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Valérie Patrin-Leclère, Caroline Marti de Montety, Karine Berthelot-Guiet, La fin de la publicité ? Tours et contours de la dépublicitarisation

Frédéric Aubrun
La fin de la publicité ?
Valérie Patrin-Leclère, Caroline Marti de Montety, Karine Berthelot-Guiet, La fin de la publicité ? Tours et contours de la dépublicitarisation, Lormont, Le Bord de l'eau, coll. « Mondes marchands », 2014, 200 p., Préface de Yves Janneret, ISBN : 978-2-35687-266-1.
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Texte intégral

  • 1 Groupe de recherche interdisciplinaire sur les processus d’information et de communication.

1Karine Berthelot-Guiet (professeur des universités), Caroline Marti de Montety et Valérie Patrin-Leclère (toutes deux maîtres de conférences) sont chercheuses en sciences de l’information et de la communication au laboratoire GRIPIC1. Dans cet ouvrage, elles analysent les circulations constantes entre publicitarisation, dépublicitarisation et hyperpublicitarisation que le préfacier Yves Jeanneret compare à une « gamme déliée de tactiques inventives qui jouent avec cet objet fuyant et protéiforme, la publicitarité » (p. 9). Chacun de ces concepts fait l’objet d’un chapitre. Ce « corps de propositions théoriques » (p. 7) synthétise les conclusions de leurs principaux travaux de recherche, menés de manière individuelle ou conjointe depuis douze ans autour de la notion de dépublicitarisation. « Aux côtés de la publicité se développent des formes de communication qui se donnent à voir comme différentes, et même singulièrement différentes, de la publicité. Ce sont là des métamorphoses de la communication marchande, car ce non publicitaire a vocation à promouvoir les marques et à faciliter les ventes » (p. 13-14). La problématique de l’ouvrage est donc la suivante : ces formes dépublicitarisées, « ces extensions des discours de marque hors du cadre strictement publicitaire » (p. 13), signent-elles la fin de la publicité ?

2V. Patrin-Leclère s’est d’abord intéressée dans son travail de thèse à la notion de publicitarisation – définie comme « l’adaptation de la forme des médias, de leurs contenus, et des pratiques professionnelles dont ils procèdent, à la nécessité d’accueillir la publicité. » (p. 18) – qu’elle développe plus en profondeur dans le premier chapitre. Ce néologisme fonctionnant avec son pendant, la dépublicitarisation, le chapitre suivant s’attache à décrire cette « tactique des annonceurs qui vise à se démarquer des formes les plus reconnaissables de la publicité pour lui substituer des formes de communication censées être plus discrètes, dégagées des marqueurs de la publicité » (p. 18), avec l’éclairage de C. Marti de Montety, qui avait également fait de cet outil conceptuel le cœur de sa thèse, consacrée alors aux appropriations culturelles des marques. L’hyperpublicitarisation qui « consiste en une hypertrophie de la communication publicitaire » (p. 19) est présentée dans le troisième chapitre sous trois dimensions complémentaires, que chacune des auteures prend le soin de développer. Enfin, dans le dernier chapitre, K. Berthelot-Guiet développe le concept de publicitarité « pour saisir ce qui reste de la publicité quand elle se démarque des formes et du modèle économique publicitaires. » (p. 19), c’est-à-dire dans sa forme la plus altérée.

3L’intérêt épistémologique de ces concepts réside justement dans leur articulation, c’est pourquoi le découpage de l’ouvrage en quatre chapitres distincts peut dérouter quelque peu au premier abord. Pourtant, à la lecture, on se rend rapidement compte que la publicitarisation et la dépublicitarisation s’interpénètrent, que l’hyperpublicitarisation est le contrepoint de la dépublicitarisation et que la publicitarité englobe les trois notions. Le découpage conceptuel des chapitres relève donc davantage d’un souci de clarté pour le lecteur que d’une véritable mise en distance des concepts entre eux.

4Le premier chapitre est centré sur le processus de publicitarisation des médias. « Parler de publicitarisation, c’est choisir de scruter ce que la publicité fait aux médias, dans leur forme et dans leur contenu » (p. 41), explique V. Patrin-Leclère. En ce sens, la publicitarisation est bien le corollaire de la dépublicitarisation en envisageant de nouvelles formes publicitaires pour pallier la baisse des investissements publicitaires dans les médias. La publicitarisation est par conséquent un moyen alternatif pour les marques de se promouvoir dans les médias. « Un annonceur qui achète moins d’espace publicitaire ne considère pas pour autant qu’il n’a pas besoin des médias pour rendre visibles sa marque, ses produits, ses services : il se préoccupe donc de le faire autrement. Il peut par exemple chercher à entrer plus avant dans le média, à s’immiscer dans le contenu éditorial, par exemple dans le cadre d’un traitement journalistique ou d’un placement de produit » (p. 42). Cette publicitarisation des médias englobe toutes les hybridations qui croisent production éditoriale et production publicitaire et peut prendre diverses formes : publi-rédactionnel, publi-information, publi-reportage, articles sponsorisés, etc. Cette adaptation de la publicité au média est désignée par l’auteure comme une « tentative de gommage de la rupture sémiotique » (p. 50) : publicité et média ne doivent former qu’une seule et même entité.

  • 2 Levi-Strauss Claude, La pensée sauvage, Paris, Plon, Poket Agora, 1990.

5Dans le deuxième chapitre, C. Marti de Montety part du phénomène de publicitarisation pour le défaire, le « dé-publicitariser » en quelque sorte. Et c’est justement dans cette transition que se joue la différence entre les deux termes : dans les formes dites publicitarisées, « on est dans un en-deça publicitaire, dans une configuration osmotique entre la publicité et l’éditorial […] ; leur matière est la publicité » (p. 78), tandis que les formes dépublicitarisées « doublent leur image d’une identité médiatique ou culturelle jusque-là peu mise en avant » (p. 94-95), sans pour autant renier leur activité commerciale. Autrement dit, dans le premier cas, la publicité imite le média qui laisse cette matière publicitaire l’infiltrer ; dans le second, les marques développent des dispositifs médiatiques et culturels dans lesquels l’aspect promotionnel est relayé au second plan. Publicitarisation et dépublicitarisation s’opposent tout en se complétant dans un jeu de miroir déformant. C’est ce va-et-vient permanent entre les dires des auteures qui est particulièrement appréciable à la lecture : C. Marti de Montety évoque ainsi la terminologie utilisée par V. Patrin-Leclère dans le premier chapitre pour décrire le « bricolage »2 médiatique à l’œuvre.

  • 3 Lipovetsky Gilles, Les temps hypermodernes, Paris, Grasset, 2004.

6Le troisième chapitre est consacré au pendant de cette dépublicitarisation : l’hyperpublicitarisation, définie par les auteures comme « un renforcement de la présence et du rôle socioculturel de la publicité » (p. 155). Encore une fois, les approches des auteures se veulent concomitantes à travers trois regards croisés : si K. Berthelot-Guiet conçoit l’hyperpublicitarisation comme « une condensation sémiotique, une hyperbolisation des ressources publicitaires, une surenchère de la performance » (p. 156), en dépliant la langue de la publicité et sa poétique, C. Marti de Montety « met en évidence la fabrique tous azimuts de médias à laquelle procèdent les marques avides de sortir de la publicité » (p. 157) qui permet d’étendre le champ de la communication des marques. V. Patrin-Leclère insiste quant à elle davantage sur cette saturation de l’espace publicitaire, qui fait suite aux formes publicitarisées et dépublicitarisées décrites plus haut. La circulation massive de ces « êtres culturels » (Y. Jeanneret) n’est pas sans risque : « L’euphémisation de la dimension transactionnelle des marques, inhérente aux phénomènes de dépublicitarisation, n’est jamais que provisoire et le refoulé de la transaction éclate dans la saturation des espaces culturels à conquérir pour être visible » (p. 189-190). Ce concept trouve tout son sens dans la société « hypermoderne »3 de Gilles Lipovetsky avec une extension du modèle de la consommation à l’ensemble du corps social où tout est prétexte à « marquer » le territoire de la marque : l’analyse de terrain sur la Textilerie d’Ikéa menée par les auteures en est une illustration.

7Le dernier chapitre nous semble conclure l’ouvrage d’une façon remarquable en essuyant les « tours et contours de la dépublicitarisation » à travers l’analyse d’un corpus de communications de marque dépublicitarisées accessible en ligne. K. Berthelot-Guiet s’attache en effet à étudier des blogs de marque, des sites de « co-création » publicitaire, des espaces conversationnels et des réseaux sociaux (pages Facebook) afin de rendre compte d’une publicitarité des discours, « au sens de logiques, à la fois sociales et sémiotiques, qui sous-tendent toute prise de parole dans le cadre d’une communication marchande, que la marque adopte ou non des formes publicitaires » (p. 199). Ce chapitre d’apparence conclusive apparaît davantage comme une transition vers de futurs travaux sur la publicitarité.

8Le champ d’exploration est par conséquent ouvert – « ces phénomènes ne nous appartiennent pas et ils ne sont pas clos » (p. 233) soulignent les auteures en dernière page, insistant par-là sur le caractère mouvant de ces concepts – libre à nous, donc, de les emprunter et de les manier avec précaution pour saisir les changements sémiotiques à l’œuvre dans le paysage communicationnel des marques. C’est justement cette flexibilité qui revêt un caractère tout à fait pertinent et passionnant pour l’analyse empirique, de la même manière que les études de cas peuvent venir enrichir la portée signifiante de ces concepts.

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Notes

1 Groupe de recherche interdisciplinaire sur les processus d’information et de communication.

2 Levi-Strauss Claude, La pensée sauvage, Paris, Plon, Poket Agora, 1990.

3 Lipovetsky Gilles, Les temps hypermodernes, Paris, Grasset, 2004.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Frédéric Aubrun, « Valérie Patrin-Leclère, Caroline Marti de Montety, Karine Berthelot-Guiet, La fin de la publicité ? Tours et contours de la dépublicitarisation », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 08 juillet 2014, consulté le 14 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lectures/15111 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/lectures.15111

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Rédacteur

Frédéric Aubrun

Doctorant en sciences de l’information et de la communication et attaché temporaire d’enseignement et de recherche à l’Université Lumière Lyon 2.

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