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Stéphane Olivesi, La communication syndicale

Igor Martinache
La communication syndicale
Stéphane Olivesi, La communication syndicale, Rennes, Presses universitaires de Rennes, coll. « Res Publica », 2013, 226 p., ISBN : 9782753527485.
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Texte intégral

  • 1 Michel Noblecourt, « La CGT recrute un directeur de la communication par petite annonce », Question (...)
  • 2 Ce qui rappelle que la prise en compte de cet enjeu est aussi ancien que les syndicats eux-mêmes, t (...)

1Les médias semblent devenus de nos jours non seulement un levier mais un enjeu primordial de l'action collective, au point que l'on pourrait à bon droit penser que les organisations syndicales aient placé la communication au cœur de leur stratégie, comme des programmes de la formation de leurs militants. C'est pourtant loin d'être le cas selon l'auteur, lui-même professeur en sciences de l'information et de la communication et intervenant au sein de l'Institut de Formation Syndicale de l'Université de Lyon-2. La récente annonce passée par la CGT en vue de recruter un directeur de la communication1, poste jusque-là inexistant, illustre à elle seule les ambivalences du rapport des organisations en question vis-à-vis de la communication, encore souvent qualifiée de propagande en interne2.

2Ce sont ces dernières que l'auteur se propose d'explorer dans cet ouvrage en s'appuyant largement sur le poste d'observation particulier que lui confère son statut de formateur, et propose de ce fait ici une analyse à plusieurs niveaux des failles et des contradictions qui traversent le rapport des organisations et militants syndicaux aux enjeux communicationnels et non un manuel de techniques « prêtes à l'emploi » pour militants plus ou moins aguerris, à l'instar du reste de ce que l'intéressé déploie au cours de ses propres sessions de formation.

3En abordant la communication dans un sens très large « d'aptitude à dialoguer, revendiquer, informer, négocier, convaincre, mobiliser, fédérer... » (p. 53) qui impliquent de ce fait « l'ensemble des relations que les représentants syndicaux nouent et entretiennent avec les salariés, les sympathisants, les adhérents, les militants ainsi que les employeurs, le patronat, les représentants des autres organisations syndicales, éventuellement avec des journalistes ou l'inspection du travail, etc. » (p. 19), Stéphane Olivesi refuse en effet de se focaliser sur le seul enjeu de la médiatisation et affirme d'emblée non simplement que la communication occupe une place importante voire centrale dans l'action syndicale, mais que cette dernière est avant tout d'ordre communicationnel. Rien de plus logique si l'on songe en effet que les syndicats revendiquent avant tout la représentation des salariés et de leurs intérêts, se trouvant à ce titre en concurrence non seulement avec les autres organisations du même type, mais aussi d'autres plus ou moins formalisées – associations, coordinations, sans oublier les directions d'entreprise, sans oublier les tensions en interne entre les différents niveaux qui jalonnent la distance entre la « base » et le « sommet », en particulier au sein des vastes confédérations structurées sur un double niveau géographique (avec l'existence d'unions locales, départementales et/ou régionales interprofessionnelles) et sectoriel (à travers les fédérations de branche).

  • 3 Voir entre (bien d') autres Sociologie des syndicats, Paris, La Découverte, coll. « Repères », 2007 (...)

4Telle est ainsi la première précaution que l'auteur rappelle lorsqu'il commence par traiter de la distance entre les « mondes » du syndicalisme et de la communication, à savoir prendre en compte la diversité de leurs formes sans les réduire à leurs manifestations les plus visibles. Il revient ainsi principalement sur la « crise » que traverseraient aujourd'hui les organisations syndicales face aux mutations du monde du travail, en s'appuyant notamment sur les analyses – elles-mêmes largement discutées- de Dominique Andolfatto et Dominique Labbé3 qui insistent notamment sur les facteurs intrinsèques et la bureaucratisation des grandes confédérations. Stéphane Olivesi insiste pour sa part sur la relative sous-utilisation des technologies de l'information et de la communication par les représentants syndicaux, en les reliant davantage aux contraintes d'un contexte marqué par l'emprise de la communication managériale qu'à un supposé archaïsme, mais aussi en montrant comment cette faiblesse communicationnelle est aussi une conséquence indirecte de l'institutionnalisation du dialogue social initié par les lois Auroux de 1982. En favorisant le développement des instances représentatives du personnel (IRP), celles-ci ont en effet placé les organisations syndicales dans une posture délicate en faisant passer l'élu syndical aux yeux de certains salariés « dans le camp des gouvernants alors qu'il a en charge la défense des gouvernés » suivant la formule d'alors d'André Bergeron, rappelée par l'auteur. Cette « professionnalisation » largement forcée des représentants qui les a éloignés de la base et entamé ce faisant leur légitimité aux yeux des autres salariés, et que la loi du 23 août 2008 réformant les règles de représentativité n'a sans doute pas arrangé, se conjugue paradoxalement, explique l'auteur, avec un manque de ressources symboliques et économiques qui les empêche de rivaliser avec les employeurs sur le terrain de la communication publique, tant à l'échelle nationale que locale.

  • 4 On peut signaler en premier lieu que l'enquête ne porte que sur les trois principales confédération (...)
  • 5 Voir notamment le dossier « Critiquer les médias », Mouvements, 61,2010, recensé ici : <http://www. (...)

5Après cette analyse de seconde main, l'auteur livre ses propres résultats d'enquête, recueillies pour chaque chapitre sur des méthodes différentes, mais principalement d'ordre qualitatif, non sans prendre le soin de présenter et justifier largement ces dernières4. Il s'intéresse tout d'abord à l'offre de formation syndicale, en rappelant l'existence, à côté des centres confédéraux internes, des dispositifs originaux dédiés à cette dernière : des instituts hébergés et animés par les universités, co-pilotés par les principales confédérations (neuf régionaux et deux nationaux). Il montre ainsi la grande hétérogénéité en matière de contenus proposés, notamment en matière de communication. Celle-ci est ainsi totalement absente de plusieurs instituts, en vertu, selon l'auteur, de réticences des universitaires qui ne la considéreraient pas comme redevable d'une formation académique, mais seulement pratique. On retrouve cependant de telles prévenances de la part des organisations elles-mêmes, qui dans leurs formations internes ne laissent elles-mêmes qu'une portion congrue à la communication dans leurs formations internes, du fait notamment d'une résistance aux valeurs que cette dernière véhicule comme l'auteur en fait l'hypothèse : « chercher à transformer les représentants des syndicats en ''communicants syndicaux'' relèverait certainement d'un contresens si l'on se contente de vouloir inculquer les bonnes manières (sociales) de communiquer à des agents qui ne sont guère prédisposés pour cela et qui seront toujours perdants face à des acteurs bien mieux armés qu'eux » (p. 79), résume-t-il, faisant écho au dilemme d'autres organisations militantes vis-à-vis des médias, entre investissement critique et création d'espaces alternatifs5.

6Le chapitre suivant descend au niveau micro-sociologique en montrant comment les représentants syndicaux font concrètement face aux injonctions à communiquer à partir de l'analyse d'un dispositif d'autoscopie mis en œuvre par l'auteur au cours de ses sessions de formation et au cours duquel les participant-e-s doivent se livrer à une présentation « libre » d'eux-mêmes devant une caméra durant quelques minutes. Outre une appropriation très diverse relative au vécu et aux dispositions de chacun-e, Stéphane Olivesi met ainsi en évidence une intériorisation par les intéressé-e-s d'une définition de l'excellence communicationnelle portée par les cadres et les journalistes, autrement dit là aussi une difficulté à inventer des formes de communication propres à l'action syndicale émancipée de l'hégémonie managériale.

  • 6 Voir notamment George Hoare, Nathan Sperber, Introduction à Antonio Gramsci, Paris, La Découverte, (...)
  • 7 Qui présentent bien évidemment les mêmes limites que leurs homologues politiques. Voir Patrick Lehi (...)

7Cette hégémonie- concept auquel Antonio Gramsci a donné toute son épaisseur6- s'incarne notamment dans le développement des « baromètres d'opinion interne », outils de sondage7 par lesquels les directions entendent, directement ou indirectement, recueillir et mesurer la satisfaction et les demandes de leurs salariés. Ceux-ci font l'objet du quatrième chapitre, peut-être le plus édifiant de l'ouvrage, pour lequel l'auteur a interrogé les salariés des agences de conseil réalisant ces baromètres, de responsables des ressources humaines et de syndicalistes, eux-mêmes embarrassés dans la critique de tels dispositifs qui semblent incarner si « naturellement » la démocratie interne dans l'entreprise, mais viennent surtout concurrencer leur propre revendication consistant à porter la parole des travailleurs, et ainsi miner à la racine toute contestation.

  • 8 Comme l'auteur prend soin de l'expliciter dans ses développements, nombre de ses propositions sont (...)

8Enfin, le dernier chapitre porte pour sa part sur le rapport des militants syndicaux aux médias, à partir d'entretiens auprès de stagiaires issus des trois grandes confédérations. Cette appartenance influe en effet sur leur perception plus ou moins critique du « jeu » médiatique, même si, dans leur majorité, ces militants n'intègrent pas le recours aux médias dans leur répertoire de pratiques. Lorsque médiatisation d'un conflit il y a, celle-ci ne fait ainsi que rarement l'objet d'une stratégie visant à coordonner l'action, tant au niveau national que local et les différentes organisations syndicales se retrouvent de ce fait plus souvent divisées. Les syndicalistes entretiennent ainsi selon l'auteur une triple-distance aux médias : économique et sociale, qui découle de l'absence de ressources et d'un véritable savoir-faire en matière de relations-presse ; symbolique, qui s'incarne plus profondément encore dans la difficulté pour ces agents à maîtriser les normes médiatiques en matière de manières d'être et de s'exprimer, et enfin une distance institutionnelle tenant aux incohérences et divisions propres au champ syndical. Ce faisant, si l'ouvrage aurait peut-être mérité un titre plus explicite – ce qui n'est pas dénué de paradoxe lorsque l'on traite de communication !-, celui-ci n'en ouvre pas moins un certain nombre de pistes fructueuses8 pour comprendre non seulement l'action syndicale et les normes de la « société de communication » auxquelles elle se confronte, mais aussi plus largement les transformations contemporaines de la domination au sein des mondes du travail et de la sphère médiatique, deux des lieux évidemment privilégiés de son déploiement.

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Notes

1 Michel Noblecourt, « La CGT recrute un directeur de la communication par petite annonce », Question(s) sociale(s) [blog hébergé par le site du quotidien Le Monde, où l'animateur est lui-même journaliste spécialiste des relations sociales], 30 juillet 2013 : <http://social.blog.lemonde.fr/2013/07/30/la-cgt-recrute-un-directeur-de-la-communication-par-petite-annonce>

2 Ce qui rappelle que la prise en compte de cet enjeu est aussi ancien que les syndicats eux-mêmes, tiraillés entre deux objectifs non nécessairement contradictoires : celui de la syndicalisation – autrement dit le recrutement- et celui de l'émancipation des travailleurs, notamment par l'information de leurs droits et des rouages de leur exploitation. On retrouve bien cette tension par exemple dans la campagne menée cet été par la CFDT notamment sur les plages à destination des travailleurs saisonniers (voir Amandine Cailhol, « Au Touquet, la CFDT fait campagne à la plage », Libération, 14 août 2013).

3 Voir entre (bien d') autres Sociologie des syndicats, Paris, La Découverte, coll. « Repères », 2007, recensé à ce lien : <http://lectures.revues.org/588>

4 On peut signaler en premier lieu que l'enquête ne porte que sur les trois principales confédérations (CGT, CFDT et CGT-FO) dont émanent notamment l'essentiel des participants aux formations dispensées par l'auteur.

5 Voir notamment le dossier « Critiquer les médias », Mouvements, 61,2010, recensé ici : <http://www.liens-socio.org/Critiquer-les-medias>

6 Voir notamment George Hoare, Nathan Sperber, Introduction à Antonio Gramsci, Paris, La Découverte, coll. « Repères », 2013

7 Qui présentent bien évidemment les mêmes limites que leurs homologues politiques. Voir Patrick Lehingue, Subunda, Bellecombe-en-Bauges, Le Croquant, 2007, dont une recension par Stéphane Olivesi est disponible à ce lien : <http://questionsdecommunication.revues.org/1916>

8 Comme l'auteur prend soin de l'expliciter dans ses développements, nombre de ses propositions sont formulées sous la forme hypothétique, et appellent ainsi de nouvelles enquêtes pour les approfondir.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Igor Martinache, « Stéphane Olivesi, La communication syndicale », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 05 septembre 2013, consulté le 16 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lectures/12020 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/lectures.12020

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