René Levy, Eric D. Widmer (dir.), Gendered life courses between standardization and individualization. A European approach applied to Switzerland
Texte intégral
- 1 Phrase traduite par nos soins.
- 2 Barney Glaser, Anselm Strauss, Status Passage, New York, Aldine, 1971
- 3 Cf. le quelques-unes des nombreuses publications sur cette thématique : Marie-Thérèse Têtu-Delage, (...)
- 4 http://www.lives-nccr.ch/.
1« Le parcours de vie est symbolisé par un escalier roulant sur lequel chacun monte ». La préface des éditeurs reprend comme phrase introductive1 cette métaphore développée par Glaser et Strauss2, mettant ainsi l’accent sur différents éléments constituant le parcours de vie : un processus qui s’inscrit dans le temps, cumulatif, catégorisable et non pas aléatoire ou purement subjectif. L´analyse des parcours de vie s’inscrit dans une littérature croissante qui s’attache à décrire et comprendre le phénomène des trajectoires des individus3. Nous nous accordons ici sur le terme de parcours de vie, traduction de life course, utilisé par le centre de recherche pluridisciplinaire porté par plusieurs universités Suisses, dont celles des coordonnateurs de l’ouvrage (Lausanne et Genève4). C’est dans cette dynamique scientifique que ce centre fut créé en 2001 et il regroupe quatre disciplines principales : la sociologie, la démographie, la psychologie sociale et la psychologie du développement ; cette pluridisciplinarité se retrouve tout au long des contributions ci-présentes. L’analyse des parcours de vie se situe au-delà de la simple chronologie individuelle car elle met en relief deux éléments décisifs constitutifs des trajectoires des individus : la temporalité des événements, en cela que chaque période a des effets propres sur le déroulement d’une vie (les étapes prises en compte sont abordées ci-après) ; les similarités sociales et de groupes dans lesquelles s’inscrit chaque parcours (grâce à des procédés méthodologiques évoqués plus bas).
2Dans ce cadre, l’approche genrée du parcours de vie qu’offre cet ouvrage permet de mettre en évidence sur le long-terme les effets de la domination masculine sur les trajectoires individuelles des femmes, ainsi que l’institutionnalisation des rôles et des parcours que génère l’asymétrie sociale de genre. Un des apports de l’ouvrage est de démontrer que la domination homme/femme est particulièrement prégnante dans l’organisation du couple et surtout de la famille, et que cette structuration du champ privé se répercute sur les trajectoires professionnelles, alors que les personnes moins impliquées dans une cellule familiale hétérosexuelle subissent à plus faible niveau l’impact du déséquilibre homme/femme.
3Le livre se découpe en quatre parties qui traitent des fondamentaux de l’analyse des parcours de vie, de certains types de parcours de vie ainsi que des méthodologies propres à ce champ d’étude. Il comprend quinze contributions, principalement réparties dans les deuxième et troisième parties. La première partie présente deux contributions, l’une de René Levy, l’autre de Jacques-Antoine Gauthier, qui abordent les aspects théoriques et pratiques de l’analyse des parcours de vie. La place importante prise par les méthodes qualitatives et rétrospectives est soulignée, donnant ainsi davantage d’espace aux notions de représentation de soi et d’autonomie de trajectoire, dépassant la pure chronologie des parcours et le lien statique entre trajectoire et âge. Il y est par ailleurs fait mention des trois grandes théories quant à la typification des parcours de vie, qui sont celles, respectivement, d’un modèle standard unique, développé par Martin Kohli, de deux modèles standards genrés (selon René Levy) et de modèles non-clairement profilés (d’après Ulrich Beck). Il demeure cependant que les parcours de vie suivent des configurations similaires (se regroupant dans les notions de participation, de position et de rôle) et un processus de stratification qui se retrouvent au travers des contributions de l’ouvrage.
4La seconde partie est précisément dédiée à l’analyse des trajectoires de vie – le terme trajectoire étant fréquemment employé comme synonyme de parcours. Un des aspects intéressants de ces travaux est de confirmer la forte emprise de la trajectoire parentale dans l’ensemble du parcours de vie (également pour les personnes étant parent unique ou formant une famille recomposée), là où les trajectoires de célibat ou de vie conjugale ont un impact plus faible, même si grandissant. Une autre contribution (Müller et al.) se penche sur le parcours de vie de personnes en psychothérapie, afin d’observer en quoi des troubles psychologiques ou psychiatriques peuvent influencer les trajectoires individuelles. Il y est montré que, dans ce groupe d’individus, les parcours sont davantage marqués par des allers-retours entre diverses séquences de vie normalement successives et non simultanées, telles l’indépendance vis-à-vis des parents ou bien l’exercice d’un emploi stable. À ce titre, de nombreux événements de vie qui se déroulent dans les trajectoires standards – comme quitter le domicile parental, obtenir un travail, se mettre en couple ou devenir parent – n’apparaissent pas chez ces personnes souffrant de troubles mentaux.
- 5 Cf. par exemple Géraldine Mossière, Converties à l'islam. Parcours de femmes au Québec et en France(...)
5C’est dans la troisième partie que les enjeux méthodologiques sont discutés par trois contributions, chacune signée par plusieurs auteurs, soulignant l’importance des recherches en équipe dans ce champ disciplinaire. Ces auteurs soulignent que la plupart des travaux empiriques font référence à la pluridimensionnalité des parcours de vie qui se basent sur une interaction de facteurs sociaux, psychologiques et biologiques. Au-delà de discussions méthodologiques très pointues qui s’adressent pour partie aux seul-e-s spécialistes, notamment par des illustrations et exemples accompagnés d’équations et de graphiques, ces développements ont le mérite d’offrir un aperçu de la palette d’outils à disposition pour mener de telles recherches ;ils informent des précautions à prendre dans leur usage et des limites explicatives qui en ressortent. Certaines contributions s’appuient sur une banque de données représentative à l’échelon fédéral suisse, dont la première vague de récolte de données fut opérée en 1999, accompagnée de 4 700 questionnaires rétrospectifs. Quant à la méthodologie classique employée pour l’étude des parcours de vie, elle consiste en trois temps que sont le croisement de trajectoires individuelles, puis l’analyse hiérarchique de clusters et enfin une régression, mettant bien en lumière les divers enjeux méthodologiques de l’étude des parcours de vie5.
6La dernière partie se résume à une contribution de l’un des éditeurs du livre (René Levy), qui sert de conclusion en illustrant la plus-value pluridisciplinaire du champ d’études que représente l’objet parcours de vie, tout en réagençant les grandes lignes transversales à l’ensemble des contributions. Sont rappelés l’événement genré le plus décisif qu’est la naissance d’un enfant, la faible mobilité des individus vers le haut de l’échelle sociale, l’importance du cluster familial dans le développement des parcours de vie, et l’influence institutionnelle et structurelle qui façonne des trajectoires de vie individuelles.
7Un des résultats les plus consistants des études empiriques présentes dans ce livre est la persistance du facteur genre dans les champs de vie majeurs que sont la famille et le temps libre, notamment dans les couples hétérosexuels. Cette constatation confirme, à la suite de précédentes études, la prédominance d’un tel modèle par rapport à une tendance récente à la dé-standardisation du parcours de vie, et donc à la pluralisation, et à l’individualisation des trajectoires, phénomène en développement mais qui reste mineur par rapport à la norme structurellement genrée.
8Si seules quatre contributions sont originales – les autres ayant déjà fait l’objet de publications antérieures –, l’intérêt de cet ouvrage est précisément de regrouper de manière systématique, ordonnée et thématique une diversité d’approches et de travaux qui déconstruisent et analysent les résultats précédents en apportant un éclairage renouvelé sur les méthodes et les résultats récents de la recherche sur le genre.
Notes
1 Phrase traduite par nos soins.
2 Barney Glaser, Anselm Strauss, Status Passage, New York, Aldine, 1971
3 Cf. le quelques-unes des nombreuses publications sur cette thématique : Marie-Thérèse Têtu-Delage, Clandestins au pays des papiers, Paris, La Découverte, 2009. Compte rendu de Jessie Dubief pour Lectures : http://lectures.revues.org/2422 ; Beate Collet, Emmanuelle Santelli, Couples d’ici, parents d’ailleurs, Paris, PUF, 2012. Compte rendu de Christine Rodier pour Lectures : http://lectures.revues.org/8402 ; Bénédicte Zimmermann, Ce que travailler veut dire, Paris, Économica, 2011. Compte rendu de François Granier pour Lectures : http://lectures.revues.org/3069.
5 Cf. par exemple Géraldine Mossière, Converties à l'islam. Parcours de femmes au Québec et en France, Montréal, PU Montréal, 2013. Compte rendu de Maël Dieudonné pour Lectures : http://lectures.revues.org/13173.
Haut de pagePour citer cet article
Référence électronique
Pascal Décarpes, « René Levy, Eric D. Widmer (dir.), Gendered life courses between standardization and individualization. A European approach applied to Switzerland », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 21 mai 2014, consulté le 20 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lectures/14664 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/lectures.14664
Haut de pageDroits d’auteur
Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés), sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Haut de page