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Sabine Voélin, Miryam Eser Vavolio, Mathias Lindenau (dir.), Le travail social entre résistance et innovation. Soziale Arbeit zwischen Widerstand und Innovation

Martin Wagener
Le travail social entre résistance et innovation
Sabine Voélin, Miryam Eser Vavolio, Mathias Lindenau (dir.), Le travail social entre résistance et innovation. Soziale Arbeit zwischen Widerstand und Innovation, Genève, IES/HETS, coll. « Le social dans la cité », 2014, 388 p., ISBN : 978-2-88224-097-2.
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Texte intégral

1Le livre aborde les possibilités de reformulation des « valeurs historiques » du travail social par rapport au constat de l’évolution sociétale allant dans le sens d’un renforcement des inégalités, que ce soit au niveau individuel, organisationnel ou structurel. Le questionnement vise à repréciser les capacités d’action des populations cibles du travail social tout en intégrant les évolutions récentes du travail social et des politiques publiques. Un intérêt particulier est apporté à la plus-value des recherches empiriques et fondamentales pour situer le travail social comme mode d’intervention sociale et domaine de recherche à part entière.

2Publié sous la direction de trois enseignants de différentes hautes écoles de travail social en Suisse, le livre rend compte d’un colloque international bilingue qui a eu lieu en mars 2010 à Genève. La dimension bilingue de ce colloque trouve son prolongement dans l’ouvrage puisqu’il rassemble des textes en français et en allemand, chacun étant également résumé dans l’autre langue. À une époque où la plupart des collaborations internationales se font en anglais, il nous semble particulièrement intéressant de rendre compte de l’actualité scientifique dans les langues d’origine des chercheurs.

3Comme il est impossible de rendre compte de la densité analytique et descriptive des 36 articles, nous avons choisi une relecture transversale à partir de trois axes : les concepts fondateurs, les capacités d’action limitées et les rapports entre recherche et action.

  • 1 Par exemple, Sen A., L’idée de justice, Paris, Flammarion, 2010.
  • 2 Par exemple Castel R., La montée des incertitudes : travail, protections, statuts de l’individu, Pa (...)

4Le ton est donné dans l’introduction par S. Voélin, qui recadre assez largement les principales théories qui définissent le travail social et l’État social afin d’éclaircir les soubassements du cadre normatif auquel la plupart des auteurs se réfèrent. La justice sociale1 et le rôle essentiel du travail social comme support2 d’intégration sont les deux thématiques clés pour discuter la place du travail social. À partir d’une analyse structuro-fonctionelle, Sommerfeld situe le travail social comme un système fonctionnel secondaire qui a le rôle de s’occuper des rejetés du premier système (c’est-à-dire l’État social) qui ne parvient pas à garantir les conditions de l’intégration sociale des individus. La question qui en résulte pour Sommerfeld est centrale dans tout le livre : faut-il considérer le travail social comme « facteur stabilisant » des systèmes de domination, en ce qu’il apaise les conflits sociaux ? Dans ce sens, le travail social participe à l’amélioration des conditions sociales tout en perpétuant les fonctionnements inégalitaires qui freinent l’avènement d’une « meilleure société démocratique ». Selon Mäder, ce n’est ni un discours trop chargé en termes de valeurs du travail social ni une modélisation trop conceptuelle qui permettent de défendre les approches du travail social. Il s’agit plutôt de défendre l’action sociale à travers des recherches empiriques, situées et autocritiques qui sont basées sur des fondements théoriques. Selon Rieger, le travail social n’influe pas assez sur la production des politiques publiques. Les processus de création d’une politique sociale devraient selon lui être abordés dans les cursus de formation des travailleurs sociaux ainsi que dans les registres d’action des organisations du travail social.

5Les risques de précarisation des publics cibles du travail social sont abordés à partir de multiples exemples d’actions sociales, qui renvoient à des constats assez partagés en termes de vulnérabilisation et de désaffiliation sociale de ces publics. La plupart des auteurs insistent sur la nécessité de conditions structurelles favorables pour permettre une réelle intégration.

6La dégradation des capacités d’action des travailleurs sociaux est un autre constat partagé. M. Bresson dénonce l’instrumentalisation du travail social, facilitée par la plus grande dépendance aux bailleurs de fonds, par la plus grande importance des critères marchands dans l’évaluation, par la rationalisation managériale, etc. Le travail social ne peut plus être compris seulement partir des métiers classiques des assistants sociaux et des éducateurs spécialisés. Face à la multiplication des métiers du social (par exemple, agents de prévention, médiateurs), l’auteur parle d’« éclatement de la profession » et de la « déprofessionnalisation des métiers connexes », ce qui complique le positionnement du travail social comme métier. Böhnisch constate un revirement des théories d’intervention sociale selon des critères d’un « niveau du supportable » (Zumutbarkeit) plutôt qu’en faveur des exigences que la profession vis-à-vis d’elle-même. L’auteur regrette que certains commencent à penser au « post-État social », c’est-à-dire que l’action sociale ne soit plus qu’une stabilisation minimale (Stützkorsett) qui intègre des fonctions répressives et régulatrices. Chauvière constate en France une différence entre le positionnement des travailleurs sociaux et celui des associations. Si l’on observe une ferme volonté de changement social et de revendication au niveau des individus, cette volonté est beaucoup plus ténue au niveau des organisations. La situation peut être décrite comme une servitude volontaire aux bailleurs de fonds et aux gouvernements, du fait de la difficulté pour les associations de sécuriser leur financement. Les espaces d’intervention du social sont réduits (voire confisquées) par « une avalanche de normes de gestion et de comportement », de procédures et de protocoles. Même si différentes initiatives collectives non corporatistes (CQFD, 789 états généraux du social, mouvement MP4, etc.) ont permis de dénoncer plusieurs dysfonctionnements, leur portée reste limitée.

  • 3 Sen A. K., Commodities and Capabilities. New Delhi, Oxford University Press, 2008.
  • 4 Thiersch H., Lebensweltorientierte Soziale Arbeit: Aufgaben der Praxis im sozialen Wandel. Weinheim (...)

7Sommerfeld propose une visée plus normative du travail social comme profession des droits humains. En faisant appel à A. Sen3 et Thiersch4, il soutient un positionnement de l’action sociale basé sur des concepts normatifs qui intègrent les capacités des personnes tout en visant « la bonne vie » (ou le « vivre ensemble »). Il en résulte la nécessité pour les travailleurs sociaux d’être conscient de leur propre inscription dans le système politique et de défendre leur positionnement à partir de valeurs partagées pour éviter qu’ils soient simplement instrumentalisés à des fins non démocratiques. Böhnisch se demande s’il faut passer par des changements structurels pour rendre les individus capables de faire face dans un monde profondément inégal ? Il aborde les possibilités de réencastrement de l’économie dans le social, de création du lien social et de décroissance, pour argumenter un changement structurel.

8Face aux capacités d’action limitées du travail social, plusieurs ouvertures sont proposées, qui se situent à la fois au niveau conceptuel et au niveau de l’organisation de la profession. Il aurait été intéressant d’analyser plus concrètement ces capacités d’action en tant que mouvement collectif. Comme le montrent plusieurs auteurs, la capacité de résistance des associations de travail social est fortement limitée. La variable des alliances avec les syndicats ainsi que certains acteurs politiques et mouvements sociaux est d’ailleurs complètement absente. La résistance annoncée dans le titre touche donc plutôt les acteurs de terrain, et moins les organisations qui sont censées les représenter. L’innovation conceptuelle et professionnelle est bien plus fortement présente.

9Les questionnements liés à la recherche en travail social sont abordés à partir de différentes discussions épistémologiques et plus pragmatiques. S’agit-il simplement d’occuper le rôle de « conseiller du prince » (Tabin) en apportant des analyses pratiques qui permettent d’orienter assez directement les politiques publiques ? La recherche en travail social ne doit-elle pas avoir une visée plus généraliste de construction théorique et de compréhension sociétale à partir de différents terrains de l’action ?

10S. Roy met en débats différents défis et écueils pour favoriser un meilleur partenariat entre les milieux de la recherche et ceux de l’action sociale. Tabin, en abordant différents positionnements épistémologiques, retient la nécessité que la recherche appliquée soit guidée par un cadrage théorique clair qui permet d’articuler les résultats avec d’autres recherches scientifiques : « en montrant qu’elle ne se cantonne pas dans une seule fonction d’ingénierie ou d’expertise, mais qu’elle a les capacités de produire de la théorie à partir des données empiriques récoltées sur le terrain de l’action sociale » (p. 15). Schallberger à son tour invite à clarifier les rapports qu’entretient le chercheur à la commande et à l’implication au terrain. La recherche en travail social peut apporter un plus à l’action, mais il faut clarifier les différences entre intervention sociale et recherche.

11L’ensemble des résultats réunis dans le livre est un cri d’alarme face à la dégradation des conditions sociétales dans lequel œuvre le travail social, et dans lesquels se trouvent ses bénéficiaires. C’est aussi une ode au recadrage du travail social selon différentes valeurs, positionnements professionnels et engagements individuels et collectifs. Le défi reste à répondre à cette « vaste quête de reconnaissance d’un espace d’autonomie pour répondre à la mission du travail social dans sa lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale » (p. 383) dans une société où les attentes envers le travail social ne cessent de s’accroître et où il doit faire face à une diminution des moyens. Le livre est intéressant à la fois pour le chercheur et pour l’acteur de terrain en ce qu’il permet, par des multiples analyses situées ou généralistes, de retracer l’actualité de certains questionnements plutôt classiques par rapport au travail social.

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Notes

1 Par exemple, Sen A., L’idée de justice, Paris, Flammarion, 2010.

2 Par exemple Castel R., La montée des incertitudes : travail, protections, statuts de l’individu, Paris, Éditions du Seuil, 2009.

3 Sen A. K., Commodities and Capabilities. New Delhi, Oxford University Press, 2008.

4 Thiersch H., Lebensweltorientierte Soziale Arbeit: Aufgaben der Praxis im sozialen Wandel. Weinheim, Juventa Verlag, 2009.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Martin Wagener, « Sabine Voélin, Miryam Eser Vavolio, Mathias Lindenau (dir.), Le travail social entre résistance et innovation. Soziale Arbeit zwischen Widerstand und Innovation », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 03 juin 2014, consulté le 14 novembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lectures/14819 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/lectures.14819

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Rédacteur

Martin Wagener

Docteur en sociologie affilié au CriDIS-UCLouvain et au CADIS-EHESS.

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