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Naissances de la géographie moderne (1760-1860). Lieux, pratiques et formation des savoirs de l'espace

Yann Calbérac
Naissances de la géographie moderne (1760-1860)
Jean-Marc Besse, Hélène Blais, Isabelle Surun (dir.), Naissances de la géographie moderne (1760-1860). Lieux, pratiques et formation des savoirs de l'espace, ENS Éditions, series: « Sociétés », 2010.
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1ATER à l’Université Paris-Sorbonne (IUFM de Paris) UMR 8185 ENeC]]

  • 1 Citons notamment : Blais, H. et Laboulais, I. (dir.) (2006). Géographies plurielles. Les sciences g (...)

2Un ouvrage collectif (coordonné par Jean-Marc Besse, Hélène Blais et Isabelle Surun) Naissances de la géographie moderne (1760-1860). Lieux, pratiques et formation des savoirs de l’espace vient enrichir nos connaissances sur la formalisation des savoirs géographiques durant les XVIIIe et XIXe siècles. Ses auteurs poursuivent ainsi l’exploration d’un champ qu’ils ont déja balisé1, et complètent en amont les connaissances bien établies sur l’institutionnalisation de la géographie dans le paysage académique à la fin du XIXe siècle, et sur l’essor de cette discipline scientifique tout au long du XXe siècle. Ce changement de focale n’induit pas seulement la prise en compte de nouvelles temporalités dans l’appréhension des dynamiques des savoirs géographiques, mais oblige au contraire à repenser en profondeur la conception que l’on se fait de la géographie, à questionner des enjeux historiographiques et épistémologiques et à proposer des sources inédites et de nouvelles méthodes pour les exploiter.

3C’est la géographie envisagée comme un savoir (c’est-à-dire des connaissances formulées et mobilisées à des fins pratiques) et non plus seulement comme une science (à visée purement spéculative) qui est étudiée ici : l’accent est mis sur « les nombreux débats au sein des mondes académiques, scolaires et professionnels, sur la nature du savoir géographique, sur son identité et sur les fonctions sociales de la géographie » (p. 7). Les auteurs refusent donc l’approche internaliste qui consisterait à limiter les savoirs scientifiques à leurs seuls contenus cognitifs, sans prendre en compte leurs supports, les contextes de leur énonciation et de leur réception : ils cherchent au contraire à historiciser ces savoirs, à comprendre le rôle des acteurs et des institutions dans leur formulation, leur mise en circulation et la demande sociale dont ils ont bénéficié.

4Cela oblige ainsi à abandonner nos critères contemporains de la scientificité pour appréhender la diversité et la pluralité des fabriques géographiques de l’époque. Les contributions réunies dans cet ouvrage reposent en effet sur l’hypothèse de la différenciation : loin d’êtres uniformes, « les savoirs auxquels cette ‘géographie’ renvoie se caractérisent par une sorte de foisonnement parfois contradictoires des formes qu’ils adoptent, des pratiques dont ils sont l’expression, des intentions qui les animent, voire des parcours individuels qui les portent » (p. 7). Comme le pluriel du titre de l’ouvrage l’indique, ce sont bien aux naissances, multiples, diverses, d’un ensemble de pratiques scientifiques qui donne naissance à un champ que l’on désigne comme relevant de la géographie.

5Cette volonté d’historiciser les savoirs géographiques entraîne aussi la fin du monopole des géographes dans l’élucidation des mécanismes et de l’histoire de leur discipline : cette histoire est aussi écrite par des historiens, des historiens des sciences et des épistémologues qui viennent enrichir les approches et les questionnements. Cette entrée volontairement pluridisciplinaire dans l’histoire de la géographie permet l’étude d’objets encore inédits et sur des sources largement méconnues comme l’odonymie révolutionnaire parisienne (Jean-Marc Besse), l’aerostation (Marie Thébaud-Sorger) ou encore les explorations africaines (Isabelle Surun). L’accent est mis sur les acteurs qui sont à l’origine de ces savoirs et sur le rôle qu’ils ont joué dans la société : pour réaliser son voyage dans l’empire russe, Alexandre von Humboldt met ainsi à profit ses relations avec les autorités politiques et scientifiques sur place pour mener à bien son projet de voyage d’étude (Ottmar Ette). De même, le vicomte de Santarem, historien et diplomate portugais, qui a mobilisé à des fins scientifiques un vaste réseau d’érudits et d’académies, pour instruire une étude de la cartographie portugaise et justifier ainsi les revendications coloniales du Portugal en Afrique de l’Ouest (João Carlos Garcia), ou encore Jean-Baptiste Bory de Saint-Vincent, géographe militaire et naturaliste (Hervé Ferrière).

6Derrière ces jeux d’acteurs apparaissent également les institutions qui les réunissent dans le but de produire des connaissances : l’état-major qui lève la carte de l’Algérie (Hélène Blais) ou le département des cartes de la Bibliothèque royale (l’actuel département des cartes et plans de la BNF) qui réunit, conserve et met à disposition des documents cartographiques (Hélène Richard), sont autant de lieux où l’on crée autant que l’on conserve du savoir géographique.

7Ces processus de construction des savoirs donne également à voir les limites du champ qu’ils dessinent : c’est au contact avec les autres disciplines scientifiques que la géographie se singularise. La géographie dessine son territoire, loin des sciences exactes, mais au contact des humanités et des sciences naturelles : la discipline s’enrichit ainsi au contact de la géologie (Isabelle Laboulais) ou des sciences de l’homme (Jean-Luc Chappey). Le discours scientifique se stabilise autour d’un régime de scientificité qui se met progressivement en place : loin des modèles issus des sciences expérimentales, la géographie repose sur un « empirisme non expérimental » (p. 8) qui repose sur la description analytique, la collection et la mesure, largement empruntées à la botanique et que la géographie a fait passer dans d’autres domaines du savoir. L’ouvrage donne à lire un tableau vivant d’un champ qui n’est pas encore structuré comme une science universitaire.

8Cet ouvrage apporte donc des éléments probants et trace des perspectives fécondes pour rendre intelligibles les géographies d’avant la géographie vidalienne ; il invite également à appliquer ces mêmes outils et méthodes aux fabriques contemporaines des savoirs géographiques : à l’heure où l’on fait autant de géographie à l’extérieur de l’Université qu’en son sein, les questionnements posés quant à la demande sociale dont bénéficie la discipline et la diversité des acteurs et des modes de production des savoirs ainsi mises en jeu sont plus que jamais dans l’air du temps.

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Notes

1 Citons notamment : Blais, H. et Laboulais, I. (dir.) (2006). Géographies plurielles. Les sciences géographiques au moment de l'émergence des sciences humaines (1750-1850). Paris, L'Harmattan. 350 p.

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References

Electronic reference

Yann Calbérac, « Naissances de la géographie moderne (1760-1860). Lieux, pratiques et formation des savoirs de l'espace », Lectures [Online], Reviews, Online since 29 March 2011, connection on 02 December 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lectures/1330 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/lectures.1330

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