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Ruth Horn, Le Droit de mourir. Choisir sa fin de vie en France et en Allemagne

Sophie Jumeaux-Bekkouche
Le droit de mourir
Ruth Horn, Le droit de mourir. Choisir sa fin de vie en France et en Allemagne, Presses universitaires de Rennes, coll. « Essais », 2013, 172 p., ISBN : 978-2-7535-2233-6.
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Texte intégral

  • 1  Voir notamment la recommandation n° 1418 de l’assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe sur l (...)
  • 2  Pour une approche comparée des pratiques européennes en matière de fin de vie : cf Bilsen Johan, C (...)

1Dans un contexte où les avancées médicales permettent de maintenir voire de prolonger la vie des patients, la fin de vie, parfois dissociée de toute qualité de vie, n’est pas sans susciter de questions morales. Ces dernières années, cette période ultime de l’existence s’est retrouvée sur le devant de la scène médiatique européenne, avec l’émergence de débats autour de la question du « bien mourir ». Bien que le Conseil de l’Europe ait émis des recommandations en matière de prise en charge de la fin de vie1, les pratiques au sein même de l’Europe se révèlent différentes2 et sont sujettes à controverses. Si les Pays-Bas et la Belgique ont dépénalisé l’euthanasie entre 2001 et 2002, la France et l’Allemagne se refusent quant à elles à autoriser aussi bien le « faire mourir » que l’aide à mourir, mais elles débattent sur la légitimité de lever l’interdit d’euthanasie.

  • 3  Simone Bateman est sociologue et directrice de recherches au CNRS. Ses travaux portent notamment s (...)

2Face aux vifs débats qui opposent partisans et adversaires d’un droit de mourir, l’ouvrage de Ruth Horn – préfacé par Simone Bateman3 et issu d’un travail de thèse réalisé sous sa direction – apporte un éclairage stimulant sur la façon dont se pose en France et en Allemagne la question morale de l’euthanasie. L’originalité de ce travail réside dans le choix d’une approche comparée de deux pays aux législations semblables en matière de fin de vie, là où bon nombre d’études tendent plutôt à comparer les pays autorisant l’euthanasie à ceux l’interdisant. Ce livre plonge le lecteur au cœur des singularités de chaque pays, dans leur manière de discuter des enjeux moraux et de gérer les problèmes pratiques relatifs à la fin de vie ; il permet ainsi d’entrevoir les racines de ces particularités. Comment expliquer que le terme d’« euthanasie », omniprésent dans le débat français, soit écarté du débat allemand au profit de celui d’« aide à mourir » ? Comment se fait-il qu’en France le débat porte principalement sur le droit à l’euthanasie, tandis qu’en Allemagne il se focalise essentiellement sur la portée des « directives anticipées » des malades ? Pourquoi certaines pratiques de fin de vie sont-elles jugées bonnes dans un pays et mauvaises dans un autre ? Dans quelle mesure l’approche différenciée en France et en Allemagne des débats et pratiques s’inscrit-t-elle dans des conditions socio-historiques mais aussi organisationnelles propres à chaque pays ? Autant de questions auxquelles la sociologue tente de répondre en s’appuyant à la fois sur une recherche documentaire, rassemblant un corpus composé d’articles de quotidiens français et allemands depuis les années 1970, de textes juridiques et de textes issus de la littérature médicale ou associative, et sur une étude ethnographique effectuée entre 2005 et 2007 dans plusieurs hôpitaux français et allemands, auprès d’équipes de soins palliatifs.

3Comme le met en lumière Ruth Horn, la question de déterminer le moment et les conditions de sa mort ne peut être pensée indépendamment du contexte historique, du rapport médecin-patient, de l’organisation de la prise en charge de la fin de vie à l’hôpital mais aussi de la manière dont l’autonomie du patient est définie dans chaque pays.

4Dans un premier temps, est abordé le contexte dans lequel se déroulent les débats sur le droit de mourir en France et en Allemagne, ce qui permet de comprendre les différences et particularités dans ces deux pays aux législations pourtant très semblables. L’éviction du terme d’euthanasie dans le débat allemand trouve en partie son explication dans l’histoire nazie du pays. En effet, le programme T4 qui a consisté à euthanasier plusieurs milliers de patients atteints de handicaps physiques ou mentaux confère au terme même d’euthanasie une charge symbolique particulière. De même, la participation de certains médecins nazis à ces euthanasies de masse contribue à faire qu’aujourd’hui encore l’Allemagne n’envisage pas d’accorder à un tiers le droit de hâter la mort du patient, même à la demande ou avec le consentement de ce dernier.

5L’auteure revient également sur la médiatisation de certaines situations de fin de vie, qui a concouru à faire évoluer les débats de manière différenciée en France et en Allemagne. En effet, force est de constater que les médias français ont davantage relayé des situations où il était question de demandes de mort, comme ce fut le cas avec ce que l’on a appelé les « affaires » Vincent Humbert et Chantal Sébire, à la différence de l’Allemagne où étaient plutôt mises en avant des situations questionnant le respect des directives anticipées des malades.

6La question du droit de mourir est ensuite replacée dans une réflexion plus large sur la prise en charge de la fin de vie en milieu hospitalier. L’auteure retrace la naissance et le développement des soins palliatifs dans les deux pays, ainsi que leur place dans le système hospitalier. En France, et à la différence de l’Allemagne, les soins palliatifs se sont ancrés dans un mouvement critique de la médecine curative, ce qui n’a pas facilité leur insertion dans les structures hospitalières.

7Le livre questionne encore l’attitude des médecins face aux patients en fin de vie et le rapport qu’ils entretiennent avec la mort et le mourir, notamment dans les situations de limitation ou d’arrêt des thérapeutiques actives. Comment les médecins français et allemands perçoivent-ils la souffrance physique et morale du patient, et comment y font-ils face dans leur pratique quotidienne ? Dans quelle mesure associent-ils le patient à la prise de décision médicale ? Comment réagissent-ils quand une demande de mort émerge ? L’analyse des discours des médecins révèle que, dans les deux pays, la confrontation des médecins à la fin de vie s’avère délicate et qu’elle est souvent associée à un sentiment d’échec. Néanmoins il semblerait que cette difficulté soit d’autant plus prégnante en France, où l'attitude médicale se veut très attachée à la notion d'efficacité thérapeutique. L’auteure souligne à quel point les médecins français tolèrent moins bien l'échec d'une thérapie et l'arrêt d'un traitement que leurs confrères allemands. Cette différence constatée dans l’attitude du médecin face aux patients en fin de vie ne saurait être un détail puisqu’elle a des conséquences sur le respect ou non des souhaits des patients. Les médecins français seraient ainsi plus enclins à poursuivre les thérapeutiques actives, même si cela ne relève pas du souhait du patient. Or, les demandes d’euthanasie émergeraient plus fréquemment quand le patient n’est pas ou peu impliqué dans la prise de décision médicale qui le concerne, ce qui est davantage le cas en France qu’en Allemagne. Se pose ici la question de la démocratie sanitaire, qui s’accommode mal avec les vestiges d’un certain paternalisme médical. Pour autant, il convient de préciser que l’auteure a effectué son travail de terrain en 2006, c’est-à-dire un an après l’entrée en vigueur en France de la loi Leonetti, qui renforce la place du patient en tant qu’acteur et proscrit l’« obstination déraisonnable ». Or, on sait bien que la loi ne change pas les comportements du jour au lendemain, et il conviendrait de vérifier si le malaise des médecins français quant à la décision d’interrompre les traitements est toujours d’actualité.

8En France comme en Allemagne, la place accordée au respect de la volonté du patient est l’un des éléments déterminants du débat, même si les conceptions de l’autonomie diffèrent. Le livre s’achève avec cette question laissée ouverte : « Accorder le droit de mourir […] constitue-t-il une avancée dans le respect de l’autonomie du malade ? » (p. 161). On est effectivement en droit de s’interroger.

9Au final, cet ouvrage est une contribution importante aux débats qui entourent la prise en charge de la fin de vie, et en particulier le droit de mourir. Il a le mérite d’en offrir une analyse dépassionnée et permet de comprendre que la façon de discuter des questions éthiques s’enracine dans des conditions socio-historiques, professionnelles et organisationnelles particulières, propres à chaque pays. Néanmoins, si la question du droit de mourir est ici appréhendée au travers du contexte particulier de la fin de vie, celle-ci ne saurait se circonscrire à ces seules situations puisqu’elle se pose également en contexte de maladie chronique incurable ou de handicap lourd par exemple. Le droit à l’interruption de vie se pose avec une acuité toute particulière dans nos sociétés contemporaines, où le moment de la naissance et celui de la mort font de plus en plus souvent à faire l’objet d’une décision médicale.

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Notes

1  Voir notamment la recommandation n° 1418 de l’assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe sur la protection des droits de l'homme et de la dignité des malades incurables et des mourants (1999), ainsi que la recommandation n° 1993 relative à la protection des droits humains et de la dignité de la personne en tenant compte des souhaits précédemment exprimés par les patients (2012).

2  Pour une approche comparée des pratiques européennes en matière de fin de vie : cf Bilsen Johan, Cohen Joachim, Deliens Luc, « La fin de vie en Europe : le point sur les pratiques », Population & Sociétés, n° 430, janvier 2007. Disponible à l’adresse : http://www.ined.fr/fichier/t_publication/1223/publi_pdf1_pop.et.soc.francais.430.pdf.

3  Simone Bateman est sociologue et directrice de recherches au CNRS. Ses travaux portent notamment sur les questions éthiques qui entourent les pratiques scientifiques et médicales (avortement, assistance à la procréation, réanimation néonatale…).

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Pour citer cet article

Référence électronique

Sophie Jumeaux-Bekkouche, « Ruth Horn, Le Droit de mourir. Choisir sa fin de vie en France et en Allemagne », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 13 novembre 2013, consulté le 05 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lectures/12659 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/lectures.12659

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