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Geneviève Piérart, Handicap, migration et famille. Enjeux et ressources pour l’intervention interculturelle

Ana-Luana Stoicea-Deram
Handicap, migration et famille
Geneviève Piérart, Handicap, migration et famille. Enjeux et ressources pour l'intervention interculturelle, Genève, IES/HETS, coll. « Le social dans la cité », 2013, 224 p., préface de Sylvie Tétreault, ISBN : 978-2-88224-126-9.
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Texte intégral

1Comment connaître l’histoire des familles migrantes, comment questionner les solutions inventées par les parents pour répondre aux besoins de leurs enfants en situation de handicap ? Comment travailler avec ces enfants, et avec leurs familles ? Ce sont des questions auxquelles répond cet ouvrage.

2Professeure à la Haute école fribourgeoise de travail social, Geneviève Piérart publie depuis une dizaine d’années les résultats de ses recherches sur les façons dont les enfants migrants en situation de handicap et leurs familles sont accueillis et accompagnés, aussi bien au sein des institutions et dispositifs concernés que par les professionnels qui sont au contact de ces publics, notamment les travailleurs sociaux et les acteurs du monde éducatif et de la santé. Elle poursuit actuellement en cette direction, à travers deux projets de recherche réalisés en collaboration avec d’autres chercheurs de la Haute école fribourgeoise et de l’Université Laval1.

3L’ouvrage est construit autour des principaux apports de la thèse de doctorat de l’auteure, soutenue en 2008 et intitulée Familles migrantes et handicap de l’enfant. Les dimensions théoriques, conceptuelles et de problématisation sont articulées afin d’expliciter ce qu’elle pose d’emblée comme objet central de ses intérêts, à savoir l’enfant migrant en situation de handicap et sa famille. La thématique est double, concernant à la fois la migration et le handicap, en tant que constructions sociales, historiques et culturelles.

  • 2 Cohen-Emerique, Margalit, Pour une approche interculturelle en travail social. Théories et pratique (...)

4Pour l’aborder, Geneviève Piérart se place dans une perspective écosystémique, dans laquelle elle inclut la rhétorique du double, déjà présente dans d’autres approches, qu’elle va enrichir. Selon celle-ci, ces enfants et leurs familles sont perçus comme vivant un double handicap (de la migration et de leur état de santé), ou un double deuil (celui de la normalité et celui des origines), une double altérité, ou encore une double stigmatisation. L’auteure affirme – et montre, exemples et analyses à l’appui – que les conditions sociales, économiques et politiques de la migration et du handicap, qui caractérisent la situation de la personne migrante en situation de handicap et de sa famille, ne sauraient être considérées a priori dans une perspective déterministe, mais nécessairement comme une composante parmi d’autres de leur écosystème. L’approche écosystémique est ensuite inscrite dans une perspective interculturelle, pour laquelle l’auteure emprunte la théorie de Cohen-Emerique2, comprenant trois dimensions : la dimension interactive (c’est l’interaction des sujets qui fait émerger des questions ou des problèmes), la dimension situationnelle (les interactions se produisent dans des situations spécifiques, qui doivent être explicitées) et la dimension subjective (les personnes en présence ont des subjectivités propres, qui sont à prendre en compte).

5L’approche écosystémique et interculturelle est systématiquement appliquée, aussi bien dans la présentation du handicap et de la migration comme faits sociaux que dans l’analyse de situations cliniques ; elle l’est aussi par la suite dans les propositions d’intervention avancées pour faciliter ou améliorer les relations entre les intervenants et les familles migrantes d’enfants en situation de handicap.

6L’ouvrage est structuré en cinq chapitres, qui visent à fournir les principaux apports nécessaires pour déployer une analyse et construire une intervention écosystémiques. Le premier chapitre est consacré à la problématisation des questions de la migration et du handicap, et rend compte des évolutions législatives et institutionnelles les concernant. Le deuxième est axé sur la construction sociale et culturelle du handicap, et explicite la dynamique du changement des représentations et des pratiques d’accompagnement des personnes en situation de handicap. « La famille migrante d’enfant handicapé » est au cœur du chapitre trois, mais elle irrigue de fait l’ensemble de l’ouvrage, dans la mesure où c’est ici que sont explicités les principaux enjeux que posent la migration et la situation de handicap, vécues plus ou moins simultanément. Ces enjeux, dont les degrés de complexité varient selon qu’ils concernent un ou plusieurs acteurs, font apparaître des difficultés dans le travail supposé partenarial entre les familles et les intervenants. En s’appuyant sur ses propres recherches, ainsi que sur une riche et très explicite synthèse de recherches nord-américaines et européennes, l’auteure propose des pistes de réflexion et d’intervention dans le travail auprès des familles (chap. 4), et auprès des enfants (chap. 5).

7Ces cinq chapitres apportent des précisions conceptuelles et des illustrations de la manière dont ces concepts sont utilisés pour appréhender la réalité de la rencontre, et pour construire une intervention adaptée à la situation de la personne concernée (l’enfant migrant en situation de handicap, entouré par sa famille). La dimension temporelle et le processus de construction des faits sociaux sont soigneusement inclus dans l’argumentation. Le handicap est envisagé comme fait social total (p. 56), et la présentation qui en est faite dans ce livre ne se limite pas à une approche théorique, mais elle est étayée par des résultats de recherche portant sur des familles migrantes ayant des enfants en situation de handicap, vivant dans des contextes politiques et économiques différents (par exemple aux États-Unis, en Chine, au Congo). L’auteure fait ainsi apparaître la manière dont l’environnement façonne la perception du handicap, et les modalités par lesquelles les relations sociales gèrent sa survenue – ce qui l’amène à constater que, dans certaines sociétés, si la menace que le handicap représente pour la cohésion sociale du groupe est importante, l’exclusion du groupe, de la personne qui en est atteinte, sera importante également. Par ailleurs, chaque chapitre comprend la présentation d’une situation d’intervention, succincte mais suffisamment complète pour bien mettre en avant les difficultés apparues dans la rencontre entre l’intervenant et la famille, les éléments de contexte à questionner, les ressources à identifier ou à chercher. Cette démarche permet de montrer à travers chaque exemple que les acteurs en présence peuvent avoir des ressources, sans pour autant les identifier comme telles, pour des raisons contextuelles ou de représentation ; et que, si les ressources propres sont difficiles à mobiliser, il est toujours possible de s’appuyer sur des outils externes, présentés dans l’ouvrage. Parmi ceux-ci, le génogramme et le questionnaire sur l’héritage personnel et les croyances prouvent rapidement leur utilité lorsque les relations entre les travailleurs sociaux et les parents d’un enfant handicapé butent sur des incompréhensions mutuelles et ne permettent pas de trouver pour l’enfant des solutions acceptables par tous. Ces deux outils offrent à la famille la possibilité d’expliciter ses difficultés, « de thématiser le soutien émotionnel offert par la famille élargie restée au pays et de s’exprimer sur son projet migratoire » (p.137), et aux travailleurs sociaux des clés de compréhension du processus d’adaptation dans lequel se trouvent la famille et l’enfant. En élargissant la vision sur la situation de l’enfant, ces outils permettent de ne pas se focaliser sur des situations problèmes, mais d’atténuer des tensions, et de mettre en place des solutions consensuelles.

8Tout au long de l’ouvrage, des encadrés sont présents, qui apportent soit : des précisions terminologiques de type définitionnel, pour le handicap, la culture, ou le partenariat; soit des éclairages sur des dispositifs (l’assurance-invalidité en Suisse, le service éducatif itinérant en Suisse romande, l’aide sociale), ou sur des outils (le test de potentiel d’apprentissage pour les Enfants des Minorités ethniques) ; ou encore, des illustrations de situation (comme celle des « ressources d’Alfa », un enfant décrit par la logopédiste comme étant « sans imagination », et dont on voit comment, grâce à une démarche utilisant le récit de vie adapté aux enfants déficients, on peut parvenir à connaître non seulement l’imagination, mais aussi les compétences qu’il déploie pour donner du sens à son existence d’enfant migrant). Un tableau final reprend et formalise les apports sur lesquels Piérart a construit ses observations et ses analyses, ainsi que les enrichissements qu’elle leur ajoute. Elle y met notamment en avant l’utilité et la nécessité de prendre en considération simultanément, dans le travail avec ce type de public, les éléments de la rencontre entre l’intervenant et l’enfant migrant en situation de handicap, et aussi ceux de la rencontre de l’intervenant avec la famille, dans la mesure où les familles de ces enfants vivent des réalités qui sont marquées par l’articulation de l’expérience migratoire et du handicap.

9Sur le plan de la lecture, l’échafaudage intellectuel, complexe, est néanmoins facile à suivre, grâce à un effort de pédagogie constant, permettant de se situer dans le plan d’ensemble : les chapitres ont des structures semblables, et se terminent tous par une synthèse. Lors d’une lecture linéaire, on peut trouver redondantes certaines précisions qui reviennent, surtout dans les parties finales (chap. 5, conclusion, épilogue). Mais cet ouvrage est un outil : il invite le lecteur à s’en servir dans sa pratique, et à puiser dans les nombreuses ressources et pistes d’intervention qu’il propose.

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Notes

1 Comme l’auteure l’annonce sur son site internet http://geneviev.pierart.home.hefr.ch/Documents/liste_Publications_GP.pdf.

2 Cohen-Emerique, Margalit, Pour une approche interculturelle en travail social. Théories et pratiques, Rennes, Presses de l’école des hautes études en santé publique, 2011.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Ana-Luana Stoicea-Deram, « Geneviève Piérart, Handicap, migration et famille. Enjeux et ressources pour l’intervention interculturelle », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 27 août 2014, consulté le 11 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lectures/15289 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/lectures.15289

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Rédacteur

Ana-Luana Stoicea-Deram

Avec une formation en langues étrangères (français-italien), science politique et sciences sociales, elle a enseigné pendant plusieurs années à l’Université de Bucarest, à l’Université de Paris 12 et à l’Institut d’études européennes (IES) de Paris. Depuis 2010, elle est formatrice en politiques sociales et familiales à l’Institut de recherche et de formation à l’action sociale de l’Essonne (IRFASE, Evry)

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