Jean-Pierre Garnier, Louis Janover, La deuxième droite
Texte intégral
1Ironie du titre, c’est l’élection de François Mitterrand et l’accession des socialistes au pouvoir en 1981 qui constituent le point de départ et l’objet principal du pamphlet co-écrit par Jean-Pierre Garnier et Louis Janover. L’idée-force de l’ouvrage réside moins dans la mise en exergue d’un certain nombre de renoncements idéologiques du Parti socialiste (PS) une fois arrivé au pouvoir suprême — dont le « tournant de la rigueur » en 1983 est souvent cité comme marqueur — que dans la présentation du parti comme une « deuxième droite », autrement dit comme « une droite authentique et pas seulement une gauche en toc » (p. 21). Écrit en 1986 et réédité en 2013, tout se passe comme si l’ouvrage devait amener son lecteur à admettre que si la thèse développée trouve aujourd’hui une seconde jeunesse, c’est parce que l’histoire se répète. Ainsi, dans l’avant-propos de la seconde édition, les auteurs nous appellent-ils à apprécier le quinquennat débutant de François Hollande en miroir de ce que la gauche au gouvernement a accompli 30 ans plus tôt. Une double conclusion s’impose donc ; d’une part, les erreurs commises hier n’ont pas servi de garde-fou et, d’autre part, l’avenir – sombre – de ce présent quinquennat est d’autant plus prévisible qu’il est pour une large part une redite du premier septennat de François Mitterrand dont l’ouvrage retrace les faits marquants du point de vue de la collusion des intérêts (économiques et politiques), et des idéologies (libéralisme et socialisme).
2L’ouvrage est composé de trois parties qui constituent autant d’entrées propices à l’analyse de la pratique gouvernementale socialiste. La première, intitulée « du projet au produit », met l’accent sur les mutations de la gauche qui, sous l’apparence de la modernité, ont conduit à l’avènement du capitalisme. Les auteurs donnent à voir le processus par lequel la gauche gouvernementale s’est substituée à la droite. Si elle est qualifiée de « deuxième droite », c’est bien qu’elle entre dans une parfaite continuité chronologique avec la première, loin d’en être seulement une pâle imitation. Cet aggiornamento du PS — de l’idéologie socialiste à la pratique désidéologisée — s’accompagne d’un accroissement de la place accordée à la communication, en vue d’assurer une assise électorale capable d’octroyer au gouvernement une marge de manœuvre confortable autorisant la poursuite de la mise à mort du socialisme. Cette évolution médiatique vient parachever le privilège accordé au fard plutôt qu’au fond, et les auteurs de résumer : « maquillage et babillage sont les deux mamelles de la France socialiste » (p. 88).
3Dans la deuxième partie, « De l’avenir, faisons table rose », Jean-Pierre Garnier et Louis Janover s’appliquent à énumérer les politiques menées, à l’aune du constat dressé dans la première partie de l’ouvrage. Les nationalisations, la décentralisation ou l’armée sont ainsi décryptées comme autant d’exemples de la déliquescence du socialisme français. Utile pour les jeunes générations, cette recension permet de décortiquer point par point les principales réformes mises en œuvre durant le premier septennat socialiste de la Cinquième République.
4Enfin, « Un enterrement de troisième classe » constitue la dernière partie de l’ouvrage. Celle-ci privilégie une analyse de la formation de la « petite-bourgeoisie », nouvelle classe sociale occupant une position intermédiaire entre les dominés et les dominants et à laquelle les socialistes ont accordé une place centrale. La génération soixante-huitarde et les Tiers-mondistes sont placés au premier rang de cette catégorie. Censée assurer les tâches de médiation entre les classes sociales, cette « troisième classe » complexifie de fait une lecture binaire — de type marxiste — de la société française. La personnalisation, déjà très marquée dans les chapitres précédents, est ici portée à l’acmé, comme si cette évolution doctrinale du PS ne devait se lire que comme un effet de la duplicité d’une poignée de dominants qui s’assumeraient enfin comme tels à l’heure mitterrandienne, au lendemain d’une jeunesse aux expressions faussement gauchistes.
5Jean-Pierre Garnier et Louis Janover livrent une critique acerbe et ad hominem visant les protagonistes qui ont pris le pouvoir en 1981 et qui, selon eux, n’ont de socialiste que le nom qu’ils veulent bien se donner pour mieux tromper l’électeur et faire passer des politiques que la « première droite » (l’UDF et le RPR) ne renierait pas. Moins morale que la première car plus insidieuse et donc plus dure à combattre, cette bête bicéphale qu’est la deuxième droite accuse la confusion entre gauche et droite, non seulement du fait de ses connivences avec les acteurs économiques mais par la complicité dont elle se rend coupable face au déclin des syndicats et du Parti communiste. L’ouvrage est d’une lecture facile et les nombreuses citations et exemples la rendent vivante. Toutefois, on pourra regretter que les très nombreux jeux de mots — parfois un peu faciles, tels que « Maotterrand » (p. 76) — jonchent un texte déjà très vif, quitte à en dénaturer le propos. Ainsi en est-il notamment du titre de la deuxième partie « de l’avenir, faisons table rose », quand la thèse de l’ouvrage vise au contraire à montrer que les roses ne sont plus si rouges dans le champ socialiste.
- 1 R. Lefebvre, F. Sawicki, La société des socialistes. Le PS aujourd’hui, Bellecombe-en-Bauges, Edit (...)
- 2 Nous renvoyons ici aux travaux de Julian Mischi sur le Parti communiste, notamment : « Pour une hi (...)
- 3 Voir la thèse de Julie Pagis : Les incidences biographiques du militantisme en Mai 68. Une enquête (...)
6La personnalisation excessive des mutations du PS laisse ici trop peu de place à une analyse des transformations sociologiques plus sourdes qu’a connues le parti, de sa création à la suite de la SFIO jusqu’à la première publication de l’ouvrage en 1986. Rémi Lefebvre et Frédéric Sawicki ont en effet mis en évidence les processus exogènes — « présidentialisation » des institutions de la Ve République, transformations syndicales, multiplication des sondages d’opinion — et endogènes — professionnalisation des membres du PS, dévitalisation de ses filières traditionnelles de recrutement, pragmatisme électoral — qui ont contribué à structurer le parti socialiste français et à l’éloigner des catégories populaires1. Une plus grande prise en compte du poids des institutions et des réseaux d’influence aurait mis en lumière les règles selon lesquelles les acteurs ici évoqués ont pu — et dû — jouer ce jeu gouvernemental, et ce que cette participation a fait en retour à l’institution partisane et à ses membres. Ces derniers sont en effet pour partie conditionnés par des enjeux extérieurs à leur seule volonté et étrangers à leurs prédictions. Privilégier une histoire sociale du socialisme à l’aune de l’accession au pouvoir de son candidat en 1981 permettrait de montrer avec force les mutations idéologiques — plutôt dans le sens d’une désidéologisation à vrai dire — sans toutefois céder aux sirènes du complot d’une « troisième classe ». Les effets de la composition sociale de l’organisation partisane dans le sens d’un accroissement des capitaux de ses membres — ou d’une partie d’entre eux — sur les orientations idéologiques et la difficulté croissante de représentation des catégories populaires ne sont d’ailleurs pas à déplorer dans le seul cas du Parti socialiste mais sont également repérables au Parti communiste2. De même, les trajectoires post-soixante-huitardes évoquées dans la troisième partie sous l’angle d’un opportunisme émanant d’intellectuels dépourvus « du sens de l’autocritique » (p. 206) sont en réalité plus clivées et hétérogènes qu’il n’y paraît et méritent à ce titre d’être objectivées au prisme d’une sociologie de l’événement « Mai 68 » et de ses conséquences biographiques3 plurielles. Toutefois, ces remarques auraient abouti à un ouvrage d’une autre nature. Or, puisque les auteurs ont privilégié la forme du pamphlet, on retiendra surtout qu’ils ont réussi leur coup et que sa réédition en 2013 arrive à point nommé, alors que François Hollande est au plus bas dans les sondages d’opinion.
Notes
1 R. Lefebvre, F. Sawicki, La société des socialistes. Le PS aujourd’hui, Bellecombe-en-Bauges, Editions du Croquant, 2006.
2 Nous renvoyons ici aux travaux de Julian Mischi sur le Parti communiste, notamment : « Pour une histoire sociale du déclin du Parti communiste », in F. Haegel (dir.), Partis politiques et système partisan en France, Paris, Presses de Sciences-Po, 2007.
3 Voir la thèse de Julie Pagis : Les incidences biographiques du militantisme en Mai 68. Une enquête sur deux générations familiales : des « soixante-huitards » et leurs enfants scolarisés dans deux écoles expérimentales (Vitruve et Ange-Guépin), thèse pour le doctorat de science politique, Paris, EHESS, 2009.
Haut de pagePour citer cet article
Référence électronique
Marie-Pierre Wynands, « Jean-Pierre Garnier, Louis Janover, La deuxième droite », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 26 juillet 2013, consulté le 13 octobre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lectures/11978 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/lectures.11978
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