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Axelle Brodiez-Dolino, Combattre la pauvreté. Vulnérabilités sociales et sanitaires de 1880 à nos jours

Rémy Caveng
Combattre la pauvreté
Axelle Brodiez-Dolino, Combattre la pauvreté. Vulnérabilités sociales et sanitaires de 1880 à nos jours, Paris, CNRS, 2013, 328 p., ISBN : 978-2-271-07605-2.
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Texte intégral

1La thèse de l’ouvrage, presque entièrement contenue dans son titre, au moins implicitement, peut se résumer ainsi : les vulnérabilités sociales et sanitaires entretiennent un lien de causalité réciproque ou comme l’écrit l’auteure, « le lien de causalité entre vulnérabilités sociales et sanitaires fonctionne malheureusement dans les deux sens, en un cercle vicieux qui enfonce l’individu dans une spirale d’affaiblissement, puis d’exclusion » (p. 18). Comme le titre l’indique encore, cette thèse s’appuie sur une histoire du combat contre la pauvreté de la fin du XIXsiècle à la fin du XXe. Plus précisément, l’auteure s’attache à étudier la mise en œuvre des politiques publiques de lutte contre la pauvreté à Lyon à travers l’action de la municipalité, d’œuvres et d’associations. L’ouvrage suit un découpage chronologique en trois parties, correspondant au repérage des grandes inflexions de l’action sanitaire et sociale. La première va de la fin du XIXsiècle à la veille de la Grande Guerre ; la deuxième nous conduit jusqu’en 1945 ; la troisième est consacrée aux « Trente Glorieuses ». Avant de soulever quelques points de discussion, résumons l’ouvrage à grands traits à partir des principales conclusions de chaque chapitre.

2Dans la première partie, l’auteure revient sur la préhistoire de l’assistance, cette dernière restant très limitée jusqu’à la fin du Second Empire. Les secours médicaux, bien que souhaités par les pouvoirs publics, demeurent peu développés. D’un autre côté, l’action des œuvres religieuses s’accroît et se diversifie tout en restant fondamentalement moralisatrice et prosélyte. La charité catholique, bien que concurrencée, occupe ainsi une place très importante dans le traitement de la pauvreté, notamment à Lyon. À partir de 1880, sous l’impulsion de municipalités républicaines dirigées par des maires issus du corps médical, s’engagent des politiques actives d’amélioration de la « santé sociale » de la population : secours d’urgence en hébergement et alimentation, secours de chômage, bureau d’hygiène, services sanitaires, dispensaires et sanatoriums, pensions pour vieillards… Cependant, certaines catégories restent à l’écart de ces dispositifs. C’est notamment le cas des « filles-mères », souvent sans attaches, ainsi que celui des « infirmes et incurables » qui restent à la charge des familles. La mise en place des lois sociales républicaines de 1893 (création d’une assistance médicale gratuite), 1905 (assistance obligatoire aux vieillards infirmes et incurables) et 1913 (lois en faveur des femmes en couches et des familles nombreuses) démontre le renforcement de l’assistance aux personnes frappées de la double vulnérabilité sanitaire et sociale et jugées non responsables de leur situation. Mais en raison de lenteurs dans la mise en œuvre des lois et de moyens restant en deçà des besoins, les œuvres caritatives maintiennent, voire renforcent, leur position dans le champ de la lutte contre la pauvreté. Bien qu’affirmé, le droit à l’assistance sociale reste largement conditionné à la vulnérabilité sanitaire des individus : les pauvres valides sont toujours traités comme des mauvais pauvres.

3La deuxième partie commence par une sorte de renversement des priorités : alors que le social, bien que conditionné au sanitaire, avait été érigé comme problème public prioritaire, l’entrée en guerre en 1914 fait prédominer les urgences sanitaires. D’une part parce que la guerre, outre son cortège de blessés, génère des problèmes sanitaires évidents. D’autre part parce que, notamment à Lyon, la situation des plus précaires s’est relativement améliorée en raison de la gestion de la distribution alimentaire qui leur profite et d’une amélioration sur le marché du travail. Le nombre d’assistés y connaît ainsi une forte baisse. À la faveur de cette baisse, le bureau de bienfaisance se réorganise et renoue avec sa vocation initiale liée aux lois de 1893, 1905 et 1913. Il met également en place des aides spécifiques pour les chômeurs au moment du retour des hommes du front. Au sortir de la guerre, on observe un renforcement de l’imbrication des problématiques sanitaires et sociales autour d’un hygiénisme social visant à rétablir la santé de corps affaiblis par les blessures, les mutilations, les privations, les maladies contagieuses et la dégradation des conditions de logement. Le combat contre la pauvreté devient ainsi, sous l’influence des fonds et des méthodes importés des USA, celui contre les « fléaux sociaux » (tuberculose, alcoolisme, syphilis), pour la protection maternelle et infantile ou en faveur l’adolescence difficile. L’hygiénisme social de l’entre-deux-guerres redessine ainsi les relations entre traitements sanitaire et social de la vulnérabilité en systématisant leur articulation et en rationnalisant les interventions via, notamment, le rôle central attribué aux services hospitaliers. Sur ces bases et grâce à la prospérité des années 1920, les politiques d’assistance se développent vers des approches plus préventives, les pouvoirs publics parvenant à faire face à leur coût croissant. Avec la crise des années 1930, ces politiques marquent un coup d’arrêt et les institutions se recentrent sur leurs fonctions caritatives et palliatives. Des nouveaux problèmes apparaissent autour de la figure du chômeur qui se massifie et de celle de l’immigré tandis que l’inflation des coûts de l’assistance légale met les municipalités en difficulté financière. La Seconde Guerre mondiale, malgré un contexte très spécifique et le discours de renouveau du régime de Vichy est marquée par une forte continuité des dispositifs dont certains perdurent jusque dans les années 1950.

4La troisième partie traite de la persistance de poches de pauvreté dans une ère de prospérité et démontre, s’il en était encore besoin que les « Trente glorieuses » ne l’ont pas été pour tout le monde. L’auteure la fait débuter en 1945, moment où s’opère une nette rupture au niveau des politiques d’assistance et des formes de vulnérabilités. En réalité, cette rupture, d’abord symbolique, met une dizaine d’années à être effective, le temps de la reconstruction. Jusque, en gros, 1955, l’héritage de la 3e République et de Vichy, censé disparaître avec la généralisation de la Sécurité sociale et le retour durable de la prospérité économique, est loin d’être soldé. Ce n’est d’ailleurs qu’à ce moment-là que le terme d’« aide sociale » se substitue à celui d’« assistance ». À partir du milieu des années 1950, un consensus commence à se construire autour des personnes âgées qui vont progressivement être mises au centre de l’intervention publique dans les domaines sanitaire et social. En 20 ans leur condition en sortira largement améliorée, qu’il s’agisse de leur niveau de vie par le biais de la revalorisation des pensions ou de leur accueil dans des établissements spécialisés dont les nouvelles normes sont censées rompre avec celles des anciens hospices. De vulnérables, les personnes âgées deviennent une catégorie sociale bénéficiant désormais d’une bonne protection sociale et sanitaire. L’autre problème public qui marque la période est celui du logement dont la crise a tant duré qu’il en devient difficile de parler de crise. Celle-ci touche notamment les immigrés en raison de discriminations dans l’accès au logement social et de la pénurie de foyers dédiés aux hommes. C’est à cette même époque qu’émerge la figure du sans-abri qui, contrairement à celle du vagabond ou du marginal « par choix », commence à être perçu à travers le prisme de la vulnérabilité sanitaire et sociale. La prise en compte de ces problèmes donne ainsi lieu à des profondes réformes dans les domaines sanitaire et social : allocation adulte handicapé, réforme des centres d’hébergement, assurance vieillesse obligatoire, accès des immigrés au logement social et résorption des bidonvilles… Mais ces mêmes années sont également celles d’un tournant consécutif aux crises des années 1970 qui voit l’ébranlement de la société salariale avec l’explosion du chômage et la précarisation du travail qui, au cours des années 1980 et 1990, donneront lieu à de nouveaux changements dans le traitement des vulnérabilités sanitaires et sociales qui restent inextricablement liées dans les discours et les modalités de l’action publique.

5Les apports de cet ouvrage sont de trois ordres. Empiriques d’abord, puisqu’il met à disposition du lecteur une grande richesse d’informations concernant les politiques publiques et les initiatives privées de lutte contre la pauvreté tant au niveau national que local ; richesse dont ne peut rendre compte cette note de lecture. Son deuxième apport est méthodologique. Il plaide en effet, par principe et en pratique, pour une approche territorialisée de l’action publique qui permet non seulement de saisir finement les inflexions des politiques, mais également l’évolution des publics tout en prenant la mesure des contraintes qui pèsent sur les acteurs locaux et des marges dont ils disposent. Enfin, le troisième apport est politique : cette histoire jamais achevée du combat contre la pauvreté montre d’une part que les moyens n’ont jamais été suffisants pour faire face aux besoins et d’autre part qu’on a probablement manqué l’occasion de s’attaquer à ses causes profondes, notamment économiques. Mais il n’est pas sûr que l’auteure de l’ouvrage suive celui de ces lignes s’agissant d’une telle affirmation.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Rémy Caveng, « Axelle Brodiez-Dolino, Combattre la pauvreté. Vulnérabilités sociales et sanitaires de 1880 à nos jours », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 06 septembre 2013, consulté le 07 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lectures/12026 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/lectures.12026

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Rédacteur

Rémy Caveng

Maître de conférences en sociologie à l'Université de Picardie Jules Verne, chercheur au CURAPP-ESS (Centre universitaire de recherche sur l'action publique et le politique - Épistémologie et sciences sociales, UMR 6054), chercheur associé au CSE-CESSP (Centre de sociologie européenne - Centre européen de sociologie et de science politique, UMR 8209, Université Paris 1 - EHESS) et au 06/09/2013

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