Cornelius Castoriadis, Daniel Cohn-Bendit, De l'écologie à l'autonomie
Texte intégral
1La réédition de la conférence de Cornelius Castoriadis et de Daniel Cohn-Bendit sur l´écologie et l´autonomie est un acte nécessaire au lecteur souhaitant comprendre l´étroite affinité entre la pensée politique et la démarche proprement révolutionnaire. L´assemblée générale des étudiants de l´Université de Louvain-la-Neuve avait pris l´initiative de cette conférence qui s´est tenue le 27 février 1980 pour nourrir une réflexion plus générale sur les perspectives de luttes sociales engagées par le mouvement antinucléaire.
- 1 Mitchell Rogovin, Three Mile Island: A report to the Commissioners and to the Public, Volume I. Nuc (...)
- 2 Cornelius Castoriadis, Daniel Cohn-Bendit, De l´écologie à l´autonomie, Lormont, éditions Le Bord d (...)
- 3 Ibid., p. 25.
2Cette conférence est tout à la fois un dialogue théorique méticuleux et un acte militant où l´un des porte-parole de mai 68, Daniel Cohn-Bendit, rencontre l´un de ses inspirateurs pour analyser la relation entre la lutte écologiste et l´autonomie. La présentation du contexte de cette conférence soigneusement préparée par Philippe Caumières remet en perspective un certain nombre de ces problématiques qui sont encore plus actuelles aujourd’hui. L´œuvre de Cornelius Castoriadis connaît une nouvelle notoriété aujourd’hui avec la publication de ses séminaires et la réédition de ses écrits de l´époque de la revue Socialisme ou Barbarie. Cette conférence présente un intérêt historique puisqu´elle se situe en plein essor du mouvement antinucléaire. En effet, l´accident de Three Mile Island1 de 1979 est dans les esprits, mais au-delà du plaisir d´avoir une conférence comme le souligne le président de l´assemblée générale2, la rencontre est née d´une volonté de dialoguer autour des alternatives sociales possibles. Cornelius Castoriadis montre que la contestation du système capitaliste doit s´appuyer sur une compréhension en profondeur de ce type de socialisation. « Si nous voulons vraiment lutter contre le système, et aussi, si nous voulons voir les problèmes auxquels se heurte aujourd’hui par exemple un mouvement contre le mouvement écologique, nous devons comprendre une vérité élémentaire qui paraîtra très désagréable à certains : le système tient parce qu´il réussit à créer l´adhésion des gens à ce qui est. Il réussit à créer, tant bien que mal, pour la majorité des gens et pendant la grande majorité des moments de leur vie, leur adhésion au mode de vie effectif, institué, concret de cette société »3. Il existe bien des aspirations collectives au sein des différents mouvements sociaux, mais la volonté d´une alternative n´est pas toujours clairement formulée. Il importe de clarifier cette position pour pouvoir davantage mettre en lumière les contradictions internes au capitalisme bureaucratique.
- 4 Ibid., p. 55.
3S´ensuit une discussion autour des valeurs instituées par le capitalisme, le primat de la production, l´idéologie de la croissance, la consommation, la formulation de nouveaux besoins. Daniel Cohn-Bendit s´appuie davantage sur des exemples historiques de mouvements révolutionnaires en montrant que la croyance en certaines valeurs peut renverser n´importe quel type de pouvoir. En revanche, selon lui, il importe de créer une « brèche » en citant Cornelius Castoriadis et Claude Lefort pour essayer de susciter des alternatives sociales viables au capitalisme moderne4. Une brèche est une ouverture susceptible de remettre en cause l´ensemble du système.
- 5 Ibid., p. 70.
- 6 Ibid., p. 70.
- 7 Edgar Morin, Claude Lefort, Cornelius Castoriadis, La brèche suivi de Vingt ans après, Paris, Fayar (...)
4En lisant attentivement ce dialogue, on comprend en profondeur le positionnement culturaliste de Cornelius Castoriadis. « Je pense que chaque culture, toutes les cultures ont une valeur égale, ou mieux incomparable ; que, bien entendu, chaque collectivité, chaque nation, chaque peuple a à trouver sa voie ; mais aussi qu´il existe de fait, créée d´ailleurs par le capitalisme lui-même, une société mondiale et une histoire universelle dans un sens qui n´est plus simplement formel. Cette histoire universelle n´est plus simplement la somme des actes des bipèdes parlants qui ont institué des communautés en Papouasie, en Grèce, dans les forêts allemandes, en Amérique du Nord, etc., mais une histoire effectivement mondiale, contradictoirement unifiée, au sein de laquelle toutes les cultures et tous les peuples sont en interaction »5. Les cultures sont incomparables, il existe une diversité culturelle qui baigne dans une mondialisation capitaliste fondée sur les échanges et un mode de socialisation bureaucratique avec une coupure entre ceux qui dirigent ces échanges et ceux qui les subissent. Le capitalisme est un mode d´unification contradictoire entrant en collision avec d´autres modes de socialisation. Dans le même temps, il les domine ce qui fait que nous avons des syncrétismes surprenants à l´image de ce qui se passe en Iran à la fin des années 19706. Le mouvement écologique pourrait provoquer une brèche7 car le problème écologique concerne l´humanité entière. Le défi est d´arriver à décliner une remise en question du capitalisme au sein de plusieurs sociétés différentes. En d´autres termes, il faudrait créer des brèches au sein de plusieurs sociétés pour faciliter une remise en question du système capitaliste.
- 8 Cornelius Castoriadis, L´institution imaginaire de la société, Paris, éditions du Seuil, 1975, p. 5
5Si dans cette partition de réédition permanente de l´œuvre de Castoriadis, le lecteur appréciera le contact simple et efficace avec l´une des plus grandes pensées politiques et sociales de ces dernières décennies, on regrettera peut-être le fait que cet arrangement n´ait pas tenté de mettre en écho directement d´autres textes portant sur l´écologie et les événements de mai 1968. Au fond, l´arrangeur de jazz et le responsable éditorial partagent souvent la même vision qui est de faire coexister certains textes écrits à des époques différentes. Cornelius Castoriadis n´est pas un auteur qui a écrit des livres à proprement parler, mais plutôt des articles. Même son œuvre majeure de 1975, L´institution imaginaire de la société, est une composition de plusieurs textes, l´auteur le reconnaissant dans sa préface et s´en excusant auprès des lecteurs8.
- 9 Cornelius Castoriadis, « L´idée de révolution », dans Le monde morcelé, Paris, éditions du Seuil, 1 (...)
6Nous avons la thèse de départ, le chorus, à savoir la recherche de l´autonomie puis l´improvisation sur ce thème qui à chaque fois augmente et renforce la thèse initiale. L´arrangement éditorial gagnerait à aller plus loin en faisant coexister des textes portant sur mai 68 et sur les révolutions9. La conférence de Daniel Cohn-Bendit et de Castoriadis aurait mérité d´inaugurer la réédition de ces textes pour accéder en profondeur au développement d´une pensée essentielle à la compréhension de notre époque. La conférence à elle seule ne suffit peut-être pas à rendre compte de l´incroyable privatisation de nos sociétés qui condamne par avance toute alternative politique durable. Elle n´en demeure pas moins une introduction essentielle.
Notes
1 Mitchell Rogovin, Three Mile Island: A report to the Commissioners and to the Public, Volume I. Nuclear Regulatory Commission, Special Inquiry Group, 1980.
2 Cornelius Castoriadis, Daniel Cohn-Bendit, De l´écologie à l´autonomie, Lormont, éditions Le Bord de l´eau, 2014, p. 20.
3 Ibid., p. 25.
4 Ibid., p. 55.
5 Ibid., p. 70.
6 Ibid., p. 70.
7 Edgar Morin, Claude Lefort, Cornelius Castoriadis, La brèche suivi de Vingt ans après, Paris, Fayard, 2008.
8 Cornelius Castoriadis, L´institution imaginaire de la société, Paris, éditions du Seuil, 1975, p. 5.
9 Cornelius Castoriadis, « L´idée de révolution », dans Le monde morcelé, Paris, éditions du Seuil, 1990, pp. 155-171. « Réflexions sur le "développement" et la "rationalité" », dans Domaines de l´homme, Paris, éditions du Seuil, 1986, pp. 131-174.
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Référence électronique
Christophe Premat, « Cornelius Castoriadis, Daniel Cohn-Bendit, De l'écologie à l'autonomie », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 25 février 2014, consulté le 01 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lectures/13762 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/lectures.13762
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