Jean-François Bert, Introduction à Michel Foucault

Texte intégral
- 1 Sociologue à l'Institut Interdisciplinaire d'anthropologie du contemporain, animateur du Centre Mic (...)
1Selon Jean-François Bert1, la pensée de Michel Foucault (1926-1984) n'est pas une « « oeuvre » qui possède une unité essentielle que ses commentateurs auraient pour tâche de dévoiler ». Elle est plutôt une « philosophie du déplacement », dont les « réflexions ne se veulent ni systématiques, ni même absolument cohérentes »(p. 98). Après une biographie thématisée, J.-F. Bert expose en trois volets les principales applications de la pensée foucaldienne dans les sciences humaines, avant de conclure par son actualité.
- 2 Foucault 167 n°47
2Le premier chapitre de l'ouvrage est une présentation d'un « Foucault en mouvement », intéressante parce qu'elle problématise d'emblée la singularité du personnage. Dès les premières années de sa formation supérieure - un cursus classique : khâgne, puis École Normale Supérieure en philosophie -, Foucault s'intéresse à la psychologie, qui l'amène d'emblée à penser la distinction entre normal et pathologique. Au cours de sa carrière, Foucault revendique une affiliation à la philosophie du concept (celle d'un Bachelard ou d'un Canguilhem) par opposition à la philosophie du sujet, de l'expérience. Son appartenance au structuralisme est ambiguë : s'il semble en nourrir sa réflexion par une pensée de la marge, des ruptures inhérentes aux temporalités et une opposition à la philosophie essentialiste, il s'en démarque aussi, en prônant un rapport de « distance et de redoublement »2 à cette pensée. Il propose en effet dans Les Mots et les Choses (1966) une « archéologie du structuralisme » menée avec les méthodes structuralistes. Enfin, J-F. Bert souligne que l'oeuvre de Foucault est inséparable de son engagement, notamment au sein du Groupe d'information sur les prisons et à travers une réflexion plus large sur le statut des intellectuels.
- 3 Voir E. Zola, « Medecine as an institution of social control », Sociological Review, 1972 et G. Jor (...)
3Un premier volet de l'usage de Foucault dans les sciences humaines est la réflexion qu'il mène sur les normes et les institutions disciplinaires. Sa pensée est à contre-courant des approches classiques : plutôt que de déduire des normes les institutions, il s'intéresse à des institutions particulières, à leur manière de définir les « sujets exclus de notre rationalité »(p.27), puis à la généralisation de ces normes spécifiques. Dans sa thèse, Folie et déraison, Histoire de la Folie à l'âge classique, soutenue en 1961, Foucault analyse le rapport des sociétés modernes occidentales à la folie, en considérant la rupture opérée à la fin de l'âge classique. Ce moment, début de l'enfermement des fous, lui permet de produire une histoire de l'exclusion, une réflexion sur la notion d'interdits et une critique politique de la société moderne dont la cohésion s'appuie sur l'exclusion. En 1963 paraît la Naissance de la clinique, qui prolonge la réflexion dans le champ médical. À travers une archéologie de l'expérience médicale, Foucault dénonce la médicalisation excessive de la société moderne, constat régulièrement repris par la sociologie médicale3. Enfin, Surveiller et punir. Naissance de la prison paru en 1975, est une analyse du rapport entre processus disciplinaire et constitution des sujets au sein de l'institution pénitentiaire.
- 4 M. Foucault, Il faut défendre la société, cours au Collège de France (1975 - 1976), Gallimard/Seuil (...)
4Au cours des années 1970, Foucault oriente sa réflexion vers les rapports de pouvoir et la réalisation d'un consensus menant à l'ordre social. Selon lui, la pensée politique moderne, à partir de Hobbes, se concentre sur la personne du souverain et les mécanismes de domination des individus, au détriment d'une pensée de la guerre. Il développe donc son propre modèle d'analyse du pouvoir, comme « affrontement des forces belliqueuses »4. Ainsi, Foucault refuse le concept de domination, pour privilégier celui d'assujettissement, d'incorporation par les individus des rapports de pouvoir. La cohésion sociale tient alors à l'interdépendance des individus liés par ces rapports. Foucault distingue selon l'agencement des rapports de pouvoir trois types de sociétés. Moments historiques et emboîtés. La souveraineté royale est caractérisée par un fonctionnement principalement vertical, et un objectif de prélèvement des ressources. Vient ensuite le moment du disciplinaire, visant à l'acceptation et l'incorporation des contraintes par les individus. Enfin, la biopolitique est un gouvernement de la vie : « il ne s'agit plus seulement de discipliner l'individu mais d'en assurer la régulation » (p. 71). À partir de 1978, Foucault utilise le concept de « gouvernementalité » pour comprendre les pratiques mises en oeuvre par l'État. La gouvernementalité est en effet une orientation des conduites collectives par la mobilisation de nouveaux modes de connaissances de la société.
5En 1976, La Volonté de savoir inaugure un dernier pan des recherches de M. Foucault, celle des pratiques de soi et du rapport à l'autre au prisme d'une pensée de la sexualité. Il distingue deux types de savoirs sur la sexualité. L'ars erotica, caractéristique des sociétés chinoises et japonaises, vise à l'intensification des plaisirs. La scientia sexualis, présente dans les sociétés occidentales, a pour fondement la recherche d'une vérité du désir. La sexualité est alors prise dans des discours normatifs, qui mènent à une distinction entre normal et pervers. Foucault oriente ensuite sa réflexion vers une « problématisation morale des plaisirs » (p. 88), à l'oeuvre dans L'Usage des plaisirs paru en 1984 : l'histoire des modes d'être est aussi une histoire des modes de rapport à soi. Foucault développe ainsi le concept de subjectivation qui désigne les modes de conduite et de gouvernement propre que l'individu trouve en lui-même.
6Dans un dernier chapitre, J.-F. Bert donne quatre pistes pour penser l'actualité de Michel Foucault dans les sciences sociales. D'abord, sa vision critique de l'histoire impose un certain scepticisme, toute vérité étant relative à une société donnée. Ensuite, son analyse du discours en fait un objet lié à un contexte de production. Par ailleurs, l'interrelation entre savoir et pouvoir, au coeur de la pensée foucaldienne, constitue selon J-F. Bert un socle de réflexion en particulier pour la sociologie de la connaissance. Enfin, l'actualité de Foucault réside dans sa pensée de la posture de l'intellectuel interrogeant perpétuellement le présent.
7Soulignons en guise de conclusion l'intérêt de cet ouvrage, qui constitue une introduction claire des principaux enjeux de la pensée foucaldienne. Les arguments sont avancés sans prosélytisme aucun, les débats sur l'oeuvre de Foucault éclairent la démonstration, l'actualité de l'oeuvre est nourrie d'exemples récents empruntés aux différents champs des sciences humaines.
Notes
1 Sociologue à l'Institut Interdisciplinaire d'anthropologie du contemporain, animateur du Centre Michel Foucault
2 Foucault 167 n°47
3 Voir E. Zola, « Medecine as an institution of social control », Sociological Review, 1972 et G. Jorland Une Société à soigner, Gallimard, 2010
4 M. Foucault, Il faut défendre la société, cours au Collège de France (1975 - 1976), Gallimard/Seuil, 1997, p. 18
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Référence électronique
Camille Sutter, « Jean-François Bert, Introduction à Michel Foucault », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 18 janvier 2011, consulté le 19 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lectures/1245 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/lectures.1245
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