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« Économie verte : marchandiser la planète pour la sauver ? », Alternatives Sud, Vol. XX, n°1, 2013

Gwenhaël Blorville
Economie verte : marchandiser la planète pour la sauver ?
Bernard Duterme (dir.), « Economie verte : marchandiser la planète pour la sauver ? Points de vue du Sud », Alternatives Sud, Vol 20/1, 2013, 191 p., Centre Tricontinental, Éditions Syllepse, ISBN : 978-2-84950-377-5.
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Texte intégral

1Et si l'« économie verte », en tant que nouveau modèle de développement, représentait une consolidation des bases du capitalisme bien plus qu'une tentative de le remettre en question ou de le réformer ? C'est à cette question centrale que tente de répondre ce dernier numéro de la revue Alternatives Sud publiée par le Centre tricontinental (CETRI). Les différentes contributions à ce numéro abordent toutes la question de la Green Economy, ce moyen récemment mis en avant par diverses instances internationales - PNUE, ONU, OCDE... - pour réaliser les objectifs du « développement durable ». Ce nouveau modèle de développement représente-t-il une alternative au capitalisme et à ses formes dominantes actuelles ? Et si oui, dans quelle mesure ? Et alors que ce « paradigme » vert est remis en question par de nombreux pays du Nord et du Sud, l'opposition des pays du Sud permet-elle pour autant d'envisager une échappatoire au consensus néolibéral ou à celui du libre-échange ? Ce numéro d'Alternatives Sud apporte un éclairage du Sud à ces questions en plein essor au sein des sciences humaines et sociales.

2En plus de l'éditorial, cette publication regroupe huit textes qui se présentent comme autant de « points de vue du Sud » sur l'« économie verte ». Ces articles rédigés par des chercheurs de divers continents (Amérique Latine, Afrique, Asie, Amérique du Nord) et d'horizons divers (sociologues, économistes, ex-ambassadeur, chercheurs travaillant dans des ONG...) sont autant de points de vue diversifiés et critiques sur ces questions centrales posées par l'émergence de l'expression d'« économie verte ».

3Bernard Duterme, sociologue et directeur du CETRI, introduit ce numéro. Après avoir rappelé que l'« économie verte » souhaite réconcilier croissance et environnement et après en avoir présenté les différents niveaux de justification, l’auteur insiste sur l'idée que cette transition verte est loin de faire l'unanimité. Ce qui pose en effet problème, c'est cette « logique qui tend bien davantage à consolider le modèle capitaliste réellement existant […] qu'à le changer ou même à le réformer » (p. 12). La Green Economy promue par le PNUE et les moyens pour y parvenir restent ainsi conformes à la doctrine néolibérale, doctrine à laquelle les pays du Sud ont bien du mal à échapper dans leurs négociations avec les pays du Nord. Une « démarchandisation » généralisée apparaît alors comme le moyen essentiel d'aboutir à une véritable « transition » verte, processus qui bouleverserait inévitablement nos rapports à la nature et nos rapports sociaux.

4La première et la dernière contribution sont toutes deux rédigées par l'économiste malais Martin Khor. Celui-ci souligne tout d'abord que l' « économie verte » se situe et doit rester dans le cadre du « développement durable » tel qu'il a été défini en 1992. Il développe ensuite les principaux risques que fait peser l'usage de l'expression d' « économie verte », parmi lesquels son utilisation par les pays du Nord à des fins de protectionnisme commercial et comme prétexte à une pénétration renforcée des marchés du Sud. Il est de plus primordial selon lui que les pays Nord respectent le principe de « responsabilités communes mais différenciées » et les transferts technologiques et financiers qui en découlent. M. Khor ajoute enfin que la mise en œuvre de l' « économie verte » devrait également s'accompagner de « réformes économiques à l'échelle mondiale » (p. 82). Dans sa seconde contribution, rédigée après la tenue de Rio+20, M. Khor souligne comment, malgré les déceptions qu'elle a suscitées, la conférence Rio+20 «  pourrait devenir le début de quelque chose de grand » (p. 187) si les mesures de suivi décidées se concrétisent. Avec le rappel des principes clés du développement durable, un appel à poursuivre les négociations sur plusieurs points précis a été lancé, ce qui constitue selon lui des raisons d'être optimiste.

5Pio Verzola Jr. et Paul Quintos montrent dans leur contribution le rôle central joué par le PNUE dans l'élaboration du concept d' « économie verte ». Après avoir dressé l'historique de cette conceptualisation, les deux chercheurs portent leur analyse sur le rapport du PNUE de février 2011 et soulignent de quelle manière les mesures proposées ne modifient pas véritablement les rôles du capital financier, la dépendance extrême à l'égard des marchés ainsi que le rôle joué par la main d’œuvre. Le texte nous montre alors comment le « développement » promu par l'économie verte relèverait d'une « colonisation continue de l'écologie par l'économie (de marché) » (p. 102). Il conviendrait alors de s'écarter des conceptions dominantes du développement durable et d'envisager un bouleversement important des structures économiques et sociales et de notre rapport à l'environnement.

6Le sociologue vénézuélien Edgardo Lander indique à son tour que l'économie verte et le développement durable, ne remettent aucunement en question la logique d'accumulation du capital. À partir de l'analyse du rapport du PNUE de 2011, il examine comment celui-ci conforte les structures du pouvoir en place à l'échelle mondiale, les rapports d'exploitation ainsi que la doctrine du libre marché. L'accent mis par le PNUE sur les « failles du marché », plutôt que sur une transformation radicale du système, révélerait à quel point l'économie actuelle s'avère « incapable de se projeter au-delà du fondamentalisme néolibéral » (p. 116). E. Lander termine en soulignant les « lacunes » du rapport du PNUE, et notamment le silence mis sur la réalité des rapports de pouvoir de notre monde contemporain.

7Dans sa contribution de quelques pages, Joseph Purugganan met l'accent sur les pays asiatiques et montre comment les négociations en vue de la conférence Rio+20 ne remettent pas fondamentalement en cause « le paradigme néolibéral du libre-échange » (p. 121). Il souligne à quel point les pays asiatiques, en défendant plus d'équité et en se contentant de lutter contre le « protectionnisme vert », font consensus avec les pays développés sur la question du commerce vert et contribuent par là au maintien du statu quo en matière économique.

8Le texte de Yash Tandon, intellectuel ougandais, porte son interrogation sur la situation de l'Afrique. Celui-ci démontre à quel point le continent est miné par son intégration dans un système capitaliste « kleptocrate », c'est-à-dire financiarisé. À côté d'élites locales qui profitent largement de cette logique d'accumulation, la majorité de la population s'appauvrit. C'est dans cette analyse d'un véritable « pillage » (p. 131) qu'il aborde les négociations autour du réchauffement climatique. Il développe alors l'idée que l'Afrique ne devrait pas fonder beaucoup d'espoir dans l'« aide au développement » qu'il qualifie de « plaisanterie » (p. 130) et que, plutôt que de recourir à des experts extérieurs, les pays africains devraient développer leurs propres réseaux d'expertise.

9Pablo Solon s'interroge à son tour sur l'incorporation de la nature par le capitalisme en tant que capital. Dans sa courte contribution, celui-ci s'arrête sur l'exemple du programme REDD des Nations unies et en souligne les effets pervers. Il s'agirait en définitive de mettre en place tous les éléments nécessaires à l'ouverture d'un « nouveau marché spéculatif » (p. 141). P. Solon défend ensuite l'idée selon laquelle il faudrait reconnaître des droits à la nature, ce qui pose la question de notre rapport à cette dernière.

10Le texte de l'ETC Group et de la Heinrich Böll Foundation attire notre attention sur la promotion de nouvelles technologies « vertes » comme solutions aux diverses crises actuelles. Il s'agirait, notamment via la biologie synthétique et les nanotechnologies, d'utiliser la biomasse en tant que matière première. Chiffres à l'appui, le texte met en évidence les recompositions de pouvoir dans tous les secteurs entre multinationales que cela entraîne. Après avoir abordé les trois grandes convergences qui accompagnent l'émergence de l'économie verte, le texte passe en revue les différents secteurs industriels a priori concernés par l'émergence de cette « bioéconomie ». Le texte s'arrête également sur les techniques de modification du climat – la géo-ingénierie - et souligne que la « démesure  scientifique » de ces projets est à mettre en parallèle avec la « démesure géopolitique de la Guerre froide. » (p. 167). La contribution se termine par l'examen de six technologies qui avaient à tort été jugées « propres », comme l'exemple des biocarburants.

11Cette publication constitue une importante contribution au nécessaire débat sur la Green Economy et sur le « développement durable ». Outre son aspect critique et son approche « macro-sociale », son intérêt tout particulier est le décentrement du regard qu'il nous offre à nous, chercheurs du Nord. Alors que les pays dits « développés » produisaient encore les trois quarts des connaissances en 2007, contre 95 % en 1990, l'accès aux travaux du Sud demeure essentiel1. Sur le fond, les textes les plus critiques peuvent être rapprochés de la dénonciation du « capitalisme vert » opérée par Paul Ariès. Cette doctrine visant à fusionner économie et écologie serait ainsi née en Europe dans certains milieux écologistes « proches de la révolution conservatrice mondiale dès 1947 »2, avant de traverser l'atlantique. Selon P. Ariès, ce courant serait sorti de l'ombre en octobre 2006 avec le rapport Stern qui affirmait qu'injecter 1 % du PIB mondial dans la lutte contre le réchauffement climatique profiterait largement à l'économie. La Green Economy pourrait bien constituer un moyen de récupérer la critique environnementale et de l'incorporer dans un nouveau modèle de légitimation du capitalisme, qui en constituerait le « nouvel esprit ».

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Notes

1 http://www.lemonde.fr/idees/article/2011/10/12/la-recherche-et-l-innovation-une-nouvelle-donne-mondiale_1586202_3232.html

2 Ariès Paul, « Prendre au sérieux le capitalisme vert », in Non au capitalisme vert, Lyon, Éditions Parangon/Vs, 2009, p. 14

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Pour citer cet article

Référence électronique

Gwenhaël Blorville, « « Économie verte : marchandiser la planète pour la sauver ? », Alternatives Sud, Vol. XX, n°1, 2013 », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 17 mai 2013, consulté le 23 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lectures/11503 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/lectures.11503

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Rédacteur

Gwenhaël Blorville

Doctorant en sociologie à l'université François-Rabelais de Tours, laboratoire CITERES (UMR 7324)

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