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Immanuel Wallerstein, Randall Collins, Michael Mann, Georgi Derluguian, Craig Calhoun, Does Capitalism Have a Future?

Igor Martinache
Does Capitalism Have a Future?
Immanuel Wallerstein, Randall Collins, Michael Mann, Georgi Derluguian, Craig Calhoun, Does Capitalism Have a Future?, Oxford University Press, 2013, 208 p., EAN : 9780199330843.
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Texte intégral

  • 1 Voir La fin de l’histoire et le dernier homme, Paris, Flammarion, 1992.

1Quand cinq ténors de la sociologie états-unienne prennent la plume pour spéculer sur l’avenir du capitalisme, on est en droit de s’attendre au pire, autrement dit à un tissu décousu d’affirmations vagues aussi péremptoires que détachées de toute base empirique, à travers lesquelles les intéressés mettent surtout en scène l’orgueil qu’a pu leur conférer leur position institutionnelle respective et la connivence qui les unit. Une telle crainte est du reste corroborée par un commentaire élogieux de Francis Fukuyama, le prophète peu inspiré de la fin de l’histoire1, reproduit sur la quatrième de couverture – précédé il est vrai d’un autre non moins enthousiaste du géographe marxiste David Harvey. Disons-le tout net, une telle appréhension est ici totalement injustifiée. Car si les différents auteurs font effectivement de nombreux renvois à leurs propres travaux, c’est néanmoins bien davantage pour prendre à bras le corps l’interrogation de départ que pour se livrer à un numéro d’autopromotion hors de propos. Et surtout, chose trop rare dans les ouvrages collectifs de ce type, ils dialoguent réellement entre eux d’un article à l’autre et ne dissimulent pas leurs désaccords, mais les exposent avec une grande clarté, notamment dans une conclusion écrite à dix mains et qui constitue un modèle du genre.

  • 2 Voir entre autres Comprendre le monde. Introduction à l'analyse des système-monde, Paris, La Découv (...)

2Sans prétendre ici résumer leurs argumentations respectives, on se limitera à en donner quelques grandes lignes pour inciter le lecteur à se tourner vers le texte original. La question posée sans ambages dans le titre de l’ouvrage consiste donc à s’interroger sur la viabilité du régime capitaliste à l’horizon des prochaines décennies. Interrogation cruciale s’il en est, ravivée par la crise indissociablement financière, économique, sociale, politique et écologique et qui a franchi un stade incontestable avec la faillite des crédits subprime aux États-Unis en juillet 2007. Immanuel Wallerstein, ancien condisciple de Fernand Braudel, qui s'est fait connaître pour son analyse des « systèmes-mondes », par laquelle il opère une sorte de synthèse entre l'approche de l'éminent historien de l'école des Annales et une perspective marxiste, en particulier celle du courant dit de la dépendance2, ouvre ainsi le bal. Il définit le capitalisme comme un système fondé sur l'accumulation sans fin de capital (« the persistent search for the endless accumulation of capital » - souligné dans le texte original, p. 10), plus que sur tout autre critère usuellement mis en avant – l'existence d'un travail salarié ou d'un marché « libre » par exemple. Ce système historique repose ainsi selon lui sur un ensemble de règles, qui régissent les activités économiques et sociales depuis environ cinq siècles, et est transformé régulièrement par ses contradictions, suivant un certain nombre de cycles de régulation dont les deux principaux sont les cycles de Kondratieff – du nom de l'économiste soviétique qui les a mis en évidence - et les cycles que l'auteur qualifie d'hégémoniques. Le système-monde moderne, mis en place suite à la deuxième guerre mondiale, connaît ainsi selon Wallerstein une crise structurelle, à la fois économique et culturelle, depuis le début des années 1970, qui rend les conditions de l'accumulation capitaliste intenables et devrait donc se voir remplacé d'ici une trentaine d'années par un nouveau système. Reste à savoir lequel. Le nouveau système pourra ainsi reprendre au capitalisme tel que nous l'avons connu ses caractéristiques principales, à savoir la hiérarchisation, l'exploitation et la polarisation, soit prendre une direction davantage démocratique et égalitaire. Une alternative éminemment politique que l'auteur résume par la formule de « l'esprit de Davos » contre celui « de Porto Alegre » - l'allusion est assez transparente...

  • 3 Dans son ouvrage le plus célèbre, The Credential Society paru en 1979, l'auteur défendait en effet (...)

3Professeur de sociologie à l'Université de Pennsylvanie, Randall Collins pronostique également la fin du régime capitaliste contemporain, mais insiste lui sur une autre contradiction, celle qui réside dans l'évolution technologique qui voit notamment la substitution progressive du travail humain par celui des machines. La loi marxiste bien connue de la baisse tendancielle du taux de profit présente un certain nombre de voies de contournement : la création de nouveaux secteurs et de nouveaux emplois par les nouvelles technologies, la conquête de nouveaux marchés géographiques, le développement de méta-marchés financiers, les investissements et recrutements publics et enfin d'autres dispositifs keynésiens « cachés » parmi lesquels l'inflation des diplômes (« educational credential inflation »)3. L'auteur passe ainsi chacune de ces échappatoires en revue pour montrer en quoi elles ne fonctionnent plus aujourd'hui. Il développe plus particulièrement la question de l'augmentation du niveau de formation de la population, à laquelle il a consacré l'essentiel de ses travaux, en argumentant le fait que les travailleurs qualifiés ne sont plus désormais non plus protégés de leur remplacement par les outils technologiques modernes. Comme Immanuel Wallerstein, quoique pour des raisons en partie différentes, Randall Collins estime ainsi que le capitalisme ne devrait pas survivre à sa crise actuelle, et la principale inconnue réside également pour lui dans la tournure que prendra la révolution anticapitaliste : violente et autoritaire ou pacifique et démocratique.

  • 4 Cette dernière pouvant être envisagée comme un mixte particulier des deux précédents.

4Michael Mann, professeur de sociologie à l'UCLA, s'inscrit en faux par rapport aux analyses précédentes en affirmant que le système capitaliste a selon lui la peau dure, en raison de la complexité des sociétés humaines sur laquelle il met l'accent dans son propre modèle d'analyse. Loin de constituer un système cohérent, lesdites sociétés sont en effet caractérisées selon lui par leur multiplicité, et sont notamment travaillées par les interactions entre quatre ou cinq réseaux de force – idéologiques, économiques, militaires, politiques et géopolitiques4 -, qui ne suivent pas nécessairement les mêmes temporalités. Pointant notamment le fait que la « grande récession » initiée en 2008 ne frappe pas, loin de là, l'ensemble de la planète, Michael Mann esquisse un certain nombre de scenarii plus modérés concernant l'évolution économique du globe et souligne l'importance de deux autres crises potentielles dans un avenir proche qui n'ont que peu à voir, selon lui, avec le capitalisme : la menace d'une guerre nucléaire et le changement climatique. Georgi Derluguian, ancien citoyen soviétique qui enseigne aujourd'hui la sociologie et les politiques publiques dans la filiale de la New York University à Abu Dhabi – tout un symbole ! - propose un changement de perspective en revenant sur ce que « le communisme fut », ainsi que s'intitule sa contribution, à travers une analyse comparée de la chute de l'URSS et de la montée de la République Populaire de Chine. Son texte débute sur le récit à la première personne d'une rencontre clandestine en 1987 au Mozambique avec Immanuel Wallerstein, dont les analyses n'étaient pas en odeur de sainteté auprès des autorités moscovites, en dépit – ou peut-être justement à cause - de leurs forts accents néo-marxistes. C'est que, comme le rappelle l'auteur, comme Randall Collins à cette même époque dans une perspective davantage weberienne, le sociologue avait prédit l'effondrement de l'Union Soviétique. Georgi Derluguian reprend leurs analyses, insistant respectivement sur le manque d'intégration du bloc soviétique dans l'économie de marché capitaliste et son extension géographique excessive, en montrant que Mikhaïl Gorbatchev avec sa politique de Perestroïka n'avait pas su proposer une résolution satisfaisante de ces contradictions, à la différence des dirigeants de la République Populaire de Chine post-maoïste. Il conclut cependant en affirmant à son tour la fin probable du capitalisme, davantage en raison de ses contradictions économiques que géopolitiques, en expliquant à son tour que le scénario de la crise restait cependant largement imprévisible, pouvant s'apparenter, à l'instar du déclin de l'URSS, aux mobilisations civiques de masse comme celles du Printemps de Prague, ou à une exploitation de la situation par des coalitions parmi les élites, telles qu'ont pu l'expérimenter les anciens pays du bloc de l'Est. « En fin de compte, écrit-il, cela pourrait être la leçon la plus utile du communisme » (p. 129).

5L'actuel directeur de la prestigieuse London School of Economics and Political Science, Craig Calhoun, propose une analyse de normand, en réfutant la thèse selon laquelle l'effondrement du capitalisme serait imminent tout en affirmant que sa viabilité à long terme n'est cependant pas assurée. Après avoir décortiqué les incertitudes de la crise en cours du capitalisme financiarisé, il met ainsi l'accent sur les déficits institutionnels empêchant la prise en compte des défis majeurs que représentent ces externalités négatives du capitalisme que sont les pollutions, les tensions sociales et la montée des inégalités. Une seule chose est finalement sûre selon l'auteur : qu'il parvienne ou non à répondre de manière adéquate à ces nouveaux risques systémiques, l'ordre capitaliste devra nécessairement se transformer, et la question est de savoir si cette nouvelle mutation s'accompagnera ou non de profondes dévastations.

6En fin de compte, outre les qualités précédemment évoquées, cet ouvrage pourra réconcilier certains lecteurs – et chercheurs ! - avec des analyses macro-sociales, en montrant notamment qu'en exposant clairement leurs hypothèses et le cadre théorique dans lequel elles s'inscrivent, celles-ci apportent de précieux éclairages sur des enjeux on ne peut plus cruciaux de notre temps. Elles invitent ce faisant à plus d'ambition – dans le choix des objets, des problématiques et des montées en généralité théoriques - et plus de modestie – dans les réponses - que celles que l'on retrouve de nos jours respectivement chez nombre de chercheurs en sciences sociales et de commentateurs médiatiques à l'audience considérablement supérieure.

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Notes

1 Voir La fin de l’histoire et le dernier homme, Paris, Flammarion, 1992.

2 Voir entre autres Comprendre le monde. Introduction à l'analyse des système-monde, Paris, La Découverte, 2006.

3 Dans son ouvrage le plus célèbre, The Credential Society paru en 1979, l'auteur défendait en effet en substance la thèse selon laquelle ce n'est pas l'évolution technologique qui constitue le facteur prédominant de l'augmentation moyenne du niveau de qualification, mais davantage des motivations socio-économiques largement inavouées.

4 Cette dernière pouvant être envisagée comme un mixte particulier des deux précédents.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Igor Martinache, « Immanuel Wallerstein, Randall Collins, Michael Mann, Georgi Derluguian, Craig Calhoun, Does Capitalism Have a Future? », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 04 juin 2014, consulté le 23 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lectures/14842 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/lectures.14842

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