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Florent Quellier, La Table des Français Une histoire culturelle (XVe - XIXe siècle)

François Granier
La table des Français
Florent Quellier, La table des Français. Une histoire culturelle (XVe-début XIXe siècle), Presses universitaires de Rennes, Presses universitaires Francois Rabelais, coll. « Tables des hommes », 2013, 273 p., ISBN : 978-2-7535-2184-1.
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Texte intégral

  • 1  Vincent Robert, Le temps des banquets : politique et symbolique d'une génération, 1818-1848, Paris (...)

1Le 10 avril 1848, jour du Vendredi saint, furent organisés dans plus de soixante-dix villes de France, des banquets visant à stigmatiser les lois électorales censitaires. Ceux-ci permirent de contourner l’interdiction de réunion et d’association du gouvernement Guizot. L’un d’eux, tenu à Paris, réunit Sainte-Beuve, Flaubert et Renan et les historiens s’accordent à considérer qu’ils contribuèrent significativement aux soulèvements populaires, préludes à l’avènement de la Seconde République1. En souvenir de ceux-ci, et dès la proclamation de la III° République, de nombreux édiles ont promu des « banquets républicains ». Il s’agissait pour eux de favoriser une expression conviviale de la laïcité. Tombés quelque peu en désuétude dans la seconde moitié du XX° siècle, ces banquets trouvent une seconde jeunesse au tournant du millénaire au travers de la « Fête des voisins ». Lancée à Paris en 2000, elle a réuni en 2012 sept millions de Français et quatorze millions d’Européens.

  • 2  Fait exception l’album « Astérix et la Rentrée gauloise » qui rassemble des histoires courtes paru (...)
  • 3  François Fillon déclara le 6 mars 2012 : « On est dans un pays moderne, il y a des traditions qui (...)

2Le temps des repas, moment riche d’interactions, ne serait-il pas celui où s’échafaudent, à l’ombre de la convivialité, les projets les plus novateurs ? Après de rudes différends, le banquet qui réunit familles ou communautés ouvre souvent la porte à une réconciliation. Tout lecteur des aventures d’Astérix connaît par avance le contenu de l’ultime vignette : celle d’un repas pantagruélique qui réunit tous les protagonistes du célèbre village gaulois2. À l’heure des proclamations récurrentes sur une nécessaire réhabilitation du « vivre ensemble », les repas pris en commun pourraient y contribuer. Cependant, ceux-ci peuvent aussi constituer le moment où éclatent des conflits jusqu’alors contenus. De même, certaines pratiques alimentaires minoritaires peuvent être mises en avant pour stigmatiser telle ou telle communauté3.

3L’alimentation, pratique familiale et sociale s’il en est, ne serait-elle pas un analyseur pertinent de nos sociétés contemporaines qu’une approche historique faciliterait ?

4Florent Quellier nous invite à découvrir La table des Français du Moyen Âge finissant aux débuts de l’époque contemporaine. De l’introduction de tel ou tel aliment ou boisson, de l’activité des marchands ambulants proposant breuvages ou pâtés à l’émergence de l’exception culinaire française, l’auteur nous éclaire sur l’origine de nos us et coutumes alimentaires. Il évoque aussi bien les aliments les plus prisés à telle ou telle époque que la composition frugale et répétitive de l’écuelle du manouvrier vivant « au jour la journée » et celle des repas de prestige de la Cour. En analysant, au travers des siècles, la composition et la préparation des repas, les événements qui conduisent nobles, bourgeois et humbles paysans à se réunir à table mais aussi leurs comportements autour de celle-ci, Florent Quellier nous offre un prisme privilégié. Grâce à la richesse des données qu’il nous livre, nous appréhendons plus finement quatre siècles de notre histoire et nous accédons aussi à des clefs précieuses pour comprendre notre société.

  • 4  L’expression « trempé comme une soupe » est directement issue du companage, plat à base de tranche (...)

5Le renouveau des jardins familiaux, qui a pu surprendre nombre d’observateurs à l’heure d’une alimentation standardisée, peut assurément être analysé en portant nos regards sur les humbles potagers de nos lointains ancêtres. L’auteur met en effet en lumière leurs trois fonctions séculaires. D’abord lieux de résistance - résistance historique aux crises frumentaires mais aussi moyen, pour nombre de villageois, d’échapper aux prélèvements de la noblesse et du clergé - le potager fut également un moyen de rompre, fût-ce modestement, la monotonie alimentaire. Une treille, un ou deux arbres fruitiers, un carré d’herbes aromatiques… constituaient un luxe au regard de la monotonie du « companage », c'est-à-dire de toute nourriture dans laquelle le pain domine4. Ce fut enfin un lieu d’innovation agronomique ; ici sont plantés quelques pieds de maïs ou de tomate, là des tubercules de pomme de terre et ce avant que la culture de celle-ci ne soit généralisée en plein champ.

  • 5  Les « bleds » désignent les terres labourées où sont cultivées pour l’essentiel des céréales panif (...)
  • 6  Association pour le Maintien de l’Agriculture Paysanne.

6Le jardin, espace privatif, ouvre aussi la voie à la pratique du don, levain et mode d’entretien d’un bon voisinage, essentiel pour faire face aux aléas des saisons et de la vie. Mais au-delà d’une entraide propre à maintes communautés, les produits issus du jardin permettent aussi de s’inscrire dans les fêtes religieuses, que l’on pense au fleurissement des autels ou à l’amélioration des repas lors de cérémonies familiales. Quand les crises des « bleds5 » s’avèrent massives, les solidarités de voisinage s’essoufflent. C’est au Prince, en référence aux principes de la morale chrétienne, d’optimiser la circulation des grains mais aussi, si nécessaire, d’ouvrir ses greniers. Florent Quellier analyse finement le changement de registre de l’action publique qui s’opère au milieu du XVIII°. Les lois libérant le commerce et la circulation des céréales font passer la société française de « l’économie morale » à « l’économie politique » et vont marquer la fin de l’Ancien Régime. « Le "père nourricier" est alors devenu le "père affameur" et la foule parisienne marche sur Versailles en octobre 1789 pour ramener, avec la famille royale - "le boulanger, la boulangère et le petit mitron" ; - le pain à Paris. » (p. 160). Après ce rappel, nous pouvons mieux appréhender les critiques contemporaines à l’encontre d’une économie financiarisée à l’extrême et l’intérêt que suscitent des relations socioéconomiques plus respectueuses d’une morale humaniste ; nous pensons ici au commerce équitable développé autour de produits agricoles du Sud ou des AMAP6.

  • 7  (129 – env. 201 ap. J.-C).

7Florent Quellier dans un chapitre intitulé : « L’invention de la cuisine française (XVIIe - XVIIIe) » analyse d’abord le recul de la cuisine nobiliaire héritée du Moyen – Âge. Celle-ci faisait la part belle aux épices issues d’Orient et d’Afrique, signe de distinction car exotiques et chères. Elle était en outre fondée sur les principes diététiques de Galien. Selon ce médecin grec7, l’équilibre des quatre humeurs (sang, phlegme, bile jaune et bile noire) conditionnait la santé de l’âme et du corps et impliquait dès lors une alimentation dans laquelle les qualités physiques des aliments (chaud, froid, sec, humide) soient en équation avec l’activité du sujet. Les clercs, nobles et bourgeois se livrant à l’étude et au loisir devaient ménager leur estomac : vin blanc léger, pain de froment, volaille… leur étaient ainsi recommandés. A l’inverse, paysans et hommes de peine, étaient prédisposés à « brûler », de par leurs travaux, des nourritures plus grossières. « Ainsi pour le médecin Nicolas Abraham de L Framboisière (1699) le noir pain de seigle est plus propre au paysan qu’au délicat citadin […]. et le vin bien rouge […] rend l’homme plus vigoureux à la besogne. » (p. 183-184).

8Au milieu du XVIIe siècle, les épices se sont banalisées et perdent donc leur primat. En outre, la couronne de France qui n’a ni accès privilégiés à leurs territoires de production, ni maîtrise de leur commerce n’a aucun intérêt à valoriser leur présence à sa table. En outre, les principes de Galien perdent de leur influence chez les citadins qui s’ouvrent à une médecine modernisée. Le développement du « potager », fourneau intégré dans les cuisines, rend possible des modes de cuisson plus doux que le traditionnel pot suspendu dans l’âtre. Des condiments locaux, ciboulette, persil… favorisent des recettes plus subtiles exaltant le goût des légumes ; le sucre et la cannelle arrivés des Îles s’allient dans des entremets à base de fruits… De beaux livres, soigneusement imprimés, participent à la diffusion et au prestige de la cuisine française et Florent Quellier souligne : « … elle acquiert une vraie personnalité à mesure que le prestige politique, diplomatique et culturel de la France et de ses monarques s’affermit en Europe et que pâlissent la puissance espagnole et l’éclat culturel italien. » (p. 221). La table de la Cour annonce dès lors, par les aliments qui y sont servis, par les recettes qui s’imposent, par les ustensiles valorisés par les grands cuisiniers mais aussi par l’ordre des plats, la cuisine bourgeoise des XIXe et XXe siècles, par effet de mimétisme.

9La table des Français pourra être lu comme une remarquable synthèse de l’histoire de notre cuisine entrée en 2010 au patrimoine mondial immatériel de l'Unesco. Cependant, il nous faut souhaiter que l’ouvrage de Florent Quellier, par la richesse des liens proposés entre passé et questions contemporaines, trouve d’autres usages. Il ouvre des espaces de recherche dans des domaines que les sciences sociales, et notamment la sociologie, ont paradoxalement jusqu’alors peu exploré. Bibliographie raisonnée, lexiques, index des aliments, des lieux, des maîtres-queux de jadis… proposés par Florent Quellier sont autant d’invitations qu’il importe de saisir tant nos identités personnelles, collectives et nationales y sont attachées. À table !

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Notes

1  Vincent Robert, Le temps des banquets : politique et symbolique d'une génération, 1818-1848, Paris, Publications de la Sorbonne, 2010.

2  Fait exception l’album « Astérix et la Rentrée gauloise » qui rassemble des histoires courtes parues dans diverses publications dont « Pilote ».

3  François Fillon déclara le 6 mars 2012 : « On est dans un pays moderne, il y a des traditions qui sont des traditions ancestrales, qui ne correspondent plus à grand-chose alors qu'elles correspondaient dans le passé à des problèmes d'hygiène ».

4  L’expression « trempé comme une soupe » est directement issue du companage, plat à base de tranches de pain auquel sont ajoutés des légumes bouillis et éventuellement un morceau de lard.

5  Les « bleds » désignent les terres labourées où sont cultivées pour l’essentiel des céréales panifiables; celles-ci s’opposent donc aux pâturages.

6  Association pour le Maintien de l’Agriculture Paysanne.

7  (129 – env. 201 ap. J.-C).

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Pour citer cet article

Référence électronique

François Granier, « Florent Quellier, La Table des Français Une histoire culturelle (XVe - XIXe siècle) », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 21 mai 2013, consulté le 09 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lectures/11549 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/lectures.11549

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