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Fanny Bugeja-Bloch, Logement, la spirale des inégalités

Yannick Floquet
Logement, la spirale des inégalités
Fanny Bugeja-Bloch, Logement, la spirale des inégalités. Une nouvelle dimension de la fracture sociale et générationnelle, Paris, PUF, coll. « Le lien social », 2013, 271 p., ISBN : 978-2-13-060709-0.
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Texte intégral

1Cet ouvrage est issu d’une thèse dirigée par Louis Chauvel. Il est placé par l’auteure dès l’introduction sous l’égide de Maurice Halbwachs, notamment pour ses travaux reliant consommation et classes sociales à travers l’étude des coefficients budgétaires des familles. Il s’agit donc de partir d’un constat, l’envolée des prix des logements et des loyers, et d’en faire l’objet d’une enquête sociologique. Cela revient essentiellement à se demander comment ont évolué les inégalités face au logement, et quelles sont les conséquences de cette évolution sur les modes de vie.

2La première étape consiste à transformer un problème de sens commun en problème sociologique. C’est l’objet de l’introduction. Fanny Bugeja-Bloch commence par déconstruire son objet en différenciant le logement, c’est-à-dire le bâti et ses aspects économiques, et l’habitat qui renvoie à quelque chose de plus humain. L’enquête portera donc essentiellement sur le logement ce qui suppose de mettre au cœur du raisonnement la notion de contrainte, ou plutôt un triple jeu de contraintes : les contraintes institutionnelles qui encadrent les choix individuels de logement, la contrainte même de se loger et enfin la contrainte budgétaire que fait peser le coût du logement. Ces contraintes n’étant pas forcément les mêmes pour tous, elles renvoient forcément aux inégalités entre les ménages. L’auteure s’inscrit ici bien dans la démarche de Chauvel : aux inégalités économiques et sociales habituellement étudiées s'ajoutent des inégalitées liées à l'âge et surtout à la génération. Enfin, au niveau de la méthode, l’auteure privilégie une étude statistique et s’appuie sur une comparaison avec la situation au Royaume-Uni, ce qui se révèlera heuristique et contre-intuitif tout le long de l’ouvrage.

3La première partie porte sur les inégalités de logement et leurs causes institutionnelles. Il s’agit au départ de comprendre un fait : « depuis 1980, la part de l’ensemble des propriétaires (non accédants et accédants) est systématiquement plus élevée outre-Manche qu’en France ». Trois facteurs semblent expliquer ce constat. Tout d’abord la politique du logement, qui a fortement encouragé l’accès à la propriété en Angleterre depuis les années Thatcher. Ensuite le système de crédit hypothécaire en Grande-Bretagne. Enfin, et de façon plus originale, le modèle d’État-providence, auquel l’auteure impute une responsabilité dans le taux de propriété élevé en Angleterre. Elle note en effet que « dans les sociétés où la propriété est fortement répandue, les retraites peuvent ou pourraient ainsi être plus faibles ». À partir des travaux de Gosta Esping-Andersen et du concept de new welfare state (qui consiste à réduire les dépenses publiques grâce à l’assurance privée), elle montre que la protection sociale en Grande-Bretagne favorise bien l’accès à la propriété.

4Fanny Bugeja-Bloch étudie ensuite les inégalités d’accès à la propriété, toujours dans une perspective comparative. La première inégalité est l’âge, ce qui renvoie au cycle de vie. Il apparaît que la période favorable à l’acquisition d'un logement est en moyenne plus courte en France qu’en Angleterre. La deuxième inégalité est la position sociale : la propriété reste un privilège des catégories supérieures.

5Ces constats posés, un long chapitre particulièrement intéressant interroge le coût du logement à partir d’une question précise : la capacité à faire face à ce coût constitue-t-elle un nouvel aspect de la stratification sociale ? Il s’agit de saisir la contrainte que représente le coût du logement pour les ménages, et les inégalités qui s'expriment face à cette contrainte. Après un détour théorique visant à distinguer parmi les dépenses ce qui relève de la nécessité vitale, du confort et du luxe, l'auteur s’attache à construire un indicateur statistique plus approprié que le coefficient budgétaire : le Poids Net d’une Pièce d’habitation par Personne (PNPP). Elle en dégage un résultat essentiel, et contre-intuitif par rapport à l’image d’une Angleterre libérale : alors qu’en France la contrainte budgétaire du logement touche particulièrement les plus fragiles et renforce la stratification sociale, ce n’est pas le cas en Grande-Bretagne. Ce constat semble s’expliquer par un système d’aides et de logement social plus efficace en Angleterre qu'en France. Les effets d’une variable telle que la hausse des prix de l’immobilier et des loyers sur la stratification sont donc en fait fortement modulés par les différences de politiques publiques.

6Dans la deuxième partie, Fanny Bugeja-Bloch étudie les conséquences sociales du renchérissement du logement et des inégalités face à ce surcoût. Il s’agit ici essentiellement d’observer et de comprendre l’évolution de la consommation à travers les postes budgétaires. Le traitement est donc surtout statistique et utilise notamment l’analyse factorielle « à la manière de Bourdieu dans La Distinction ». On retrouve en fait avec un nouvel éclairage les résultats de la première partie. En France, c’est bien l’augmentation du poids du logement qui est moteur dans l’évolution des modes de consommation. Le logement est en effet devenu le premier poste de dépense, devant l’alimentation, entrainant un recul du poste des loisirs, notamment parmi les jeunes. On ne retrouve pas cette même évolution en Grande-Bretagne, du fait justement de l’efficacité des aides : au final « le constat britannique paraît plus optimiste puisque la croissance des loisirs concerne la société dans son ensemble ».

7L’ouvrage de Fanny Bugeja-Bloch me semble donc intéressant à plus d’un titre : il comble un vide sur un sujet essentiel au vu de son importance quotidienne ; il renoue avec une tradition ancienne et riche, celle de Halbwachs ; il montre tout l’intérêt d’une démarche comparatiste ; il permet de mieux comprendre un aspect de la stratification sociale et des inégalités. Même s’il n’évite pas formalisme quelque peu académique – notamment dans les revues de littérature – et même si la lecture des données chiffrées n'est pas toujours aisée, ce livre constitue un bon ouvrage de référence sur la question du logement.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Yannick Floquet, « Fanny Bugeja-Bloch, Logement, la spirale des inégalités », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 02 décembre 2013, consulté le 19 avril 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lectures/12851 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/lectures.12851

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Rédacteur

Yannick Floquet

Enseignant de sciences économiques et sociales en lycée

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Droits d’auteur

Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés), sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

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