Xavier Zunigo, La prise en charge du chômage des jeunes. Ethnographie d’un travail palliatif
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- Compte rendu de Eva Nada
Publié le 10 février 2014
Texte intégral
1Les conditions dans lesquelles s’opère l’insertion professionnelle des jeunes sont très généralement discutées sur la base d’analyses secondaires de données produites par la statistique publique. Les enquêtes extensives attestent notamment que la vulnérabilité au chômage est étroitement liée aux propriétés sociales des jeunes. Mais la mécanique qui conduit à ces résultats fait figure de boîte noire. Dans La prise en charge du chômage des jeunes, Xavier Zunigo fait le choix de mettre la focale sur les acteurs de l’insertion eux-mêmes. En quoi consiste le travail réel des chargés d’insertion en Mission locale ? Comment s’opère l’action de socialisation préprofessionnelle dans le cadre de stages de formation destinés aux « jeunes en insertion » ? Quels sont les résultats de ces démarches d’inculcation pédagogique visant la production d’un habitus idoine, c’est-à-dire conforme aux attentes présumées des employeurs ?
2Pour répondre à ces questions, Xavier Zunigo développe une approche ethnographique fondée sur l’observation de scènes de vie ordinaire dans différentes institutions d’insertion. L’auteur fait ainsi état des logiques d’action des professionnels qui balancent quotidiennement entre prise en compte des intérêts immédiats des jeunes (en termes d’accès au logement, de revenus de substitution au salaire, etc.) et travail plus approfondi sur leur « projet » professionnel et leur présentation de soi.
3Tout l’enjeu de ce travail consiste, dans un contexte extrêmement contraint (ces institutions ne sont pas sources de création d’emplois), à développer l’« employabilité » des jeunes, à les placer en emploi, sans en rabattre sur les exigences en termes de qualité de l’insertion professionnelle. Il ne s’agit pas de placer les jeunes coûte que coûte, mais de les accompagner vers/dans l’emploi « acceptable ». S’ils doivent journellement inviter les jeunes au pragmatisme (les métiers de l’informatique, par exemple, leur étant largement inaccessibles), ils sont vigilants à ne pas les envoyer au « casse-pipe ». Les effets d’aubaine que recherchent certains employeurs et l’exploitation éhontée à laquelle ils sont prêts à se livrer, sont vigoureusement dénoncés (en leur absence) par les chargés d’insertion et autres formateurs. La socialisation préprofessionnelle qu’ils visent n’est pas synonyme de « remise de soi ». Si le contrat de travail fixe des obligations aux salariés (aux jeunes en particulier dont certains sont rétifs à l’expression de rapports hiérarchiques), il confère également des droits à ces derniers (dont le respect des horaires, le paiement des heures complémentaires, l’attention aux règles d’hygiène et de sécurité).
4C’est au fond, précise Xavier Zunigo, une « propédeutique au comportement en entreprise » qui est assurée par ces professionnels. Tous visent à « étayer » le rapport au travail de jeunes que l’on dit assez généralement « loin de l’emploi », pour des motifs certes liés à leur faible qualification, mais également en raison d’un rapport présumé distant aux normes de la discipline salariale.
5Si l’ouvrage est principalement centré sur le « travail d’insertion » des professionnels eux-mêmes, Xavier Zunigo a eu le loisir d’interroger des jeunes sur leur rapport aux instituions d’insertion. Très globalement, ce sont des visées utilitaristes qui les conduisent à les fréquenter (subsides accordés par le conseiller en insertion, indemnités de formation, etc.). D’aucuns affirment que l’action pédagogique est sans effet sur eux et l’auteur observe des cas d’instrumentation pure et simple des professionnels par les jeunes. Il reste que des « prises de conscience » s’opèrent, des projets professionnels parfaitement utopiques (pour les professionnels) se transforment et gagnent en réalisme.
6Le propos de Xavier Zunigo est tout en nuances. L’analyse qu’il propose ne fait pas de l’insertion des jeunes un cache-misère ou un outil de pacification sociale à l’usage des dominants. Mais il ne cède pas non plus à l’angélisme et marque clairement les limites de l’exercice auquel se prêtent les professionnels de l’insertion : leur action sur le marché du travail est quasi nulle.
7Si le matériau empirique est solide, son articulation avec le substrat théorique aurait gagné à être mieux étayée. Assez fréquemment, Xavier Zunigo procède à des montées en généralité, par référence à des thèses fortes de la sociologie bourdieusienne, et donne le sentiment de forcer le propos au regard du matériau dont il dispose. Les fins de chapitre, en particulier, sont l’occasion d’asséner des vérités sociologiques que ne corroborent qu’en partie les éléments empiriques mis à disposition. Le fait que les professionnels de l’insertion émargent aux « petites classes moyennes » conduit par exemple l’auteur à traiter, en toute généralité, de leurs « dispositions personnalistes », lesquelles « diminuent la violence symbolique inhérente à [leur] tâche qui consiste finalement à accompagner un processus de résignation à l’ordre des choses » (p. 96). Or, le sociologue montre tout au long de l’ouvrage les tensions auxquelles les professionnels sont confrontés et les conflits de valeurs dont ils sont eux-mêmes le siège.
8Au final, l’ouvrage de Xavier Zunigo apporte une contribution appréciable à l’analyse des politiques d’insertion des jeunes, en se centrant sur leur mise en œuvre effective par les acteurs « de terrain ».
Pour citer cet article
Référence électronique
Cédric Frétigné, « Xavier Zunigo, La prise en charge du chômage des jeunes. Ethnographie d’un travail palliatif », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 14 juillet 2014, consulté le 09 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lectures/15142 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/lectures.15142
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