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Christine Reynier, Marie-Ève Thérenty (dir.), Les médiateurs de la Méditerranée

Alain Messaoudi
Les médiateurs de la Méditerranée
Christine Reynier, Marie-Ève Thérenty (dir.), Les médiateurs de la Méditerranée, MSH de Montpellier, Paul Geuthner, 2013, 328 p., ISBN : 978-2-7053-3889-3.
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Texte intégral

1Fruit d'un travail collectif développé au sein de deux équipes de recherches de l'université de Montpellier, l'une centrée sur le monde anglophone (EMMA), l'autre croisant histoire, littérature, arts et médias (RIRRA 21), cet ouvrage a été conçu, comme L'Invention littéraire de la Méditerranée récemment publié sous la direction de Corinne Saminadayar, dans le cadre d’un programme de la Maison de Sciences de l’homme de Montpellier intitulé « Médias, écriture et représentations en Méditerranée ». Après une introduction qui propose d’étudier l'impact des systèmes de médiation sur les représentations de la Méditerranée, il rassemble dix-neuf contributions organisées en six parties, selon les types de médiateurs (voyageurs, penseurs politiques, presse et écrivains), et les objets médiatisés (l'intime, la parole vive). Il n’échappe pas aux difficultés de ce type d’entreprise, la plupart des contributions, à partir de l’analyse d’une œuvre, n’apportant qu’un matériau intéressant pour la question sans l’envisager pour elle-même. Le découpage des parties est, par ailleurs, peu convaincant.

2L’action médiatrice des voyageurs est envisagée à partir d’une analyse de leurs publications. La première partie nous permet de mieux connaître des guides et des récits de voyages britanniques, envisagés dans une perspective littéraire plutôt qu'historique. De l’ensemble des guides répondant aux normes du genre, comme celui que publie en 1882 l'officier et diplomate Robert Lambert Playfair à destination des plaisanciers, étudié par Nathalie Vanfasse, se distingue celui d’E. M. Forster sur Alexandrie (1922), dont Catherine Lanone montre qu’il en subvertit les codes. Les travelogues Labels (1929) d'Evelyn Waugh, récit d'une croisière autour de la Méditerranée, et Provence (1935) de Ford Madox Ford témoignent de l'attrait général que la Méditerranée continue à exercer entre-deux-guerres sur les Britanniques, comme espace de civilisation et de libre sensualité, par opposition à l'Angleterre (image sensuelle qu’on trouve aussi dans le journal d’Anaïs Nin, objet des travaux de Simon Dubois-Boucheraud). Labels, analysé par Julie Morère, exprime la tension entre modernisme et passéisme que vit alors Waugh et les débuts de sa quête religieuse, et Provence, selon Christine Reynier, l’idéal humaniste et pacifique de Ford. Ce chapitre sur l'écriture du voyage s'achève sur une présentation de Dans le sillage d'Ulysse, album illustré de photographies que publie en 1933 Victor Bérard, dans lequel Clément Lévy voit une préfiguration de la géocritique telle que l’a récemment définie le comparatiste littéraire Bernard Westphal. On note par ailleurs que plusieurs contributeurs de l’ouvrage, comme Catherine Delmas à propos de la poésie de Lawrence Durrell et de son rapport aux îles grecques, Shirley Bricout sur les différents récits qu’a tirés D. H. Lawrence de ses séjours en Italie, ou Claudine Raynaud soulignant l’importance de l’expérience marseillaise du jamaïquain Claude McKay dans son œuvre, réservent une place importante à la notion d’esprit des lieux.

3Les parties suivantes pèchent par leur éclectisme, avec des intitulés fourre-tout (l’écrivain, l’intime) ou des contenus qui ne s’accompagnent pas de la dimension réflexive attendue, que ce soit sur les relations entre genre littéraire et médium, ou sur ce qui pourrait constituer la spécificité d’un discours politique ou journalistique sur la Méditerranée, d’ailleurs rarement au centre des ouvrages analysés. Stéphanie Prévost, en s’intéressant à un roman de jeunesse de Benjamin Disraeli, Tancrède ou la Nouvelle Croisade, pose pourtant l’intéressante question du roman comme mode d’expression d’un projet politique. Elle montre qu’au-delà d’une simple promotion de l'impérialisme britannique en Orient ou d’une invitation au retour des Juifs en terre d'Israël, lectures qui prédominent à la fin du XIXe siècle, ce roman, publié en 1847, présente un Proche-Orient féodal et théocratique, modèle potentiel de régénération pour la Grande-Bretagne. Les différentes significations données au roman peuvent-elles être rapportées à des systèmes de médiation qui ont évolué ? Cette question aurait pu aussi être posée pour L’Aperçu historique et statistique sur la régence d'Alger, intitulé en arabe : Le Miroir (1833) une protestation signée de l’Algérois Hamdan Khodja contre la politique menée par les autorités françaises dans son pays, et L’Or de Paris (1834), relation par le Cairote Rifâ‘a at-Tahtâwî du séjour qu’il a effectué en France comme imâm accompagnateur d’une mission d’étudiants égyptiens. Or, les textes consacrés à ces œuvres, respectivement dus à Slimane Aït Sidhoum et Maxime del Fiol, n’abordent pas la question des modalités de leur médiation, du processus de leur production, de leurs destinataires et de leur réception – ce qui supposerait certes des enquêtes difficiles (on ne connaît du Miroir que le texte français présenté comme une traduction de l’original arabe) et une meilleure prise en considération de travaux historiques récents (comme par exemple ceux d’Hélène Blais pour l’Algérie, ou de Ghislaine Alleaume et Pascal Crozet pour l’Égypte). La faiblesse de cette contextualisation a pour effet une lecture nationaliste du Miroir, qui répète celle qu’on pouvait lire en 1985, à l’occasion d’une réédition du texte, sous la plume du sociologue Abdelkader Djeghloul, et dont l’anachronisme sonne tout aussi faux.

4Les contributions qui prennent en considération la question du médium, en l’occurrence la presse, répondent mieux à la problématique générale annoncée. Si les conclusions de Mélodie Simard-Houde sont assez attendues, sa démonstration est convaincante : à partir des reportages publiés en 1925-1927 par la grande presse française à l’occasion de la révolte druze en Syrie, elle montre que ces reporters « embrigadés », qu’on pourrait comparer aux journalistes embedded de la seconde guerre du Golfe, renforcent sous couvert d’objectivité un discours colonial dominant. Marie-Ève Thérenty montre très bien comment la signification du roman méditerranéen d’actualité de Jules Verne, Mathias Sandorf, est affectée par les modalités de sa médiatisation : publié en 1885 au rez-de-chaussée du Temps, le texte entre en résonance avec les discours de Jules Ferry défendant sa politique coloniale, ce qui infléchit sa lecture dans un sens colonialiste. Faute de ligne cohérente, Adeline Wrona, dans une contribution aux illustrations très mal reproduites, peine en revanche à convaincre du fait que La Marseillaise, quotidien régional communiste fondé en 1944 à Marseille (après que le titre a été celui de plusieurs périodiques parisiens d’extrême-gauche entre 1869 et 1877), ait pu contribuer à la fabrication d’une identité méditerranéenne.

5Linda Rasoamanana et Catherine Soulier rappellent l’affirmation d’une spécificité méditerranéenne dans le champ littéraire français, à travers leurs analyses respectives de La Remontée du fleuve (1964), un roman d’Emmanuel Roblès qui dirigea, à partir de 1951, une collection « Méditerranée » aux Éditions du Seuil, et d’un poème de Jean Todrani, « Poésie en Méditerranée », publié à l’occasion d’une exposition commémorant en 1993 le centenaire de la naissance de Jean Ballard, le fondateur des Cahiers du Sud. Pour Roblès, la Méditerranée est synthèse des contraires, harmonisation de l’éthique et de l’esthétique ; pour Todrani, lieu de coïncidence de la poésie avec elle-même.

6C’est du Midi plutôt que de la Méditerranée dont il est question dans les deux dernières contributions de l’ouvrage, artificiellement rapprochées par une oralité partagée entre radio et spectacle vivant, mais par ailleurs intéressantes. Pierre-Marie Héron montre ainsi que, dans les années 1950, la programmation de la station régionale Montpellier Languedoc-Roussillon, soucieuse d’articuler un caractère régional et une qualité de niveau national, met en avant une identité occitane ou méridionale plutôt que méditerranéenne. Élisabeth Pillet analyse de son côté des spectacles humoristiques fondés sur des figures stéréotypées de méridionaux (populaires, heureux, avec des traits qui rappellent les années 1960-1970) qui ont connu depuis les années 2000 un succès national. Elle y voit une réaction à la crise, de façon comparable au succès de Raimu, de Fernandel et de Pagnol dans les années 1930.

7Ce livre laisse finalement une impression ambivalente. On lui sait gré de nous permettre de découvrir des œuvres littéraires en langue anglaise souvent peu connues, de nous faire connaître les résultats de quelques recherches intéressantes et d’essayer de croiser analyses littéraires et historiques. On ne peut cependant s’empêcher de regretter une certaine incohérence, qui tient sans doute à une définition trop large de la médiation appliquée à un objet, la Méditerranée, moins fédérateur qu’il ne pourrait paraître. On en vient alors à se demander si certaines des faiblesses de ce livre ne tiendraient pas aux conditions même de sa production, la « labellisation » des programmes régionaux imposant souvent des compromis que la rigueur intellectuelle réprouve, et de sa médiation, quand l’importance d’être publié prévaut sur celle d’être lu.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Alain Messaoudi, « Christine Reynier, Marie-Ève Thérenty (dir.), Les médiateurs de la Méditerranée », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 17 avril 2014, consulté le 23 avril 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lectures/14401 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/lectures.14401

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