Ahmed Nordine Touil, Lassaad Labidi (dir.), « Les nébuleuses du logement social en France et en Afrique du Nord », Le Sociographe, n° 44, décembre 2013
Texte intégral
1Ce nouveau numéro de la revue Le Sociographe s'intéresse aux divers aspects des problèmes sociaux posés par l'hébergement et le logement. Les coordinateurs du numéro, Ahmed NordineTouil et Lassaad Labidi, rassemblent ici des travaux sur cette thématique en partageant les expériences françaises et d'Afrique du Nord. De la manière « d'habiter » au processus régulant la répartition des logements sociaux, de la mise en mémoire du quartier lors des opérations de rénovation urbaine en passant par les modifications engendrées par le DALO dans les pratiques des travailleurs sociaux, ce numéro étudie le rapport que les individus nouent avec leur logement, le rapport au quartier mais aussi la manière d'habiter, ainsi que celui à l'hébergement sur fond de crise de l'immobilier.
2La revue est divisée en onze articles. Sept portent sur des expériences françaises et quatre sur des expériences algériennes et tunisiennes. L'ensemble est divisé en trois parties. La première porte sur les problématiques liées aux politiques du logement et de la ville. La seconde met en avant des observations et expériences de terrain en Afrique du Nord. Dans la troisième, intitulée « logement et relation », les articles collectés évoquent le sens que peuvent donner les individus à l'espace qui les entoure.
3Ce numéro, bien que n'ayant pas la volonté d'être exhaustif, aborde des thématiques diverses sans méthodologie commune. Néanmoins, un article est présenté comme fil d'Ariane de la revue. Il s'agit d'un entretien entre Ahmed Nordine Touil et Cécile Duflot. De nombreux thèmes en lien avec le contexte du marché de l'immobilier français, celui du logement social et des politiques de la ville sont ici repris par la Ministre de l'égalité, des territoires et du logement. Les questions suivent les thématiques qui sont discutées au sein de ce numéro.
4En France, les politiques du logement et de la ville façonnent les pratiques des travailleurs sociaux et la vie quotidienne des personnes résidant au sein de l’habitat social. Dans son article, Stéphane Rullac se pose la question des transformations engendrées par la loi DALO (2007) ainsi que la loi MOLLE (2009) sur le travail social. En affirmant le droit à l'hébergement pour tous, ces deux lois ont modifié les logiques d'acteurs et les pratiques des personnes défavorisées qui seraient dorénavant tentées de loger sur le long terme dans des centres d'hébergement. Dans un autre article, la politique de rénovation urbaine instaurée en 2003 en France est également génératrice de transformations des espaces d'habitat social. Michel Peroni s'appuie sur l'exposition « Mémoires d'habitants » de la cité Séverine de Saint-Etienne et soulève le paradoxe suivant : « pourquoi démolir ce à quoi on reconnaît pourtant une valeur ? » (p. 22). Pour lui, il s'agit bien plus d'une présentation de la mémoire des habitants que de la mémoire collective du quartier. Notamment un des points soulevé est que la mémoire « conflictuelle, sources d'affrontements, de tensions » (p. 28) n'y est pas représentée. Ce sont « les instances extérieures qui, par leur collecte, composent l'œuvre collective » (p. 27).
- 1 Titre de l'article de Laurent Courtois.
5Poursuivant l'analyse sur le logement social, Laurent Courtois se pose la question de la dénomination à donner aux lieux d'enquête et aux enquêtés. Il souligne que parler des « habitants » c'est se soumettre au risque de voir les images souvent dégradées du quartier se transposer sur leurs résidants. Pour cela, il s'appuie sur un travail de recherche empirique qui depuis 2002 vise à recueillir la parole des habitants du quartier de Basseau à Angoulême. Ces recherches sur ce qu'il appelle le ghetto urbain l'ont mené à élaborer une forme d'idéal-type d'une « organisation sociale spécifique » à comprendre « comme une dimension des conduites sociales individuelles et collectives » (p. 29). Il nous montre ainsi l'image d'un quartier enclavé dont les résidents auraient exprimé leur « impuissance et incapacité à choisir leur départ du quartier » (p. 32). Cet article fait notamment écho à celui d'Yvon Fotia dont les recherches portent sur les parcours résidentiels des résidents des quartiers d'habitat social. Au travers de l'exemple du quartier de Montreynaud à Saint-Etienne, ce dernier cherche à nous faire partager l'expérience de trois acteurs Haifi, Wahid et Amine dont il analyse le discours sur leur parcours résidentiel. Ces deux articles ont pour objectif commun de nous démontrer que « partir ou rester »1 dans le quartier d'origine ne dépend pas seulement de la volonté propre des individus. Pour Yvon Fotia, « ces éléments nous montrent comment l'expérience d'habiter est ainsi constitutive d'un rapport spécifique au monde des minoritaires » (p. 81).
6Ce numéro apporte également un éclairage sur la situation des populations défavorisées et les caractéristiques d'attribution du logement en social en Algérie et en Tunisie. Bradeddine Yousfi évoque les répercussions engendrées par les transformations des formes d'habitat dans le Sud-ouest algérien. En effet, suite aux demandes de plus en plus poussées de la population pour accéder à un habitat plus digne, l'Etat multiplie les programmes de logement qui introduisent peu à peu de nouveaux types d'habitation contribuant ainsi à la reconfiguration socio-spatiale des agglomérations sahariennes. Pour cela, il prend l'exemple de villes comme Bechar, Adrar, Timimoun et Abadla dont les formes d'habitat traditionnel, « les ksour », sont de plus en plus désertés au profit de nouvelles constructions plus proche des lieux urbanisés. Or, si la « société oasienne » s'ouvre ainsi vers l'extérieur et suit un développement urbain en suivant ce que l'auteur appelle « un nouveau modèle de consommation » cela n'est pas sans engendrer des modifications des rapports familiaux et sociaux. Ahmed Rouadjiaet Ammar Manaa nous montrent également comment les logiques d'attribution des logements sociaux peuvent être biaisées dans cette zone d'Afrique du Nord. Pour eux, « le népotisme, le clientélisme et la corruption » (p. 58) gangrènent l'attribution des logements sociaux.
7Dans ce contexte où les problèmes du « mal-logement » prennent une ampleur de plus en plus alarmante, Lassaad Labidi pose la question des répercussions sur les conditions de vie des personnes âgées pauvres en Tunisie. En s'appuyant sur « une enquête qualitative portant sur les personnes âgées bénéficiaires du programme de maintien à domicile et en particulier des services de l'équipe mobile du gouvernorat de l'Ariana (banlieue de Tunis) » (p. 60), l'auteur développe l'idée selon laquelle le logement des personnes âgées représente leur « champ social », « c'est-à-dire l'environnement physique et social majeur » (p. 60). Or les conditions de logement des personnes âgées démunies les amènent ainsi souvent à occuper des espaces trop étroits et partagés avec d'autres membres de la famille. L'espace extérieur est ainsi privilégié.
8Deux articles, mais non des moindres, viennent clore cette série de réflexions sur le logement social et le rapport au lieu de résidence. Dans le premier, Ludovic Varichon, psychologue, explique que le rapport à l’espace est modelé par notre première expérience (par ex. la maison des parents) dont nous recherchons par la suite l'agencement, le bruit ou les odeurs. Il en vient à la question de ce qui doit constituer le bureau d’un psychologue, à penser qu'un espace pour être « soignant doit être construit de façon suffisamment neutre » (p. 89). Et c'est notamment ce à quoi fait référence François Chobeaux dans le second article en proposant d'analyser les présupposés qui construisent le rapport au logement de jeunes ayant choisi l'errance comme mode de vie. Il compare les rapports au logement avec la réalité des offres de logement (ou d'hébergement.) Pour lui, la norme et donc l'offre d'hébergement ou de logement serait comparable à l'image que nous nous faisons de ce qu'il appelle « l'occupation nucléaire » (p. 93) des logements. Demander à ces personnes de suivre un schéma spécifique dans la manière d'occuper un logement qui n'est pas le leur, mène à l'échec. François Chobeaux nous dit que « ces jeunes peuvent ainsi loger mais pas habiter ».
9En conclusion, dans ce numéro de la revue Le Sociographe, sont abordés des thèmes liés aux changements sociaux institués par la transformation des politiques du logement et de la ville (DALO, PNRU), par de nouvelles formes d'habitat ou tout simplement par le développement urbain d'un territoire au travers des migrations de ses populations. Il est destiné aux travailleurs sociaux dans leur ensemble mais peut aussi très bien inspirer les travaux d'étudiants en sociologie de l'urbain par exemple. Nous regretterons seulement que celui-ci soit fondé sur un parti pris qui consiste à associer le débat sur le logement social contemporain à celui de la recherche d'un esprit « d'équité et de justice » (p. 8). Finalement, une question reste en suspend après la lecture de ce numéro : tout changement des pratiques mais aussi de l'environnement connu jusqu'à présent est-il forcément négatif ? Une question à d'articles scientifiques, n'oublions pas de respecter le principe de neutralité axiologique.
Pour citer cet article
Référence électronique
Frédérique Kuziew, « Ahmed Nordine Touil, Lassaad Labidi (dir.), « Les nébuleuses du logement social en France et en Afrique du Nord », Le Sociographe, n° 44, décembre 2013 », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 12 mai 2014, consulté le 10 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lectures/14556 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/lectures.14556
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