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Jean-Jacques Schaller (dir.), « L’intervention sociale à l’épreuve des habitants », Le sujet dans la Cité, n° 2, 2013

Jordan Parisse
L'intervention sociale à l'épreuve des habitants
Jean-Jacques Schaller (dir.), « L'intervention sociale à l'épreuve des habitants », Le sujet dans la cité, actuels n° 2, novembre 2013, 220 p., L'Harmattan, Le Sujet dans la cité, ISBN : 978-2-343-02499-8.
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Texte intégral

1Organisé sous la forme d’un recueil de contributions individuelles et collectives, ce numéro hors-série de la revue Le sujet dans la Cité, dirigé par Jean-Jacques Schaller, relate une expérience de « recherche-action qualifiante » (RAQ) conduite en 2008 et 2009 dans l’Ouest de la France. Celle-ci s’est fixée un objectif principalement méthodologique consistant à mettre en pratique des formes d’intervention sociale basées sur l’« implication réciproque entre les professionnels et les personnes auxquelles ils s’adressent » (p. 8), et à analyser leurs incidences sur les postures et les pratiques professionnelles des acteurs impliqués.

2Durant 18 mois, la RAQ a regroupé 25 stagiaires, pour la plupart des professionnels du secteur associatif de l’accompagnement de l’enfance et de l’adolescence (éducateurs, responsables, etc.), ainsi que des enseignants-chercheurs de l’Université Paris 13. Ceux-ci se sont répartis en trois groupes de recherche, mis en place à Laval (Mayenne), au Mans (Sarthe) ainsi qu’à Hédé-Bazouges (dans l’agglomération rennaise, en Ille-et-Vilaine). Chaque groupe est investi d’une thématique d’analyse, dont on pourra regretter l’absence de présentation détaillée et de problématisation. Il s’agit respectivement des thèmes de la « parentalité » pour le premier groupe, du « partage des savoirs » pour le second, et des « rapports intergénérationnels dans un contexte d’ “urbanité rurale” » pour le troisième (p. 63).

3Le travail de recherche s’est traduit, sur chaque lieu, par la collecte d’un matériel d’enquête constitué d’observations de terrain, d’archives, de données sociodémographiques et d’entretiens avec les habitants. Les stagiaires avaient en outre pour consigne de tenir à jour un « journal d’investigation », servant à la fois de carnet de terrain et de support d’évaluation, dont les enjeux méthodologiques sont longuement analysés (chapitre 6). Parallèlement, l’implication dans la démarche a permis aux participants de valider un diplôme de licence ou de master, conférant sa dimension « qualifiante » à la RAQ.

  • 1 Freire Paulo, L’Éducation : pratique de la liberté, Paris, Le Cerf, 1973.

4Dispositif d’enquête et de formation, la RAQ se présente également comme un espace d’hybridation entre des épistémologies différentes, et valorise la production d’une « intelligence collective » entre professionnels-stagiaires et chercheurs. Cela se matérialise par deux formes de « déplacements » – ou « pas de côté » – promus par la démarche. Un déplacement de l’institution universitaire « hors les murs », d’abord, appuyé par la mise en avant d’une relation pédagogique « désanctuarisée » et plus horizontale entre formateurs et stagiaires, sur le modèle de l’approche éducative développée en Amérique latine par Paulo Freire dans les années 19701. Et un déplacement des professionnels-stagiaires, ensuite, sous-tendu par l’enjeu pour eux, en allant « vers les habitants », de se défaire momentanément des catégories d’action qui sont habituellement les leurs et, partant, de « s’interroger sur le regard porté sur les publics auprès desquels ils interviennent » (p. 138).

5La revue donne ensuite à voir plus concrètement ces formes de « déplacements » en développant l’analyse produite par les stagiaires sur le terrain d’Hédé-Bazouges (chapitre 4). Celle-ci s’attache notamment à mettre en évidence les processus d’inscription territoriale des identités « jeunes » et « adultes » – par exemple lorsque les auteurs repèrent l’expression d’une identité propre aux « jeunes » à travers le fait que ceux-ci se regroupent hors de la commune –, ou encore l’ambiguïté des relations entre ceux qualifiés d’« anciens ruraux » et de « nouveaux écolos » – deux groupes qui apparaissent antagonistes par leurs modes de vie et leurs profils sociologiques, mais proches par le partage d’une référence commune à la « nature ». À partir de ces observations, l’analyse insiste, en forme de prescription, sur l’importance, pour les professionnels, de prendre en compte le « lien social comme un des enjeux déterminant du travail social » (p. 90).

  • 2 Garrau Marie et Le Goff Alice, Care, justice et dépendance. Introduction aux théories du Care, Pari (...)
  • 3 Chauvière Michel, Trop de gestion tue le social. Essai sur une discrète chalandisation, Paris, La D (...)
  • 4 Rancière Jacques, La haine de la démocratie, Paris, La Fabrique, 2005.

6Plus largement, cette réflexion sur la nature du travail social traverse l’ensemble de ce numéro, notamment lorsque les auteurs reviennent sur les évolutions que celui-ci a connu au cours des vingt dernières années, passant d’une logique descendante du « faire pour » autrui, à une logique du « faire avec » autrui, qui serait davantage caractérisée par l’attention portée à la reconnaissance des personnes et l’empathie à leur égard (chapitre 9) – ce que l’on pourrait notamment rattacher aux travaux sur le « care »2. Ici se joue, en ce sens, la dimension plus politique de la RAQ, à savoir la volonté de ses porteurs de l’inscrire dans un projet visant à « réhabiliter » le rôle des associations d’action sociale (chapitre 1), dans un contexte de contrainte budgétaire accrue pour elles, et plus largement de « chalandisation du social », pour reprendre l’analyse de Michel Chauvière3. Pour autant, cette volonté de réhabilitation du sens de l’action est traversée par une opposition structurante, parmi les acteurs associatifs concernés, entre une posture critique dénonçant frontalement les logiques comptables d’une part, et une posture plus stratégiste visant à rechercher des formes d’agencement par rapport à elles d’autre part (chapitre 2). Dans cette perspective, les auteurs insèrent également la RAQ dans une réflexion critique sur les formes de la démocratie représentative, et l’envisagent comme un moyen de réinterroger les pratiques de participation qui, à l’appui des analyses de Jacques Rancière4, doit permettre de « repenser les chemins de l’émancipation » (chapitre 8).

7Ce numéro intéressera ainsi principalement les professionnels de l’action sociale soucieux de prendre du recul vis-à-vis de leurs pratiques, et de réfléchir à la délimitation des frontières de leur travail. On regrettera néanmoins une structuration d’ensemble assez peu lisible, une certaine difficulté pour le lecteur à situer le contexte d’énonciation des auteurs, ainsi que l’absence de compte rendu formalisé des enquêtes menées sur les terrains de Laval et du Mans.

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Notes

1 Freire Paulo, L’Éducation : pratique de la liberté, Paris, Le Cerf, 1973.

2 Garrau Marie et Le Goff Alice, Care, justice et dépendance. Introduction aux théories du Care, Paris, PUF, 2010.

3 Chauvière Michel, Trop de gestion tue le social. Essai sur une discrète chalandisation, Paris, La Découverte, 2007.

4 Rancière Jacques, La haine de la démocratie, Paris, La Fabrique, 2005.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Jordan Parisse, « Jean-Jacques Schaller (dir.), « L’intervention sociale à l’épreuve des habitants », Le sujet dans la Cité, n° 2, 2013 », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 01 avril 2014, consulté le 09 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lectures/14231 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/lectures.14231

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