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Louise Carignan, Marc Fourdrignier (dir.), Pratiques réflexives et référentiels de compétences dans les formations sociales

Sébastien Paul
Pratiques réflexives et référentiels de compétences dans les formations sociales
Louise Carignan, Marc Fourdrignier (dir.), Pratiques réflexives et référentiels de compétences dans les formations sociales, Québec, Presses de l'université du Québec, 2013, 170 p., Préface de Dr Jocelyn Lindsay, ISBN : 978-2-7605-3875-7.
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Texte intégral

1Quels sont les effets de l’apparition des référentiels de compétences dans la formation des travailleurs sociaux ? Les différentes contributions qui constituent cet ouvrage collectif proposent de décliner cette interrogation en questionnant les modalités de formation de ces futurs professionnels. Le secteur social est fortement marqué par une démarche de formation centrée sur la « pratique réflexive », au sens de Donald Schön, c’est-à-dire sur l’analyse critique que le travailleur social en formation pose sur son expérience personnelle. Comment concilier dans le processus de formation cette réflexivité, comme moteur de professionnalisation, avec une démarche d’acquisition de compétences ? Les formations aux métiers du social s’appuient également sur l’alternance comme mode privilégié d’acquisition d’une professionnalité. Les formateurs des centres de formation comme les formateurs sur les lieux de stage modifient-ils leur pratique de transmission du métier en raison de l’apparition des référentiels de compétences ? De manière plus générale, quels sont les risques inhérents à l’introduction d’une logique compétence dans les processus de formation ? Tout au long des huit chapitres de l’ouvrage, les auteurs développent ces questionnements à partir d’études portant sur trois espaces francophones : le Québec, la Suisse et la France.

2Dans le premier chapitre, Marc Fourdrignier présente l’injonction paradoxale qui émerge de la mobilisation conjointe, en formation initiale, d’un référentiel de compétences et d’une démarche d’acquisition d’un savoir professionnel par la « pratique réflexive ». Cette injonction se retrouve au niveau des principes comme au niveau de la pratique. Sur le plan des principes, le hiatus naît de la différence entre la reconnaissance chez les futurs professionnels de compétences relevant d’une forme de généralité et une pratique de formation reposant sur la réflexivité et mobilisant en premier lieu l’expérience individuelle. Si le référentiel peut favoriser la constitution d’un langage commun entre les différents acteurs de la formation des travailleurs sociaux, la manière dont ceux-ci le mobilisent peut-être discutable. Issu d’une construction sociale marquée par des compromis, il ne peut avoir qu’une valeur indicative et non pas normative. Autrement dit, « le référentiel n’est pas le réel ». Il ne peut donc regrouper à lui seul l’ensemble des pratiques professionnelles des travailleurs sociaux. Des tensions peuvent également émerger d’un point de vue pratique au moment des stages de terrain. Les formateurs des centres de formation et les professionnels qui accueillent les stagiaires ne partagent pas nécessairement une connaissance équivalente des référentiels de compétences. La base de leur collaboration peut donc devenir plus incertaine.

3Le deuxième chapitre, développé par Louise Carignan, explore d’un point de vue théorique la contradiction entre les deux approches. Revendiquant une approche socioconstructiviste, Louise Carignan insiste sur l’écart entre pratique réflexive et référentiel de compétences. Là où la mobilisation de la pratique réflexive en formation permet au futur professionnel de faire face à la complexité des situations et « d’affirmer son identité professionnelle tout en sachant l’adapter aux contextes », les référentiels de compétences souffrent du manque de clarté de leurs références théoriques et du risque de devenir des instruments de contrôle du travail social par les employeurs et l’État. De plus, une formation en travail social s’appuyant sur la réflexivité intègre une dimension éthique, comme le respect des droits, difficile à circonscrire dans le cadre d’un référentiel. L’auteure conclut sur l’incompatibilité entre « l’approche comportementaliste des référentiels de compétences » et l’approche par la pratique réflexive, qui pense la formation comme « possibilité de la construction, de la déconstruction, et de la reconstruction de la connaissance et de la compétence du formé dans et par l’activité de formation ».

4Le troisième chapitre, de Carine Dierckx, porte un regard tout aussi critique sur la mise en œuvre des référentiels de compétences dans les formations en travail social. L’auteure les considère comme un avatar de la raison instrumentale, définie comme « raison calculante centrée sur les moyens ». S’appuyant sur les travaux philosophiques de Charles Taylor qu’elle présente longuement dans l’article, Carine Dierckx e insiste sur l’importance des « horizons de sens ». Bien que la raison instrumentale soit une tendance lourde de notre modernité, les résistances des professionnels du secteur social ont limité les effets de ces référentiels de compétences. Ainsi un référentiel « peut être légitime comme aliénant : cela dépend de sa capacité à faire référence pour les acteurs en situation ».

5En considérant les référentiels de compétences comme des constructions politiques, l’article d’Yvette Molina entre en résonance avec les propos du texte précédent. À partir du cadre théorique de la sociologie des professions, elle définit le référentiel comme « un outil politique de recomposition des groupes professionnels par la définition donnée aux activités de travail ». Ce travail de régulation connaît des limites à la fois dans sa mise en forme et dans son application. Du point de vue de la mise en forme, la création d’un tel référentiel peut être intéressante pour analyser l’image que souhaite donner un groupe professionnel de ses activités. Il est cependant illusoire de croire que les groupes professionnels ont une identité unique. Au niveau de la mise en œuvre, il apparaît que les professionnels qui accueillent des étudiants en stage ne mobilisent pas ces référentiels comme outil de référence de leurs évaluations, comme cela ressort de l’analyse de monographies d’étudiants assistants sociaux.

6Dans le cinquième chapitre, Marc Jean s’interroge sur le type d’intervenant en travail social qui est formé actuellement. S’agit-il d’un acteur ou d’un exécutant ? Pour lui, la pratique réflexive permet aux futurs professionnels d’être acteurs de leur formation. Cette pratique permet de développer son potentiel et de devenir plus autonome. Assortie d’une perspective éthique, elle permet également d’aider les étudiants à questionner la place accordée à l’Autre dans la relation. À l’inverse, le professionnel qui recherche la conformité au référentiel de compétences aura « la conviction que le tour des compétences a été fait à partir du moment où ce dernier lui a été présenté de façon magistrale et qu’il lui reste à devenir exécutant de ces mêmes compétences ».

7Joëlle Libois et Françoise Tschopp s’interrogent dans le sixième chapitre sur les orientations à donner à la formation des travailleurs sociaux, à partir de leur expérience dans le système de formation suisse. Les modifications de la formation ont abouti à la définition de différents degrés de certification caractérisés par des référentiels de compétences spécifiques. La formation au plus haut niveau de certification est traversée par une tension exagérée entre théorie et pratique. Comment former des professionnels pour qu’ils acquièrent à la fois les savoirs pratiques nécessaires pour intervenir sur le terrain et des savoirs théoriques ? À partir des apports de la didactique professionnelle, l’analyse de l’activité apparaît comme une réponse satisfaisante. Prendre des situations clés comme points de départ de la formation permet à la fois de saisir ce qui ordonne la situation et le caractère imprévisible, singulier de celle-ci tout en se dégageant des référentiels de compétences et de leur prescription comme des vérités absolues.

8Dans l’avant-dernier chapitre, Daniel Turcotte présente quelques éléments de réflexion sur l’introduction des référentiels de compétences dans la formation des travailleurs sociaux au Québec. L’auteur note que ces référentiels sont critiqués parce qu’ils ne permettent pas d’intégrer le sens du travail social et les valeurs qui y sont associées. De plus, ceux-ci, centrés sur les tâches, évaluent davantage la performance de l’étudiant que l’acquisition d’un savoir. Malgré ces critiques, il considère qu’ils ne sont pas incompatibles avec la pratique réflexive et peuvent même la favoriser. Dès lors que les formateurs acceptent que « la réalité est toujours plus complexe que les modèles », le référentiel de compétences peut permettre d’améliorer la formation des futurs professionnels.

9Dans le dernier chapitre, Patricia Vallet mobilise son expérience de formatrice pour questionner l’impact de l’introduction des référentiels de compétences dans les formations aux métiers du social. S’appuyant sur une approche clinique, elle précise qu’une démarche centrée sur les référentiels s’intéresse exclusivement aux activités visibles et valorise davantage le « faire » que l’« être ». Or, la formation en travail social est d’abord un processus de transformation identitaire basé sur une activité relationnelle d’échange entre le formateur et l’étudiant. L’auteure questionne alors la place de ces référentiels : pertinents dans leur dimension descriptive du travail, ils sont, à ses yeux, beaucoup plus discutables lorsqu’ils prennent une dimension prescriptive.

10Au final, cet ouvrage met en évidence à la fois les changements importants que connaît la formation professionnelle dans le secteur social et la dimension internationale de ces changements. Les différentes contributions montrent que si les référentiels de compétences sont partout présents, ils ne sont pas unanimement acceptés. L’enjeu pour les acteurs de la formation des travailleurs sociaux porte sur la place qu’ils vont accorder à ces référentiels dans les processus de formation. S’ils reconnaissent que les référentiels peuvent améliorer les formations existantes, ils refusent cependant leur caractère prescriptif et insistent leur incapacité à dire l’essentiel de ce qui fait le travail social.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Sébastien Paul, « Louise Carignan, Marc Fourdrignier (dir.), Pratiques réflexives et référentiels de compétences dans les formations sociales », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 31 janvier 2014, consulté le 09 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lectures/13443 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/lectures.13443

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Rédacteur

Sébastien Paul

Docteur en sciences de l’éducation, chargé d’insertion professionnelle dans un établissement médico-social

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