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AFFUTS - Association française pour le dévelopement de la recherche en travail social (dir.), Quels modèles de recherche scientifique en travail social ?

Charlène Charles
Quels modèles de recherche scientifique en travail social ?
AFFUTS - Association française pour le dévelopement de la recherche en travail social (dir.), Quels modèles de recherche scientifique en travail social ?, EHESP, coll. « Politiques et interventions sociales », 2013, 272 p., ISBN : 978-2-8109-0124-1.
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Texte intégral

1L’ouvrage est le résultat de trois cycles de séminaires organisés à l’initiative de l’association française pour le développement de la recherche en travail social (AFFUTS). Il vise à approfondir les liens entre travail social et recherches scientifiques en posant plus particulièrement la question de la constitution du travail social comme discipline à part entière. Les quinze contributions interrogent les conditions d’émergence de cette discipline dans le contexte français, d’un point de vue tant académique que scientifique.

  • 1 Leplay E. (2007). « Le travail social, discipline pratique et discipline d’enseignement professionn (...)

2L’ouvrage permet d’abord de saisir les bénéfices mais aussi les limites de l’institutionnalisation d’une discipline « travail social » en France. Le travail social est une branche professionnelle ayant comme activité « la transformation des situations sociales », où règnent des problèmes sociaux, pour reprendre les propos de l'AFFUTS. Les acteurs de terrain et les travailleurs sociaux ont produit, grâce à leurs interventions, un certain nombre de savoirs praxéologiques et théoriques. C’est précisément ces savoirs que l’AFFUTS veut faire reconnaître et légitimer au sein d’une « discipline pratique et d’enseignement professionnel supérieur »1. Claude De Jonckheere, postulant qu’une discipline existe quand elle se distingue des autres, explique que le contenu, les méthodes et les objets du travail social mériteraient d’être clarifiés afin de délimiter un « champ d’activités relativement autonome ». Sans un stock de connaissances clairement établi et le soutien institutionnel nécessaire, Michel Chauvière estime qu’un tel projet resterait vain. En France, la chaire de travail social du CNAM, sous la direction de Marcel Jaeger, tente de produire les conditions de cette émergence avec son master en travail social et la création d’un doctorat. Toutefois, l’initiative reste relativement isolée. Pour Marcel Jaeger et Brigitte Bouquet, cette institutionnalisation est nécessaire pour faciliter la circulation des savoirs entre la formation, l’élaboration théorique et l’action sociale. Un espace comme celui du CNAM offre un lieu de distanciation pour créer des connaissances sur l’intervention sociale autant que pour permettre aux acteurs de terrain de s'approprier des savoirs utiles à l’action. Autrement dit, une telle démarche est une condition d’amélioration non seulement des pratiques professionnelles mais aussi de la recherche scientifique en travail social. En revanche, pour Claude De Jonskheere, l’institutionnalisation comporte le risque d’une réification des pratiques qui ferait du travail social un instrument de contrôle ou, pour reprendre les propos de Michel Chauvière, qui le ferait basculer vers le dogmatisme.

3Plusieurs contributions s’inscrivent dans une démarche de comparaisons internationales, visant à décentrer le propos du contexte français pour éclairer les enjeux avec un autre point de vue. L’article d’Annamaria Campanini propose un tour d’horizon de la recherche en travail social en Europe. Celui d’Adrian Adams porte, plus spécifiquement, sur l’approche britannique et met au jour des réflexions et des constructions théoriques du travail social différentes de celles qui ont cours en France. On y apprend que le travail social est reconnu en Grande Bretagne comme une discipline universitaire depuis le XXe siècle. Longtemps ancrée dans une tradition imprégnée par la psychanalyse ou le marxisme, la réflexion sur le travail social a évolué plus récemment vers un modèle empiriste et rationnel : « le travail social basé sur des données probantes » (développé dans l’ouvrage par Christine Bon). L’auteur suggère que, pour maintenir une certaine forme d’autonomie à la discipline du travail social et déjouer les tentatives d’instrumentalisation, les professionnels doivent rester critiques vis-à-vis des connaissances scientifiques mais aussi des méthodes systématiques. Ce sont des outils qu’il est nécessaire d’adapter aux situations sociales particulières. Des articles proposent également des comparaisons avec d’autres disciplines hybrides, comme les sciences de l’éducation, la santé publique ou les sciences infirmières, en retraçant leurs parcours d’institutionnalisation. Daniel Verba et Francis Danvers posent la question de la place fragile de ces nouvelles venues dans le champ académique. Constitué à la croisée entre plusieurs disciplines, le travail social pourra-t-il fonder une unité, une spécificité et une légitimité à son existence en tant que discipline ou va-t-il venir s’ajouter aux disciplines qui ont du mal à faire leur place ?

4Plus largement, la création d’une discipline académique « travail social » amène la question de la recherche dans ce domaine et de ses critères de scientificité. Si les auteurs de l’ouvrage s’accordent pour reconnaître l’importance d’un lien entre le travail social et les sciences principalement sociales, certains d’entre eux développent les modalités d’une recherche « sur » le travail social tandis que d’autres préconisent une recherche « en » travail social. Pour les premiers, la recherche doit rester l’apanage des disciplines académiquement instituées. En effet, l’intervention sociale constitue un objet de recherche en tant que tel, ayant déjà donné lieu à de nombreux travaux scientifiques. L’objectif consiste davantage à affiner les conditions épistémologiques d’une recherche à même de saisir l’autonomie politique, l’unité et l’identité propre du travail social, selon Jean-Yves Dartiguenave. C’est donc l’objet de la « sociologie du travail social » qu’il défend, mêlant à la fois des dimensions cliniques et sociologiques pour sortir de la dichotomie entre le singulier et le général. Dans une autre perspective, Michel Chauvière propose une approche socio-historique pour sortir de l’empirisme et se distancier des enjeux du terrain. Dans la seconde optique, l’AFFUTS défend la figure d’un « praticien chercheur », un acteur de terrain producteur de savoirs, pour dépasser les ruptures entre pratiques et théories, savoirs professionnels et savoirs scientifiques. Cette remise en cause d’une science hégémonique marque une volonté de reconnaître la place particulière des travailleurs sociaux, en prise directe avec le terrain, et de valoriser leurs capacités d’analyse. Mieux appréhender le couplage théorie/pratique, utiliser l’action pour la théorie et la théorie pour l’action, sont des idées qui illustrent l’optique pragmatiste développée par Claude De Jonckheere. Toutefois, si recherche en travail social il y a, elle ne peut s’élaborer en dehors des critères de scientificité académiquement admis, ce que rappellent, entre autres, Brigitte Bouquet, Marcel Jaeger et Michel Chauvière. De plus, ils soulignent la difficulté à penser une véritable recherche en travail social sans prendre en compte la position particulière qui est celle de l’AFFUTS ou, plus largement, celle des travailleurs sociaux pris dans des enjeux institutionnels, politiques, affectifs et de pouvoir.

5D’autres auteurs explorent le lien entre science et travail social dans une perspective de formation. Les pratiques de terrain des travailleurs sociaux sont adossées à une base scientifique pluridisciplinaire, allant de la psychanalyse à la sociologie en passant par le droit social et l’histoire, dont la construction relève d’une forme de « bricolage ». D’un certain point de vue, les travailleurs sociaux peuvent puiser dans les réflexions théoriques de précieux outils pour leurs interventions sociales. Mais comment transposer la théorie en outils pratiques pour l’action sociale ? Quelles sont les conditions d’une véritable appropriation des savoirs par les acteurs de terrain ? Margarit Cohen-Emerique rapporte une expérience originale de formation à « l’approche interculturelle » auprès de travailleurs sociaux, avec la méthode « des chocs culturels ». Celle-ci offre des conditions plus propices à la transmission de savoirs sur les migrants, en accompagnant les étudiants dans un travail de terrain approfondi. D’un autre point de vue, même si la science peut éclairer des dimensions de l’intervention sociale, c’est aux professionnels de rendre intelligibles « les aspects processuels mis en œuvre dans l’action », explique l’AFFUTS, pour en dégager des savoirs sur l’action. Pour Marc Durand et Isabelle Vinatier, telle est la condition d’une véritable appropriation des connaissances. Dans une optique de formation, ils proposent différentes démarches pour accompagner les professionnels dans la formalisation de ces savoirs sur leurs activités. À titre d’exemple, Isabelle Vinatier propose un dispositif « d’analyse des pratiques » de co-élaboration entre praticiens et chercheurs, qu’elle nomme « dispositif de co-explication ».

6À l’issue de la lecture, on saisit bien la nécessité de développer les liens entre travail social et recherche en délimitant un champ, des méthodes et en accumulant un stock de connaissances. L’ouvrage nous donne également une vision d’ensemble des débats actuels qui animent le secteur. Néanmoins, face à l’hétérogénéité des approches et des perspectives, on a du mal à avoir une vision claire de ce que pourrait être la discipline « travail social ». Les quinze contributions ne dialoguent que trop peu sur leurs divergences ou sur leurs points communs pour permettre aux lecteurs de saisir une unité dans la discipline, ses méthodes et son approche épistémologique. Selon les points de vue des auteurs, leurs intérêts scientifiques ou leur position institutionnelle (formateurs en travail social, chercheurs de différentes disciplines ou professionnels de la santé), la question se déplace sans cesse. Par ailleurs, à cette complexité s’ajoute une difficulté liée à la variété de ce que recouvre le travail social en termes d’activités, de missions, de publics, de pratiques et de lieux d’exercice. L’AFFUTS définit « l’intervention sociale » comme un objet de recherche bien délimité mais une interrogation persiste sur ce qu’elle désigne concrètement et sur la multiplicité des formes qu’elle peut prendre.

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Notes

1 Leplay E. (2007). « Le travail social, discipline pratique et discipline d’enseignement professionnel supérieur, un champ de recherche scientifique à développer », Forum, n° 118, « De la recherche à la production de connaissances : quelles évolutions ? ».

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Pour citer cet article

Référence électronique

Charlène Charles, « AFFUTS - Association française pour le dévelopement de la recherche en travail social (dir.), Quels modèles de recherche scientifique en travail social ? », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 25 février 2014, consulté le 10 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lectures/13748 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/lectures.13748

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Rédacteur

Charlène Charles

Doctorante/monitrice à l’Université de Paris 7 Denis Diderot en sociologie (Laboratoire de Changement Social et Politique) et éducatrice spécialisée

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