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Xavier Daumalin, Le patronat marseillais et la deuxième industrialisation. 1880-1930

Sophie Louey
Le patronat marseillais et la deuxième industrialisation
Xavier Daumalin, Le patronat marseillais et la deuxième industrialisation. 1880-1930, Aix-Marseille, Presses universitaires de Provence, coll. « Le temps de l'histoire », 2014, 326 p., ISBN : 978-2-85399-930-4.
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Texte intégral

  • 1 Ces sociétés couvrent divers secteurs : énergie, bâtiment, métallurgie et mécanique, chimie, agroal (...)

1L’ouvrage porte sur le patronat marseillais de 1880 à 1930. De précédentes études ont exposé la deuxième industrialisation marseillaise comme ayant été « ratée », même refusée par le patronat. Les dirigeants se seraient appuyés sur un « entre-soi » qui aurait empêché le développement économique. Si l’auteur, tout au long du livre, ne récuse pas totalement ces conclusions, il propose tout du moins une fine analyse de cette période donnant à voir des évolutions plus contrastées, variant selon les secteurs de production. L’étude repose sur l’exploitation d’archives du Tribunal de commerce de Marseille, auxquelles s’ajoutent d’autres documentations conservées dans plusieurs institutions. Les données permettent ainsi de suivre plus de 60 sociétés1 en saisissant leurs « vies » à travers leurs actes juridiques.

  • 2 Pour ne citer qu’une des publications de la recherche collective : Raveux Olivier, « Une historiogr (...)

2L’auteur s’est livré à une étude similaire2 sur la première industrialisation et a déjà contredit des travaux qui affirmaient que cette phase avait été plus tardive (1850-1860) et moins marquante que sur d’autres territoires. Il révélait ainsi que l’industrialisation était déjà particulièrement intense dans les années 1830-1850. Ce développement reposait sur l’efficacité de réseaux (tant relationnels que familiaux) permettant un cercle d’échanges dense et performant. Ces premières révélations ont donc mené Xavier Daumalin à étudier la seconde phase de développement industriel à partir de quatre principaux axes. Tout d’abord les investissements, qui sont des biais de compréhension de l’organisation et du développement des entreprises. Ensuite l’innovation, qui permet de questionner les éventuels replis, extensions, ou encore modifications d’activités par les évolutions techniques. Puis les marchés, qui permettent d’interroger les réseaux économiques marchands d’un port à une époque où le « marché colonial » devient important. Enfin le champ social, qui donne à voir la manière dont s’organise les entreprises par leur gestion du management ou encore des salariés. Le découpage de l’étude en trois parties, auxquelles s’ajoute un questionnement global, est ici chronologique.

3Dans la première partie, Xavier Daumalin présente le « socle industriel » marseillais. Le pôle agroalimentaire regroupe les entreprises transformant des matières premières agricoles. Ce pôle est dynamique et dispose d’un rayonnement local, national voire, pour certains pans, international. Le pôle des industries chimiques change ses modes de production par l’utilisation de nouvelles matières. Le troisième pôle, celui de la réparation et la construction navales, est repris par des sociétés anonymes nationales rendant ensuite minoritaires les intérêts des entrepreneurs marseillais. Le quatrième pôle est celui des matériaux de construction et du BTP. Ces différents pôles fonctionnent en réseau et cumulent ainsi « les avantages liés aux économies externes et internes » (p. 30). Les industries qui émergent à partir de ce socle industriel sont liées d’une part à la modernisation des entreprises déjà implantées et d’autre part à des « stratégies d’opportunités ». Au cours des années 1860 à 1870, apparaissent deux nouveaux secteurs : l’industrie du pétrole et la production d’engrais. L’auteur effectue un focus particulièrement développé sur la main d’œuvre étrangère, qui est majoritairement italienne. Les Italiens sont essentiellement employés à des postes non qualifiés, faiblement rémunérés, et sont peu syndiqués. Ils sont perçus comme une main d’œuvre robuste et malléable. Vivant dans des logements ouvriers en cité, ils sont davantage soumis à un régime paternaliste que les ouvriers français. Le patronat industriel familial est ensuite étudié au regard du profil des entrepreneurs. 73 % d’entre eux sont nés à Marseille, ce qui renseigne sur la prégnance des réseaux locaux, tant pour la création que pour la reprise d’activité. On remarque cependant une hétérogénéité de cette population comprenant à la fois des établis et des entrants. Cette génération a globalement suivi une éducation scolaire, s’est formée aux langues étrangères, a débuté sa carrière en entrant dans une entreprise par son réseau de proximité (famille ou entourage de celle-ci) et surtout a suivi des études scientifiques, ce qui lui a permis de diffuser un certain esprit d’innovation. Les affaires familiales fonctionnent rarement par des recours à des capitaux extérieurs ; l’autofinancement reste privilégié. Ces patrons se soucient pour l’heure assez peu des questions sociales relatives à la main d’œuvre car le marché de l’emploi est alors relativement stable. Si les besoins sont nombreux, les candidats le sont aussi.

  • 3 Voir à ce sujet Stéphane Sirot, 1884, des syndicats pour la République, Lormont, Le Bord de l'eau, (...)

4La seconde partie de l’ouvrage porte sur les années 1883 à 1895 ; elle est consacrée aux bouleversements dans l’ordre économique local du fait de l’extension du capitalisme. Marseille n’échappe pas à la récession ; la concurrence est forte car les prix ont chuté. Le trafic de marchandises et les importations diminuent. Certaines entreprises industrielles en viennent même à disparaitre. Le secteur le plus touché est la métallurgie en raison de l’apparition de nouveaux concurrents aux États-Unis et en Allemagne. La chimie n’échappe pas à l’évolution technologique rendant le maintien d’activité à la fois coûteux (pour un renouvellement des matériaux de production) et risqué (concurrence accrue). Les industries agroalimentaires et la construction navale, bien qu’ébranlées, se maintiennent. Ainsi, la ville portuaire s’inscrit pleinement dans un marché économique en cours de redéfinition et d’extension. Le protectionnisme s’avère efficace dans la construction navale puisque des mesures permettent d’augmenter la production et des marchés fructueux sont conclus avec l’État. Durant cette période les conflits sociaux se multiplient. Le socialisme local, après l’écrasement de la Commune de 1871, devient un mouvement de premier ordre. Ajoutons qu’en 1884, les syndicats professionnels sont légalisés ce qui favorise l’organisation de mouvements sociaux3. Ainsi, non seulement les conflits se multiplient mais les grèves durent aussi plus longtemps. Dans ce contexte, les syndicats se développent et le nombre de syndiqués augmente. Les rapports entre ouvriers français et italiens oscillent alors entre solidarité « nationale » et solidarité « ouvrière ». Les patrons refusent de diminuer le recours la main d’œuvre étrangère, qui est particulièrement rentable. Plusieurs luttes communes entre ouvriers français et italiens éclatent et elles sont en grande partie victorieuses. Le mouvement ouvrier est ainsi renforcé alors que le patronat est ébranlé sur deux principaux plans : économique mais aussi idéologique. C’est en ce sens que les patrons adoptent un « libéralisme raisonné » (p. 114) : avec une ligne libérale et une dose de protectionnisme et de paternalisme.

5La troisième partie couvrant les années 1896 à 1929 porte sur la reprise économique. Les entreprises élargissent leurs modalités de financement, investissent dans l’innovation et modifient leur gestion des relations sociales. Les financements familiaux restent fréquents mais sont complétés par des investissements d’hommes d’affaires, des participations de banques régionales et d’agents de change, ainsi que des achats d’actions par la petite et la moyenne bourgeoisie. Quant aux dirigeants ils sont de plus en plus diplômés d’écoles d’ingénieurs (parisiennes et régionales). D’un point de vue plus technique, de nouvelles sources d’énergie sont utilisées telle que l’électricité. Les sites industriels sont modernisés et d’autres sont construits. Sur le plan social, l’appel aux travailleurs étrangers, déjà important, est renforcé. La part des femmes ouvrières immigrées augmente elle aussi. Les Italiens prennent de plus en plus part aux conflits sociaux. Les recrutements commencent alors à changer : les patrons se tournent davantage vers les Algériens. Ces différents éléments (main d’œuvre diversifiée et volatile, nouveaux ensembles industriels) provoquent un renforcement des politiques patronales paternalistes. Les dirigeants cherchent en effet à « garder » leurs ouvriers dont le turn-over nuit à l’efficacité de la productivité. Le bassin minier s’agrémente alors de logements ouvriers. Des familles entières vivent ainsi dans un même secteur et des enseignements sont dispensés aux enfants par des congrégations religieuses. Les intérêts ne sont pas seulement « éducatifs » puisqu’ils sont aussi politiques et syndicaux.

6Cet ouvrage offre une monographie historiographique particulièrement riche. L’approche territorialisée s’avère une entrée précieuse afin de saisir les « sensibilités » et « particularités » que peuvent prendre des développements économiques. L’auteur guide son lecteur, en annonçant systématiquement et très clairement son plan et les interrogations, balisant ainsi le cheminement de l’étude. Le lecteur appréciera également l’exposition de nombreuses archives permettant d’illustrer les propos de l’auteur mais aussi d’assouvir une certaine curiosité quant aux documents sur lesquels l’historien travaille. La présence d’un index des entrepreneurs encourage également des recherches et relectures plus ciblées. Gageons par ailleurs que cette étude sonne comme un appel à s’intéresser à l’histoire des entreprises et à cette période majeure qu’est la deuxième révolution industrielle, en tenant compte des réseaux locaux d’organisations du patronat.

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Notes

1 Ces sociétés couvrent divers secteurs : énergie, bâtiment, métallurgie et mécanique, chimie, agroalimentaire.

2 Pour ne citer qu’une des publications de la recherche collective : Raveux Olivier, « Une historiographie renouvelée : dix ans de recherche sur l’industrie marseillaise au XIXe siècle », in Barciela Carlos, Chastagnaret Gérard et Escudero Antonio (dir.), La historia economica en Espana y Francia, Alicante, Publicationes de la Universidad de Alicante, 2006, p. 425-440.

3 Voir à ce sujet Stéphane Sirot, 1884, des syndicats pour la République, Lormont, Le Bord de l'eau, coll. « troisième culture », 2014 ; compte rendu d’Audrey Levray pour Lectures : http://lectures.revues.org/15860.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Sophie Louey, « Xavier Daumalin, Le patronat marseillais et la deuxième industrialisation. 1880-1930 », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 27 octobre 2014, consulté le 13 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lectures/15950 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/lectures.15950

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Rédacteur

Sophie Louey

Allocataire de recherche en sociologie, CURAPP, Université de Picardie Jules Verne.

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