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Maurizio Viroli, Redeeming The Prince. The meaning of Machiavelli’s masterpiece

Quentin Verreycken
Redeeming The Prince
Maurizio Viroli, Redeeming The Prince. The Meaning of Machiavelli's Masterpiece, Princeton University Press, 2013, 208 p., EAN : 9780691160016.
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Texte intégral

  • 1 Maurizio Viroli, Niccolo’s smile: a biography of Machiavelli, traduit de l’italien par Anthony Shug (...)

1Bien que publié pour la première fois en 1532, le De Principatibus, ou Il Principe, fut rédigé par Niccolò Machiavelli entre juillet 1513 et décembre 1514. Du fait du cinq-centième anniversaire de la rédaction de son chef-d’œuvre, la publication d’un ouvrage écrit par l’un des spécialistes du diplomate florentin tombait sous le sens. Avec Redeeming the Prince, Maurizio Viroli, déjà auteur de plusieurs travaux sur Machiavel, dont une biographie1, affiche l’ambition d’apporter une réinterprétation de l’un des ouvrages de pensée politique les plus commentés depuis la Renaissance, ceci en un court livre d’à peine cent-cinquante pages. Pourtant, loin de nuire à la qualité du raisonnement, la brièveté de son texte permet à Viroli de livrer une argumentation solide, écrite dans un anglais à la fois riche et intelligible, qui ne s’embarrasse pas de fioritures pour aller directement à l’essentiel.

  • 2 Quentin Skinner, Visions of Politics, vol. 2: Renaissance Virtues, Cambridge, Cambridge University (...)
  • 3 Voir p. 3 : « What then is The Prince about, and what is its lasting value, if any? My answer is th (...)

2Le cœur du propos de Viroli est exposé dès l’introduction : l’« Exhortation à libérer l’Italie », vingt-sixième et dernier chapitre du Prince, a longtemps été considérée par les commentateurs comme un ajout postérieur à la première rédaction du livre, qu’ils situent habituellement aux environs de 1516 ou 1517, soit durant les premières années d’exil de Machiavel. Cet écart de temps, ainsi que la volonté du Florentin de s’attirer les faveurs de la famille Medici, responsable de son exil, expliqueraient le contraste entre le ton patriotique de l’Exhortation et l’analyse pragmatique du gouvernement princier que constitue le reste du texte. Car de libération de l’Italie, il est finalement peu question dans Le Prince : Machiavel y insiste plutôt sur la nécessité, pour un prince récemment arrivé au pouvoir, de développer une politique lui permettant de maintenir son principat : « le but premier du prince, comme nous l’apprend une phrase répétée tout au long d’Il Principe, doit être de mantenere lo stato, maintenir son pouvoir ainsi que les structures existantes de son gouvernement »2. Viroli, pourtant, réfute la théorie de l’ajout postérieur de l’Exhortation, et voit au contraire dans celle-ci le cœur du propos du Florentin, l’ultime chapitre qui donnerait tous son sens au Prince : pour Machiavel, l’établissement d’un principat stable et puissant ne serait que l’étape intermédiaire d’une politique sur le long terme qui mènerait à l’émancipation italienne. Le livre ne serait pas seulement un texte de ce que l’on nommerait aujourd’hui la realpolitik, mais également une analyse du gouvernement que Machiavel appelle de ses vœux, un long plaidoyer pour un nouveau genre de prince : un rédempteur (redeemer) à même d’unifier l’Italie et de la libérer des dominations étrangères3.

  • 4 « This is surely not conclusive, but I cannot imagine a person in such a condition being capable of (...)

3Sa thèse formulée, Maurizio Viroli développe son analyse dans les quatre chapitres qui composent Redeeming the Prince. Le premier s’intéresse au prince rédempteur. L’auteur souligne que cette figure machiavélienne est comparable à celle du « prophète armé », évoquée dans le sixième chapitre du Prince, dédié aux principautés nouvellement acquises par la force et la vertu. Pour Viroli, le texte du chapitre six, puisant son argumentation dans des exemples de l’Antiquité, est à mettre en parallèle avec l’Exhortation à libérer l’Italie du seizième siècle, en ce sens qu’ils décrivent finalement des situations analogues que seule une autorité forte serait capable de résoudre. Cette construction en miroir tendrait à démontrer que Machiavel n’a pas composé le dernier chapitre de son livre à une date postérieure. Se basant sur la correspondance du diplomate florentin, Viroli affirme en outre que l’état émotionnel profondément négatif de Machiavel entre en contradiction avec l’optimisme qui se dégage de l’Exhortation : « Ceci n’est certainement pas une conclusion définitive, mais je ne peux pas concevoir qu’une personne dans une telle condition soit capable d’écrire un texte d’une telle force, détermination et espoir tel que “l’Exhortation” » (p. 63)4.

  • 5 « Machiavelli, […] after having explained, in the most realistic manner, what a new prince should d (...)

4Cette dimension positive de la pensée de Machiavel est explorée plus en profondeur dans un second chapitre, « A Realist with Imagination ». Pour Viroli, l’auteur du Prince se distingue en effet d’autres auteurs italiens « réalistes » de son temps, tel que Francesco Guicciardini, par sa vision fondamentalement optimiste sur son époque. Il n’y aurait pas, dès lors, de contradiction entre l’essentiel du texte du Prince et sa conclusion : « Machiavel, […] après avoir expliqué, de la façon la plus réaliste possible, ce qu’un nouveau prince devrait faire pour préserver une principauté, invoque ouvertement un rédempteur pour libérer l’Italie des barbares. Il affirme qu’un tel objectif est réalisable, et même aisé, car l’époque y est propice » (p. 69)5. Si certains auteurs ont vu en l’Exhortation un exercice de rhétorique de la part de Machiavel, pour Viroli, au contraire, c’est bien tout l’ouvrage qui prend la forme d’une longue oraison (chapitre trois). Dans son texte, le diplomate florentin userait de techniques rhétoriques afin de convaincre le lecteur que la « prophétie » (p. 108) de l’émancipation de l’Italie via une action politique forte est réalisable. Si Machiavel ne donne jamais précisément l’identité d’un potentiel prince rédempteur, c’est qu’il estime que celui-ci ne s’est pas encore manifesté. La dédicace du Prince à Lorenzo de’ Medici suggère que ce dernier était un bon candidat aux yeux de Machiavel, même s’il n’est plus nommé dans le reste du traité. Enfin, Viroli conclut son ouvrage par un dernier chapitre (« A Prophet of Emancipation »), dans lequel il analyse brièvement l’héritage de cette prophétie machiavélienne et la réception du Prince dans les siècles ultérieurs.

  • 6 Cary J. Nederman, « Maurizio Viroli. Redeeming The Prince: The Meaning of Machiavelli’s Masterpiece(...)

5En définitive, de par son sujet érudit et son argumentation riche, Redeeming the Prince se révèle passionnant. Excellent connaisseur de la littérature et de la tradition entourant Machiavel, Maurizio Viroli parvient à livrer un texte clair et accessible qui peut constituer une bonne introduction à la pensée de Machiavel. On pourra cependant reprocher l’absence de conclusion finale qui aurait offert une synthèse bienvenue à l’argumentation très bien construite de Viroli. On regrette également l’absence d’une bibliographie, qui aurait été un bon complément aux nombreuses pages d’historiographie qui composent l’ouvrage. On pourra aussi s’interroger, à l’instar de Cary Nederman, sur la prétention de Viroli à analyser la psychologie de Machiavel à partir d’échanges épistolaires, exercice périlleux s’il en est, pour en tirer une argumentation sur la datation du dernier chapitre du Prince6. En outre, l’interprétation que fait Viroli de l’œuvre de Machiavel, tout en revendiquant un caractère innovant, se base en réalité sur des arguments déjà développés par des auteurs antérieurs à la seconde moitié du vingtième siècle. Pourtant, comme le dit toujours Nederman, il faut saluer l’effort de synthèse de Viroli qui parvient à remettre au goût du jour une analyse du Prince largement oubliée par les travaux de ces dernières décennies.

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Notes

1 Maurizio Viroli, Niccolo’s smile: a biography of Machiavelli, traduit de l’italien par Anthony Shugaar, Londres, Tauris, 2001 ; Id., Machiavelli’s God, traduit de l’italien par Anthony Shugaar, Princeton, Princeton University Press, 2010.

2 Quentin Skinner, Visions of Politics, vol. 2: Renaissance Virtues, Cambridge, Cambridge University Press, 2002, p. 141 (cité par Viroli, p. 9): « […] the prince’s basic aim, we learn in a phrase that echoes throughout Il Principe, must be mantenere lo stato, to maintain his power and existing frame of government » (toutes les traductions sont ici l’œuvre de l’auteur du présent compte rendu).

3 Voir p. 3 : « What then is The Prince about, and what is its lasting value, if any? My answer is that Niccolò Machiavelli wrote The Prince to design and invoke a redeemer of Italy capable of creating, with God’s help, new and good political order, thereby attaining perennial glory ».

4 « This is surely not conclusive, but I cannot imagine a person in such a condition being capable of writing a text of full strength, determination, and hope such as the “Exhortation” ».

5 « Machiavelli, […] after having explained, in the most realistic manner, what a new prince should do to preserve a principality, openly invoked a redeemer to liberate Italy from the barbarians. He stressed that such an extraordinary achievement would be possible, and indeed easy, because times were ripe for it ».

6 Cary J. Nederman, « Maurizio Viroli. Redeeming The Prince: The Meaning of Machiavelli’s Masterpiece [compte rendu] », Notre Dame Philosophical Reviews, 7 avril 2014, <https://ndpr.nd.edu/news/47375-redeeming-the-prince-the-meaning-of-machiavelli-s-masterpiece/>.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Quentin Verreycken, « Maurizio Viroli, Redeeming The Prince. The meaning of Machiavelli’s masterpiece », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 08 juillet 2014, consulté le 13 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lectures/15119 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/lectures.15119

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Rédacteur

Quentin Verreycken

Assistant en histoire à l’Université Saint-Louis à Bruxelles. Membre du Centre de recherches en histoire du droit et des institutions (CRHiDI).

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