« Les jouets sont éternels. Médiation. Initiation. Sujétion », Le sociographe, n° 41, mars 2013
Texte intégral
- 1 Le sociographe est à présent une « revue classée Interface en Sciences de l’Éducation (AERES) » (ht (...)
- 2 « Des recherches de terrain, écrits de formations, collecte de témoignages “socio-graphiques” ».
1Se proposant de réaliser une « épistémologie du témoignage », la revue Le sociographe1 permet la rencontre d’une diversité des écrits2, des professionnels du travail social aux différents chercheurs dans le champ des sciences sociales. Pour son 41e numéro, elle retient ainsi « le jouet », objet souvent lié au monde des enfants, mais que les adultes affectionnent également. Comment parler alors à l’heure actuelle du jouet, sans risque de redondance, sans répéter la riche bibliographie déjà produite par rapport au jeu ? À travers neuf contributions écrites, auxquelles s’ajoute un reportage photo, le dossier principal de la revue met en place « une ébauche de pensée, de réflexion sur le jouet tant à travers les âges, que les générations, que les moments de vie » (p. 8). Il essaie d’offrir une définition à ce que représenterait le jouet, tout en interrogeant les distinctions entre une activité et son objet, entre le jeu et le jouet. Dès le début de la publication il est donc précisé que « le jeu n’est pas le jouet. Le jeu est manipulation là où le jouet est l’objet manipulable » (p. 5). Les contributions sont par la suite réunies autour de cinq parties s’intéressant à l’histoire du jouet, aux médiations qu’il assure, à sa place dans la pédagogie et dans le travail, à la question de la « sujétion » et à la transformation de l’acteur humain en jouet.
2L’histoire du jouet, telle que conçue dans le dossier, interroge à la fois les usages et la fabrication des jouets. Il s’agit ainsi, en premier lieu, d’un objet qui accompagne l’enfance. Il constitue alors un guide dans l’apprentissage par les enfants du monde qui les entoure. Quelques exemples tirés de l’expérience professionnelle de l’auteure de la première contribution du dossier viennent illustrer cette idée. Elle se base principalement sur son activité en tant qu’éducatrice de jeunes enfants dans un service de pédiatrie générale et d’oncologie. Le jouet aide ainsi à grandir, mais il est également le produit d’une activité créatrice de la part de l’enfant. Cela nous permet de mieux comprendre le jouet en tant que fruit d’une « fabrication sociale ». Un processus de préprofessionnalisation est ainsi mis en avant dans une enquête sur la patrimonialisation des jouets « faits main » présentée dans le deuxième article du dossier. Comme mentionné dès le début, le jouet n’est pas réservé qu’aux enfants. Il est un objet qui attire les adultes. C’est aussi le message porté par une troisième contribution, cette fois-ci photographique. Le jouet n’est pas qu’objet de patrimoine. Pour les adultes, il est partie composante de collection. Son potentiel ludique tend à disparaître, laissant la place au rêve. Son usage est moins éducatif et plutôt évocatif.
3Envisagé sous l’angle du lien qu’il peut établir avec les autres, le jouet devient objet d’expression et de médiation dans les activités auxquelles participent les enfants. À partir du livre de Philippe Grimbert, Un secret, Corinne Chaput montre comment un chien en peluche devient jouet accompagnateur des « récits d’enfance ». Il renvoie vers un passé caché et devient par la suite une sorte de madeleine de Proust qui fait ressurgir des histoires oubliées dont une partie des acteurs sont déjà disparus. Pour Madeleine Pottier, éducatrice spécialisée, ce sont ses notes prises pendant six ans d’expérience dans des ateliers avec des enfants dans le cadre d’une association spécialisée qui occasionnent un retour sur l’acception du jeu comme activité renforçant les liens entre les enfants. Les jouets, dans ce contexte, sont des objets qui portent en eux la potentialité d’une activité partagée à venir.
4La question du jouet « pédagogique » est soulevée dans la troisième partie du dossier. Entre le jeu et le travail, les frontières ne seraient alors que très peu visibles. Marie-Gabrielle Mathely illustre ainsi cette idée en parlant de son expérience auprès de jeunes étudiants afin de mieux leur transmettre la maîtrise des règles de l’écriture. Elle souligne également la capacité de l’enfant à fabriquer son propre jeu, sans passer forcément par des jouets établis à ce but, dont la forme et l’emploi sont assez complexes. Et pour compléter cette perspective pédagogique du jouet, Ludovic Blin propose une ethnographie du jeu auprès des enfants « valides » et en situation de handicap à l’école et à la maison. Mais ce qui rend son étude particulièrement intéressante c’est la prise en considération du point de vue des acteurs suivis. Ce sont les enfants les principaux personnages de son récit. Ils utilisent des jouets et ils construisent ensemble les règles de leurs jeux, ce qui les amène à établir des « communautés de pratique ». L’enfant handicapé a pour sa part son rôle à y jouer. Il participe parfois à la mise en places des règles, d’autres fois non. Il devient de cette manière un membre en marge de la communauté. Ces pratiques pourraient ainsi aider à mieux comprendre des notions comme l’inclusion ou l’exclusion scolaire des jeunes handicapés, trop souvent expliquées à partir d’un point de vue politico-institutionnel, et moins du point de vue individuel.
- 3 Zegaï Mona, « Trente ans de catalogues de jouets : mouvances et permanences des catégories de genre (...)
5Le dossier associe par la suite le jeu et le jouet à la question psychologique de « sujétion ». Ainsi, à travers le jouet, l’enfant se voit attribuer une identité, tout en apprenant les stéréotypes qui précèdent son existence dans la société. Les professionnels de la petite enfance seraient les premiers à transmettre les stéréotypes de genre. Mais, ces stéréotypes se trouvent également dans les pages des catalogues de jouets dans lesquels les classements se font le plus souvent selon le sexe. Charles Foxonet complète cette perspective des catalogues3, avec sa propre réflexion sur le rôle de la poupée Barbie, porteuse de l’image « idéale » de la femme en société. Parallèlement, le jouet « commercial » a une rhétorique spécifique, telle qu’identifiée par Gilles Brougère. Beaucoup d’arguments de vente de jouets sont donc construits sur le capital éducatif de ces objets, le côté divertissant étant mis au second plan. Par ailleurs, les personnes à qui ces arguments sont adressés sont plutôt les parents, les adultes, médiateurs entre le jouet et l’enfant. Au final, la rhétorique porte ses fruits, car elle aboutit à la définition de l’enfant en tant qu’utilisateur d’objets qui visent à accroître ses performances cognitives et sociales.
6Le jeu de mots semble à son tour préoccuper les responsables du dossier. Ainsi un dernier article renverse d’une certaine manière la perspective de lecture. L’acteur qui manipule le jouet devient lui-même jouet. Jean-Christophe Panas nous offre sa propre interprétation d’une pièce de théâtre avec des jeunes filles d’un Institut thérapeutique éducatif et pédagogique. Elles deviennent un « objet manipulable » dans le jeu dramaturgique. Ce serait à travers ce type de jeu et au fait de participer à un projet collectif que les jeunes apprennent ensuite les règles d’une démocratie.
7En conclusion, le lecteur se trouve devant un dossier éclectique tant par le style que par les horizons d’origine des contributeurs. Le numéro dédié aux jouets de la revue Le sociographe, à l’image d’autres numéros thématiques antérieurs, pose un sujet vaste et intéressant pour les professionnels du travail social, ainsi que pour les jeunes chercheurs en sciences sociales. La perspective psychologique, ainsi que celle des sciences de l’éducation sont privilégiées, cependant les références théoriques sociologiques ou historiques sont moins présentes. Des pistes de réflexion par rapport à la définition de l’objet « jouet » sont ouvertes dans le dossier, mais le degré d’avancement de la démonstration reste au final inégal dans les différentes contributions.
Notes
1 Le sociographe est à présent une « revue classée Interface en Sciences de l’Éducation (AERES) » (http://www.irts-lr.fr/presentation-sociographe.html). Pour plus de précisions concernant l’orientation éditoriale de la revue, se référer à :
Igor Martinache, « Malaise dans la relation. Des sentiments dans le travail social », Le sociographe, n° 36, septembre 2011 », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, 2011, mis en ligne le 19 septembre 2011, consulté le 02 août 2013. URL : http://lectures.revues.org/6351
2 « Des recherches de terrain, écrits de formations, collecte de témoignages “socio-graphiques” ».
3 Zegaï Mona, « Trente ans de catalogues de jouets : mouvances et permanences des catégories de genre », Actes du Colloque Enfance et Cultures : regard des sciences humaines et sociales, Paris, 2010.
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Référence électronique
Cristina Popescu, « « Les jouets sont éternels. Médiation. Initiation. Sujétion », Le sociographe, n° 41, mars 2013 », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 13 septembre 2013, consulté le 03 octobre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lectures/12141 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/lectures.12141
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