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La gouvernance de la Sécurité sociale. Une institution en quête de régulation

Igor Martinache
La gouvernance de la Sécurité sociale
« La gouvernance de la Sécurité sociale. Une institution en quête de régulation », Problèmes politiques et sociaux, n° 979-980, 2010, La Documentation française.
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Texte intégral

  • 1 Sur la porosité entre agents politiques et administratifs, voir notamment, dans le cas des « politi (...)

1On ne peut pas dire que le système de Sécurité sociale soit marginalisé dans le débat public, surtout au cours des dernières années. Et pourtant, les (vifs) débats qui entourent les projets de « réforme » successifs, concernant notamment les régimes d'assurance-vieillesse ou maladie, laissent largement de côté la question de la manière dont celle-ci est administrée. Et pourtant, cet aspect est aussi déterminant que complexe et évolutive. En témoignent les affrontements feutrés 1 auxquels celle-ci a régulièrement donné lieu depuis la mise en place du régime général de Sécurité sociale en octobre 1945. Telle est donc la question que se propose d'explorer ce numéro (double) de Problèmes politiques et sociaux, coordonné par Gilles Nesozi. Conformément à l'esprit de cette publication, dont la dimension officielle ne doit pas être perdue de vue, celui-ci s'est donc appliqué à rassembler un ensemble d'extraits de textes de diverses natures (ouvrages de recherche, articles « scientifiques », mais aussi rapports officiels, articles de presse, etc.). Comme souvent également, cette profusion de points de vue se fait cependant au prix de la brièveté des textes, qui laissent parfois le lecteur sur sa faim, ou serait-on tenté de dire sa soif, celui-ci n'ayant plus qu'à aller s'abreuver à la source originale pour l'étancher...

  • 2 Le terme de « gouvernance », s'il est défini ici en reprenant Jean-Claude Gaudin, est aussi problém (...)
  • 3 Voir notamment sur ces enjeux les écrits de Bernard Friot, dont le dernier ouvrage en date : L'enje (...)

2Ces différents fragments sont ainsi organisés en trois parties principales : la première revient sur l'histoire – mouvementée- de ce « gouvernement » 2 du régime de Sécurité sociale, et permet de revenir sur les ambitions initiales de celui-ci, à commencer par la mise en œuvre d'une exigeante « démocratie sociale » où l'ensemble des assurés aurait leur mot à dire sur l'administration du système. C'est cette volonté d'autonomie qui a justifié la mise en place d'une gestion paritaire à l'origine, c'est-à-dire mettant en scène les partenaires sociaux – syndicats de salariés et organisations patronales, tandis que les premières élections dans les conseils d'administration en 1947 et 1950 se faisaient selon Pierre Laroque lui-même, « non pas les qualités techniques des candidats, mais sur des programmes de politique sociale » (p.22). Très vite cependant, l'État a repris de fait le contrôle effectif du régime à travers plusieurs réformes émanant directement du pouvoir exécutif : le décret du 12 mai 1960, d'abord, qui a encadré largement les conditions de nomination des agents de direction : ceux-ci ne peuvent désormais qu'être choisis que parmi les inscrits sur la liste d'aptitude établie par le ministère, et que quatre cinquièmes de ces derniers devaient du reste avoir été formés au sein du nouveau Centre national d'études supérieur de la Sécurité sociale (CNESS). Mais ce sont surtout les ordonnances de 1967 qui ont joué un rôle déterminant dans l'évacuation de l'objectif de démocratie sociale, en séparant le régime en quatre caisses nationales (les fameuses branches) dont le directeur, nommé en conseil des ministres, possède lui-même un important pouvoir de contrôle sur les caisses locales dont il nomme pratiquement seul les directeurs. Les conseils d'administration, qui perdront d'ailleurs cette appellation, se voient ainsi de fait vidés d'une grande partie de leur substance, tandis que deux autres évolutions vont parallèlement jouer un rôle majeur : l'implication croissante du Parlement dans la gestion de la caisse, entérinée par le plan Juppé de 1995-1996, qui instaure entre autres le vote annuel par celui-ci de la loi de financement de la Sécurité sociale (LFSS) ; et la fiscalisation progressive du financement de la protection sociale (avec la création de la CSG (Contribution sociale généralisée) en 1991 et de la CRDS (Contribution au remboursement de la dette sociale)). Cette partie s'achève justement par une mise en discussion de la fiscalisation croissante du financement de la protection sociale. Loin de se réduire à une simple question technique – de l'aveu même de Michel Rocard, « la CSG n'a été créée en aucune manière pour combler le déficit » (p.39)-, celle-ci renvoie non seulement à l'ampleur des allégements de cotisations sociales, dont le principe comme l' « efficacité » (au regard des objectifs de création d'emplois affichés) sont largement remis en question 3, mais contribue également à marginaliser encore davantage les partenaires sociaux dans l'administration des caisses au profit des parlementaires. Ce qui, du point de vue de Rémi Pellet, n'affaiblirait toutefois pas la démocratie sociale comme l'affirment certains, mais tout au contraire la renforcerait.

  • 4 Sur la dimension éminemment politique des instruments et autres indicateurs, voir notamment l'ouvra (...)
  • 5 Pour reprendre l'expression de Pierre Muller (Les politiques publiques, Paris, PUF, 1990). Voir aus (...)
  • 6 L'esprit de Philadelphie, Paris, Seuil, 2010
  • 7 La montée des incertitudes, Paris, Seuil, 2009

3Après ce panorama général, la deuxième partie est consacrée pour sa part à l'introduction des instruments de la « nouvelle gestion publique » (ou New Public Management) et des nouvelles représentations qu'ils charrient avec eux 4. Ancienne directrice de la Sécurité sociale, Roseline Ruellan explique ainsi comment on y est passé depuis 1945 du contrôle a priori au contrôle a posteriori puis aujourd'hui à l'évaluation des « résultats » comme des personnes. Mais le changement impliqué par la nouvelle gestion publique est plus profond, et constitue un véritable changement de philosophie qui substitue au respect des règles la fixation et l'atteinte d'objectifs de « performance », la contractualisation au recrutement sur concours, et aux citoyens des usagers (considérés comme des clients qu'il s'agit significativement d'« accueillir » - ce qui implique qu'ils sont bel et bien perçus comme extérieurs à l'institution...). En un mot, on est ainsi passé à un « référentiel de marché » 5. S'ensuit une présentation officielle des « programmes de qualité et d'efficience » ainsi prévus désormais par le PFLSS, et des « conventions d'objectifs et de gestion », telles que définies par les articles L.227-1 et L.227-2 du Code de la Sécurité sociale. Un extrait du dernier ouvrage d'Alain Supiot 6 est ensuite proposé pour critiquer les effets de cette nouvelle gestion publique, le juriste remarquant, non sans ironie, qu' « ainsi conçus, les indicateurs de politique publique procèdent de la même démarche dogmatique que celle des indicateurs de la planification soviétique et sont gros des mêmes effets : orienter l'action vers la satisfaction des objectifs quantitatifs plutôt que des résultats concrets, et masquer la situation réelle de l'économie et de la société à une classe dirigeante déconnectée de la vie de ceux qu'elle dirige » (p.67). Un constat partagé par un ancien directeur de caisse d'allocations familiales, qui témoigne pour sa part des « dérives » qu'il a pu expérimenté dans la mise en œuvre des conventions d'objectifs et de gestion, parlant également de « soviétisation », notamment dans le traitement des carrières. Plus profondément encore, c'est bien l'activation des politiques sociales qui est ici mise en question, avec son caractère d'injonction paradoxale à l'autonomie, comme le rappelle un extrait tiré du dernier ouvrage de Robert Castel 7.

4Ces indicateurs s'accompagnent également d'un redéploiement institutionnel, dont le fait saillant est incontestablement marqué par la création des agences régionales de santé (ARS) dans le cadre de la loi du 13 juillet 2009 (dite « Hôpital, patients, santé, territoires » (HPST)), qui sont au cœur des textes réunis à la fin de cette partie. Les différents auteurs s'interrogent ainsi sur les conséquences de cette régionalisation, concernant notamment la place de l'État ou réciproquement, l'opportunité de renforcer les réseaux entre les différents organismes de Sécurité sociale à l'échelle locale. Justement, la troisième partie est consacrée aux réformes successives pour mettre en œuvre une meilleure « régulation » du système de protection sociale. Le premier article de Jean-Luc Matt propose un utile panorama de cette organisation complexe en passant en revue les différents régimes de retraite et leur genèse respective. Vient ensuite un extrait du rapport annuel de l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) pour 2009 qui revient notamment sur la question des restructurations des réseaux à l'échelle locale. Deux articles récapitulent ainsi les « réformes » successives qui ont été appliquées au système de retraite, où, comme pour l'assurance-maladie, la « maîtrise des dépenses » s'est érigé comme objectif premier, occultant quelque peu les autres, démocratie sociale en tête. Pour autant, le fameux ONDAM (objectif national des dépenses d'assurance maladie), désormais fixé par le Parlement et plus le seul gouvernement depuis la réforme Juppé, reste dépassé, ce qui incite à voir de plus près ce qu'il en est des différents acteurs intervenant dans cette « régulation ». Au-delà de la tension entre État et partenaires sociaux, qui a connu un épisode important en 2001 avec le départ des représentants du Medef des conseils d'administration des caisses, sont impliqués les acteurs de la couverture médicale complémentaire, réunis désormais dans l'UNOCAM (Union des organismes complémentaires d'assurance maladie) qui a un rôle consultatif dans le dispositif depuis 2004, mais aussi et surtout les médecins libéraux, dont les intérêts sont assez évidents et bien représentés, en dépit d'une relative fragmentation « syndicale ». Patrick Hassenteufel montre ainsi bien comment ces derniers savent faire entendre leurs intérêts, et éviter, en dépit de leur position problématique de prescripteurs, de toute « responsabilisation » - avec les sanctions initialement prévues-, celle-ci étant réservé aux seuls malades... Le rôle des laboratoires pharmaceutiques dans cette régulation serait de même à examiner plus précisément, comme l'a encore rappelé la récente affaire du « Médiator ». Reconstituer la configuration des acteurs et leurs influences respectives est en soi une tâche fondamentale – dans tous les sens du terme-, comme l'y invitent les articles restants, portant sur l'émergence d'une « élite du Welfare » de « gestionnaires » administratifs autonomes, sous la plume de William Genieys, des associations familiales ou même de celles de...consommateurs. Se pose au final à nouveau la question de la place des « usagers » dans ce dispositif complexe, autrement dit de la « démocratie sociale ». Bref, retour à la case départ en quelque sorte, mais avec au passage un rabotage profond des ambitions initiales...

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Notes

1 Sur la porosité entre agents politiques et administratifs, voir notamment, dans le cas des « politiques » migratoires, le travail de Sylvain Laurens (Une politisation feutrée, Paris, Belin, 2009)

2 Le terme de « gouvernance », s'il est défini ici en reprenant Jean-Claude Gaudin, est aussi problématique que symptomatique de l'air du temps, où l'on confond allégrement gouvernement politique et gestion des entreprises privées. Un glissement langagier qui, comme bien d'autres est loin d'être anodin... Sur cette question, voir notamment les travaux de Josiane Boutet (par exemple Le pouvoir des mots, Paris, La Dispute, 2010), ou encore l'exercice de « désintoxication langagière » proposé par Franck Lepage dans ses conférences gesticulées (voir le site de la SCOP « Le Pavé » dont il fait partie : www.scoplepave.org)

3 Voir notamment sur ces enjeux les écrits de Bernard Friot, dont le dernier ouvrage en date : L'enjeu des retraites (Paris, La Dispute, 2010)

4 Sur la dimension éminemment politique des instruments et autres indicateurs, voir notamment l'ouvrage collectif dirigé par Pierre Lascoumes et Patrick Le Galès, Gouverner par les instruments (Paris, Presses de Sciences-po, 2004), les travaux d'Alain Desrosières, entre autres les deux recueils d'articles intitulés Gouverner par les nombres (Paris, Presses de l'Ecole des Mines, 2008), et pour une illustration concernant le champ de la recherche dans l'Union Européenne, Isabelle Bruno, A vos marques, prêts, cherchez ! (Bellecombe-en-Bauges, Le Croquant, 2008)

5 Pour reprendre l'expression de Pierre Muller (Les politiques publiques, Paris, PUF, 1990). Voir aussi Bruno Jobert (dir.), Le tournant néo-libéral en Europe, Paris, L'Harmattan, 1994

6 L'esprit de Philadelphie, Paris, Seuil, 2010

7 La montée des incertitudes, Paris, Seuil, 2009

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Pour citer cet article

Référence électronique

Igor Martinache, « La gouvernance de la Sécurité sociale. Une institution en quête de régulation », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 30 mars 2011, consulté le 11 octobre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lectures/1332 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/lectures.1332

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