masculins. Sociologie du genre, Paris, A. Colin, collection U, 2004, rééd. 2009.

2 Le choix du titre « les sociologies du genre » n’est, par exemple, pas totalement explicité, et ne rend pas forcément justice du contenu d’un ouvrage restituant des recherches sociologiques, mais aussi historiennes et anthropologiques. On soulignera également, parmi les choix nécessairement faits dans le cadre de cette synthèse, la place limitée faite à l’engagement, à la citoyenneté, à l’action collective, la politique étant toutefois traitée par divers biais dont l’évocation, dans un encadré, des difficultés d’accès aux mandats électifs pour les femmes.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Corinne Delmas, « Marie Buscatto, Sociologies du genre », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 13 novembre 2014, consulté le 25 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lectures/16127 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/lectures.16127

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Rédacteur

Corinne Delmas

Maître de conférences à l’Université Lille 2, membre du CERAPS (UMR CNRS 8026)

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