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Luigi Mascilli Migliorini, Au cœur de l’Italie. Voir la Toscane, de Montesquieu à Berenson

Bénédicte Heude
Au coeur de l'Italie
Luigi Mascilli Migliorini, Au coeur de l'Italie. Voir la Toscane, de Montesquieu à Berenson, Paris, Rue d'Ulm, coll. « Italica », 2014, 144 p., Traduit de l'italien par Alain Tarrieu, ISBN : 978-2-7288-0510-5.
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Texte intégral

1L’étude de l’imaginaire créé autour de la Toscane, cette « Italie de l’Italie », que propose Luigi Mascilli Migliorini permet de cerner, au plus près des textes, l’élaboration d’une tradition toujours en construction. Il s’agit pour ce professeur d’histoire moderne à l’Université de Naples d’appréhender les différents sens donnés à ce qu’il nomme la « toscanité », dans les écrits des voyageurs qui parcourent le pays du XVIIIe au début du XXe siècle, en les replaçant dans les enjeux collectifs et individuels de l’histoire européenne moderne et contemporaine.

2Cette étude de l’histoire des représentations et des mentalités s’appuie sur des récits de voyages et autres descriptions de la Toscane, analysés avec finesse par l’historien qui donne lui-même à son texte un aspect littéraire, rendu par la traduction soignée d’Alain Tarrieu. Le découpage thématique de l’ouvrage se fonde sur une trame chronologique.

3L’auteur rappelle avec force qu’il n’est nullement question d’élaborer un quelconque discours identitaire qui, par essence, serait une démarche simplificatrice n’englobant pas la réalité mouvante de l’histoire. De fait, cette histoire, surtout italienne selon Luigi Mascilli Migliorini, se « dérob[e] à une définition trop nette d’elle-même » (p. 8).

4L’historien part tout d’abord dans un court avant-propos du postulat que la Toscane, et a fortiori Florence, sont perçues comme des « lieux de rencontre les plus extraordinaires et les plus intenses entre l’antique et le moderne » (p. 7). Cette représentation donne ainsi lieu à un foisonnement de productions qui façonnent un imaginaire collectif et individuel particulièrement vivant et changeant, les stéréotypes pouvant même se contredire. C’est cet attachement à l’ambiguïté et à la diversité que réaffirme Luigi Mascilli Migliorini dans sa préférence accordée au concept de tradition face à celui d’identité. En effet, si le dernier terme s’attache aux « certitudes étroites » construites par une uniformisation simpliste de l’histoire, la tradition comprend quant à elle la dimension complexe, voire fuyante, des réalités historiques.

5L’auteur ouvre son étude sur un premier chapitre consacré à « la naissance de la tradition », dans lequel il s’appuie sur les descriptions de la Toscane données au début du XVIIIe siècle dans les récits de voyage de Charles de Brosses, James Addison, ou encore Montesquieu. En ressort une image négative peinte par des auteurs déçus et peu enthousiastes. Ils décrivent des « villes mortes », à l’exception de la dynamique Livourne, ville commerçante portuaire. Mais un changement de regard s’opère dans les années 1760 et 1770 : celui que l’Europe cultivé porte sur la culture et le passé artistique toscan. Le territoire s’investit alors d’un sens fort de l’histoire, qui ne renvoie pas à l’antiquité classique mais se rattache plutôt à la Renaissance florentine, dans une fin de XVIIIe siècle où l’Europe réfléchit au sens à donner à la modernité. L’humanisme toscan est dans cette représentation assimilé à l’Athènes de Périclès. Cela se traduit dans les descriptions du paysage de Toscane par une l’admiration affichée pour le rapport exemplaire de complémentarité qui existe entre villes et campagnes. L’exemplarité toscane a pour origine, selon les auteurs étudiés par l’historien, une population dynamique qui permet « une rencontre unique entre nature et art ». S’invente alors l’image d’une Toscane pensée comme « laboratoire des Lumières », qui permet à Luigi Mascilli Migliorini de revenir sur les analyses libérales que Sismondi porte sur la relation spécifique entre économie et territoire en Toscane.

6Dans un deuxième chapitre dédié à « l’héritage romantique », l’auteur analyse la politisation de la perception de la Toscane qui est rattachée au modèle florentin d’une « démocratie des producteurs ». Les auteurs de l’époque romantique privilégient en effet dans leurs descriptions le rapport fondamental à la terre, les valeurs d’ordre et de modération qui définiraient une authenticité spécifiquement toscane, au point que la région devient sous la plume d’un Shelley un « carrefour du monde ». Toutefois, l’année 1848, avec ses révolutions « ratées », entraîne une dégradation de l’idéalisation politique de la Florence du XIIIe siècle et de sa civilisation communale. Luigi Mascilli Migliorini fait appel à Michelet pour signifier cette « rupture du lien unissant art et liberté » que représentait la Toscane face aux expériences de la vie collective. On assiste, de fait, à une perte de la position nodale de la Toscane et de son histoire, qui devient qu’un simple lieu de mémoire.

7Après cette rupture, Luigi Mascilli Migliorini étudie dans la troisième chapitre (intitulée « un passé pour l’Europe ») l’idéalisation de Florence que l’on peut trouver chez un Nathaniel Hawthorne en 1858. Elle repose alors sur l’admiration de ses édifices qui symbolisent une interprétation de son héritage. Se propage de fait l’idée de ville-musée qui souligne que la révolution induite par l’Unité italienne n’a pas su relancer le lien fécond entre vie de la cité et art. Ainsi, « l’image de Florence se fige dans l’immobilité symbolique » (p. 70).

8Le quatrième chapitre est l’occasion pour l’historien de démontrer que « le mythe de “l’Athènes de l’Italie” devient stérile » (p. 78) à partir des années 1870. Le rapport au passé est alors un moyen de formuler un sentiment négatif de regret, dans le contexte de l’unification italienne où la Toscane, pourtant habitée d’un fort sentiment d’autonomie, doit intégrer un État centralisé. On invoque par conséquent le thème de la décadence pour parler de la Toscane contemporaine, face au modèle médiéval qui s’assimile à un recours au mythe d’une libre civilisation communale, fondée sur des valeurs moralisantes, qui traduit la difficulté d’adaptation. On assiste ainsi à la création d’une tradition spécifique toscane comme « gardienne de l’imaginaire européen », déconnectée des références purement italiennes pour s’attacher à la civilisation universelle.

9Luigi Mascilli Migliorini distingue dans un cinquième chapitre nommé « l’autre Toscane » l’élaboration de deux traditions toscanes, au tournant du XIXe et du XXe siècle. L’une privilégie le grand passé littéraire de la région dans une perspective citadine et nationale tandis que l’autre s’attache plutôt à la mise en valeur de la dimension rurale de l’Italie favorisant la masse collective dans le processus de création des savoirs qui passe alors par une transmission orale.

10L’auteur achève son étude par un sixième chapitre intitulé « le réel et l’irrationnel ». Les écrits du début du XXe siècle font de l’expérience du voyage en Toscane « un pèlerinage de la beauté ». Cela confirme pour l’historien « le processus d’internationalisation de la ville [de Florence] » élaboré au siècle précédent. On le voit aussi dans les institutions créées, comme l’Institut français de Florence construit en 1908, qui sont une reconnaissance de l’apport de la Toscane dans la civilisation universelle. Cette toscanité « si facilement érigée en mythe » se définit ainsi pour Luigi Mascilli Migliorini comme un « aboutissement d’une expérience collective et vivante ». Il insiste de fait, en conclusion, sur la dimension humaine du processus de l’invention des traditions.

11Cet ouvrage permet donc d’appréhender la complexité et la variété de tout processus d’élaboration de traditions porté par les hommes, replaçant ainsi les représentations dans la réalité vivante de l’histoire, toujours en construction. L’imaginaire créé autour de la Toscane à partir du XIIIe siècle se refuse à toute simplification rassurante qui pourrait nourrir les discours identitaires qui utiliseraient l’histoire à des fins idéologiques.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Bénédicte Heude, « Luigi Mascilli Migliorini, Au cœur de l’Italie. Voir la Toscane, de Montesquieu à Berenson », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 02 juin 2014, consulté le 10 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lectures/14809 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/lectures.14809

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Rédacteur

Bénédicte Heude

Étudiante en préparation à l’agrégation d’histoire à l’Université Sorbonne-Panthéon.

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Droits d’auteur

Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés), sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

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