Gérard Monnier et Evelyne Cohen (direction), La République et ses symboles. Un territoire de signes
Texte intégral
- 1 Maurice Agulhon (dir.), Cultures et folklores républicains, Paris, Éditions du CTHS, 1995 ; La Fran (...)
1Voici encore un ouvrage qui illustre la richesse des pistes tracées par Maurice Agulhon à propos de la symbolique républicaine et des multiples formes que celle-ci a pu revêtir. L’ouvrage est formé par les actes d’un colloque réuni du 1er au 3 octobre 2008 sous le titre de Un territoire de signes. Les manifestations de la symbolique républicaine de la Révolution à nos jours, Institut national d’histoire de l’art (INHA). La publication tardive des actes, cinq ans plus tard, a permis à certains participants d’actualiser leur contribution. La République et ses symboles est dédié à Maurice Agulhon et chacune des communications se réfère à des œuvres du maître, en particulier à sa trilogie consacrée à Marianne, à tel de ses articles réunis sous le titre d’Histoire Vagabonde, I, II et III ou encore à d’autres publications semblables auxquelles cet ouvrage fait suite1. Les 37 contributeurs sont donc pour l’essentiel des émules de Maurice Agulhon ou des « disciples d’émules », tous spécialistes reconnus de l’emblématique républicaine.
2La République est un système institutionnel mais aussi un système de valeurs qui sont figurées par des symboles, des représentations visuelles, voire sonores. Les symboles ou emblèmes de la République, les deux termes étant pratiquement interchangeables dans l’usage courant comme dans l’analyse historique, relèvent du registre de l’image mais aussi de l’affectif et de l’imaginaire plutôt que de celui de la raison. Ils ont éveillé, suscité de la ferveur ou de la détestation, selon les camps. En outre ils étaient, et parfois restent, sous-tendus par un attachement à des valeurs, à des idéaux souvent tout aussi rejetés par les adversaires, avant d’être acceptés de façon consensuelle. La présente analyse des symboles de la République par les chercheurs d’aujourd’hui nous évoque parfois les propos tenus par Georges Dumézil sur les mythes : « Les mythes étaient enracinés dans les entrailles des hommes, ils en avaient besoin pour vivre, et nous les disséquons comme on découpe un poulet ». Face à face, la ferveur et l’analyse scientifique.
3La présentation générale s’ouvre par une leçon de méthode de Pascal Ory, historien « culturaliste » qui classe l’étude des symboles selon leurs fonctions, leurs formes et leur sens historique ; il insiste moins sur la ferveur et l’attachement aux symboles et valeurs politiques manifestés par des citoyens que sur le rôle joué par le pouvoir et de ses instrumentations. À sa suite, Evelyne Cohen et Gérard Monnier définissent les objectifs du colloque et, en quelques lignes, présentent chacune des 35 communications.
4Michel Vovelle (« La symbolique républicaine sous la Révolution ») et Maurice Agulhon (« La Semeuse », sa plus récente publication), ces maîtres que rapproche une longue complicité universitaire à Aix puis à Paris I, ouvrent les communications sous la rubrique « Approches initiales », un regroupement qui aurait pu s’intituler « Approches initiatiques ».
5Viennent ensuite les rubriques « Enjeux politiques », « Temps et territoires », « Architectures monumentales » et « Arts graphiques et arts appliquées ». Comme il est souligné en présentation, « aucune unité dans la réunion de ces études de cas, où l’on trouve les objets les plus inattendus [comme] les images les plus convenues » (p. 20), mais cette diversité, qu’un regroupement par thèmes cherche à ordonner, contribue à l’intérêt de l’ensemble. Pour ces études d’images, de formes, voire de sons, le regard anthropologique vient bien souvent compléter du politique et de l’esthétique. Certes une bibliographie finale et un index des noms de personnes auraient permis de révéler plus rapidement la richesse de cet ensemble. Par ailleurs certaines illustrations ne sont pas aisément utilisables, quand le noir tire sur le gris et que le blanc fait de même.
6Bien des découvertes nous sont offertes. « Enjeux politiques » : « Dérépublicaniser » l’espace public de 1799 à 1852, c’est une pratique volontariste dans l’étude de laquelle excelle Emmanuel Fureix et qu’aborde aussi Rémi Dalisson, plus marginalement quant à lui, à propos de pratiques festives républicaines modérées des années 1848-1852 ; on peut cependant regretter qu’ait été à peine effleurée la démarche antirépublicaine engagée par la France de Vichy avec l’enlèvement de la devise républicaine et le « rapt » iconoclaste de bien des statues. En revanche, Christian Beuvain analyse finement l’attitude du Parti communiste et Frédéric Cépède et Gilles Morin celle des socialistes à l’égard de la symbolique républicaine.
7Jean-Louis Crémieux-Brilhac revient sur la France Libre, avant son « tournant démocratique » amorcé en novembre 1941, laquelle manifestait des réserves à l’égard de la République et de sa devise qui rappelaient encore les faiblesses de la défunte IIIe République. En revanche, et bien sûr souterrainement et clandestinement, la « République des catacombes » (belle appellation due à Daniel Cordier) œuvrait dans la Résistance intérieure, y compris grâce à des symboles, pour créer une « République nouvelle » (Guy Krivopissko et Axel Porin).
- 2 En particulier Marie-Noële Denis, « Les monuments aux morts de la Grande Guerre en Alsace », in Jea (...)
8« Temps et territoires » : le coq, « animal politique » pourrait-on dire, figure le peuple dans la République française, en particulier la troisième du nom, et s’oppose à l’aigle, celui de Napoléon III comme celui de Guillaume II ; certes, Elisabeth Caude dans sa communication embrasse un temps plus vaste, ce qui va de soi pour un animal qui est dit « gaulois » ; il reste que ces deux phases des combats du coq, surtout face au second empereur des Français, méritaient sans doute d’être mieux soulignées. Se fondant sur plus de cent monographies communales, Jean-Noël Grandhomme analyse les spécificités des monuments aux morts érigés en Alsace-Moselle à partir de 1919, et parfois partiellement détruits entre 1940 et 1944 ; il complète ainsi des études antérieurement menées par exemple par Marie-Noële Denis2.
9Grâce à Yvon Boude et à Vincent Flauraud, bien des édiles et parlementaires découvriront que, dans les mairies, le buste de Marianne et le portrait du président, voire plus récemment une galerie de présidents, ne font ni ne firent jamais l’objet de lois, décrets ou règlements ; que leur installation n’est que le résultat d’un usage établi progressivement, et au début difficilement, jusqu’à devenir une « tradition républicaine ». Danièle Tartakowsky, avec sa communication bien illustrée (cahier couleurs en fin de l’ouvrage) décrit la Marianne de bronze venue du Cameroun pour la « ville-monde » qu’est Bobigny ; elle présente ainsi une tentative originale et réussie de revitalisation locale d’un symbole trop convenu.
10« Architectures monumentales » : d’autres signes et ornements sont analysés, en particulier le sigle RF, par Isabelle Loutrel, Gérard Monnier et Stéphane Laurent. Les organisateurs du colloque rappellent par ailleurs qu’une enquête nationale, non aboutie, portant sur ce sigle RF, avait été prévue à l’origine avant d’être relayée par ce colloque aux objectifs élargis.
11« Arts graphiques et arts appliquées » : Cloé Fontaine-Pitiot présente la « charte graphique » de la République adoptée en 1999 pour les documents administratifs de l’État. On doit à Pierre Boisard la découverte inattendue d’un « Camembert de la République » décoré de l’image de la « Semeuse » qui s’élança en 1904 à la conquête de la clientèle parisienne ; un symbole républicain entre ainsi dans la vie quotidienne sur ce support improbable. Peu après apparaît l’emblème dessiné au début du XXe siècle par le graveur Jules-Clément Chaplain puis adopté par simple circulaire du ministère des Affaires étrangères en mars 1913 ; il figure aujourd’hui sur les passeports français, mais qui y prête attention (Anne Georgeon-Liskenne) ?
- 3 Michel Pastoureau, Emblèmes de la France, Bonneton, 1998 ; Bernard Richard, Les emblèmes de la Répu (...)
- 4 Par exemple Jean-Michel Renault, Les Fées de la République, Créations du Pélican et Assemblée Natio (...)
- 5 Maurice Agulhon a rédigé plus de quarante préfaces, trace tangible de l’importance de ce qu’on a ap (...)
12C’est ailleurs que l’on trouvera des études synthétiques portant sur la symbolique républicaine3, ailleurs encore, dans des publications plus luxueuses et coûteuses, qu’on accédera à une plus riche illustration4. Cependant, les études de cas présentées ici (19 communications sur 35) sont loin d’épuiser les ressources d’un ouvrage aux multiples et prometteuses entrées, de la Révolution à nos jours, car le maître, qui excella toujours dans l’approche politico-anthropologique des représentations symboliques, ne manque pas de disciples de qualité5.
Notes
1 Maurice Agulhon (dir.), Cultures et folklores républicains, Paris, Éditions du CTHS, 1995 ; La France démocratique (combats, mentalités, symboles), Mélanges offerts à Maurice Agulhon, textes réunis et publiés par Christophe Charle, Jacqueline Lalouette, Michel Pigenet et Anne-Marie Sohn, Publications de la Sorbonne. 1998 ; La République en représentations, autour de l’œuvre de Maurice Agulhon, Publications de la Sorbonne, 2006.
2 En particulier Marie-Noële Denis, « Les monuments aux morts de la Grande Guerre en Alsace », in Jean-Noël Grandomme (dir.), Boches ou Tricolores ? Les Alsaciens–Lorrains dans la Grande Guerre, La Nuée Bleue, 2008.
3 Michel Pastoureau, Emblèmes de la France, Bonneton, 1998 ; Bernard Richard, Les emblèmes de la République, CNRS Éditions, 2012 (l’auteur du présent compte-rendu cite ici un de ses ouvrages qui est lui-même signalé dans La République et ses symboles, p. 20, par G. Monnier et E. Cohen, les deux auteurs directeurs de la publication).
4 Par exemple Jean-Michel Renault, Les Fées de la République, Créations du Pélican et Assemblée Nationale, 2002.
5 Maurice Agulhon a rédigé plus de quarante préfaces, trace tangible de l’importance de ce qu’on a appelé « l’École agulhonienne ».
Haut de pagePour citer cet article
Référence électronique
Bernard Richard, « Gérard Monnier et Evelyne Cohen (direction), La République et ses symboles. Un territoire de signes », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 10 mars 2014, consulté le 06 novembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lectures/13853 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/lectures.13853
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